"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)
19 Avril 2014
Les résultats du scrutin présidentiel concoctés "entre quatre murs" vont-ils fermer ou contribuer à ouvrir la voie de la recherche de nouvelles règles du jeu pour sortir l'Algérie de l'enlisement?
Dans Maghreb Emergent, El Kadi Ihsane s'interroge sur le sens de la "retenue" dans la manipulation des chiffres de la participation, problème n°1 du pouvoir : "Saadani avait parlé d'un taux de participation de près de 68% et le ministère de l'intérieur n'a fait passer la participation qu'à 51,70%, juste de quoi donner une couleur légitime au vote. Le ministère de l'intérieur avait, en 2009, fait bondir le taux de participation de 50 points entre 14h et la fermeture des bureaux pour atteindre, en toute aisance, entre quatre murs, le taux de participation de 74,54%". Dans l'éditorial, ci-après, K. Selim écrit : "Pour ceux qui ont refusé de «jouer», la fraude est d'abord et avant tout instituée par un régime qui verrouille l'espace public et médiatique pendant des années pour ne l'ouvrir qu'à quelques semaines des élections". Abed Charef explique la "particularité" des élections présidentielles en Algérie : "la fraude n’a pas lieu le jour du vote. Organiser un scrutin fermé consiste à montrer, par différents signaux, que le pouvoir en place a son candidat, et que le peuple n’a pas d’autre choix que de l’avaliser. Le président Bouteflika était, dans cette élection, appuyé par une puissante alliance s’appuyant en premier sur l’appareil militaire et sécuritaire, et comportant la bureaucratie d’Etat, les réseaux d’argent et leurs clientèles. Cette alliance exerce une pression énorme sur la société, si forte que le pays ne peut que s’incliner".
DEFIANCE ET SURDITE
Par K. Selim, 19 avril 2014. Le Quotidien d'Oran
C'est le chiffre officiel de l'abstention le plus élevé des scrutins présidentiels organisés depuis 1995.
Le parti de l'abstention qui n'appartient pas aux «boycotteurs» est définitivement et sans contestation possible le plus grand «gagnant» du scrutin du 17 avril. Même s'il est considéré comme « gonflé» par les opposants, le taux de 51,70% de participation relativise amplement la victoire de Bouteflika. Le vote reste très largement limité à l'électorat traditionnel du régime qui vote pour le candidat sortant.
Ali Benflis a dénoncé la fraude. Il lui reste à préciser son accusation. Pour ceux qui ont refusé de «jouer», la fraude est d'abord et avant tout instituée par un régime qui verrouille l'espace public et médiatique pendant des années pour ne l'ouvrir qu'à quelques semaines des élections. Une fausse vie politique ne pouvant engendrer de vraies élections, c'est une évidence. Ali Benflis ne l'ignorait pas, il a fait le pari que la crise au sein du régime et le choc provoqué par la candidature d'un homme amoindri par la maladie lui ouvrait un boulevard. Il est réduit, une fois de plus, à jouer le «lièvre principal». La seule possibilité de bousculer les lignes était de convaincre les Algériens de ne pas bouder les urnes. Une véritable gageure pour ceux qui observent la constante abstentionniste des Algériens lors des élections.
Ali Benflis devait convaincre le parti des abstentionnistes, très largement majoritaire, que le vote en valait la peine. A l'évidence, c'est un échec. L'appel à la participation était d'ailleurs le seul point commun de Benflis avec Bouteflika et les autres candidats. Ces appels qui ont joué sur tous les registres, y compris sur celui de la «peur» et de la «menace étrangère», sont restés sans effet. Les Algériens boudent les urnes et envoient un message net au régime. Et il n'est pas difficile à décrypter : les Algériens n'accordent pas de crédit à «l'offre politique» qui existe actuellement. Ils ne croient pas que l'élection est, comme c'est le cas dans une démocratie, un mécanisme qui permet de sanctionner et de changer les gouvernants en fonction de leur bilan. Ils ont compris qu'il s'agit d'une formalité que le régime organise régulièrement et ils sont nombreux à ne plus y participer.
Les chiffres officiels, contestés, ne peuvent plus, sous peine d'invraisemblance, se permettre d'ignorer cette tendance structurelle. Mais les tenants d'un régime, dont le niveau d'impotence est devenu la vraie menace pour la stabilité du pays, sont-ils prêts ou aptes a faire la bonne lecture ? Le 17 avril n'a pas été une fête de la démocratie, personne n'y croyait. C'est une élection qui ne change rien au problème d'une Algérie dont le dynamisme et la créativité sont entravés par une gouvernance immobile assise sur une redistribution inégalitaire de la rente et, quand c'est nécessaire, sur la répression. Les problèmes sérieux du pays ne sont toujours pas traités et obèrent son avenir. Cet abstentionnisme structurel marque très clairement une perception générale que le vote ne sert qu'à valider le statuquo. C'est bien le message le plus fort même si les tenants du statuquo font les sourds pour ne pas l'entendre.
Source: Le Quotidien d'Oran