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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

Témoignage. "Je suis née à Oran en 1920"

Socialgerie met en ligne de larges extraits du petit livre actuellement introuvable de Lucette Hadj-Ali : Itinéraire d’une militante algérienne (1945 - 1962) . Ell dit à propos de cet ouvrage : "Ceci ne peut pas être et ne veut pas être un essai historique ni une autobiographie, ni des mémoires. C’est tout simplement un témoignage". En tout casun témoignage qui frappe par son caractère si authentiquement véridique. Une rareté.

Lucette nous a quittés en mai dernier. Elle avait 94 ans.

 

Son recit commmence ainsi:

Je suis née à Oran en 1920. J’y ai passé toute mon enfance et une partie de ma jeunesse. Par la suite, durant trois ans j’ai suivi les cours de l’Université d’Alger. Et pourtant, je n’ai jusqu’alors pas pris conscience du fait colonial en Algérie.

Pourquoi ? Cet aveuglement a certes en partie été conditionné par l’environnement social qui était le mien à Oran dans ma jeunesse.

En 1940, la population oranaise était en majorité européenne : contrairement à ce qui se passait à Alger, les dockers oranais étaient européens dans la majorité. Dans le centre-ville, on ne rencontrait que très peu d’Algériens, à l’exception d’un certain nombre de commerçants dans les marchés : le marché Michelet (qui porte toujours ce nom) et celui de la rue de la Bastille, dans lesquels je ne me rendais jamais.

À l’école primaire, les petites algériennes étaient totalement absentes. Au lycée de jeunes filles, qui allait alors de la 6e à la Terminale, une seule algérienne suivait les coours, deux niveaux au-dessous du mien. J’ai cela en mémoire de façon très floue et je n’ai aucun souvenir précis d’elle. Dans la clinique de mon père, qui était gynécologue, et à la maison, le personnel était entièrement européen.

Je n’avais donc aucun contact avec la population algérienne. Il faut dire que les différentes catégories de la population oranaise se cloîtraient dans leurs quartiers respectifs : les Algériens dans le quartier de Lamur, dans celui de la Medina j’dida, le quartier « nègre », cet horrible nom dont le gratifiaient les « pieds noirs », ou à la périphérie de la ville où les bidonvilles se multipliaient rapidement ; les Juifs dans le quartier avoisinant la place d’Armes (aujourd’hui place Emir Abdelkader) et le théâtre d’Oran (aujourd’hui Abdelkader Alloula) ; les Européens dorigine diverse à Choupot, St-Eugène, Eckmühl … ; les plus défavorisés, en majorité d’origine espagnole, dans le « Calère », en contrebas de la route qui mène à la colline de Santa-Cruz ; et la bourgeoisie européenne, d’origine surtout française, dans le centre-ville où nous vivions et où se situait la clinique de mon père. Tout ce monde diversifié ne se rencontrait que sur les lieux de travail, dans une hiérarchie bien établie, en dehors desquels les gens ne se fréquentaient plus.

Certes, mon père, en même temps qu’il nous initiait, mes sœurs et moi, aux rudiments du marxisme et du matérialisme historique, nous mettait en garde contre les méfaits du racisme, et en particulier de l’anti-sémitisme.

Il faut se souvenir qu’à l’époque, l’anti-sémitisme était largement répandu dans la population européenne. Après la défaite de la France en 1940, avec les lois anti-juives édictées par le régime de Vichy, qui avait annulé de décret Crémieux, la situation de la population juive s’aggravera encore. Je me souviens d’avoir lu, au cours d’un voyage à Sidi-Bel-Abbès, sur la terrasse d’un café, une pancarte mentionnant « Interdit aux Juifs », ce qui provoqua la colère de mon père. S’ils ne furent pas déportés en masse, comme en France, vers les camps de la mort, les Juifs furent empêchés d’exercer certains métiers, dans l’enseignement en particulier, et des numerus clausus furent institués qui réduisirent leur nombre dans les écoles, les lycées et à l’Université d’Alger, où mon amie juive dut abandonner ses études à on grand désespoir.

Je m’installai définitivement à Alger en octobre 1942 et là, mes yeux commencèrent à s’ouvrir. Contrairement à ce qui s’était passé à Oran, les Algériens n’étaient pas invisibles. Je les rencontrais quotidiennement en plein centre-ville. Avec mes amis nous allions parfois déjeuner dans les gargotes de la Basse-Casbah. Les soirs de ramadhan, avec mon ami robert Manaranche, qui devint mon premier époux et qui était bien plus conscient que moi de l’Algérie réelle, j’allais boire du thé et manger des gâteaux en écoutant de la musique algérienne que je découvrais.

Je me trouvais ainsi projetée dans une vie tout à fait nouvelle. Et je découvrais la situation misérable des Algériens, situation que j’avais ignorée à Oran (ou que je n’avais pas voulu voir ?…) Le spectacle de ces enfants couchés la nuit à même le sol sus les arcades de la rue Bab-Azzoun me serrait le cœur. J’observais avec la même émotion les petits cireurs de chaussures qui, à longueur de journée, faisaient claquer leurs brosses sur leurs boîtes, à la recherche de clients, ou ces gosses qui, au marché, portaient pour quelques sous les lourds paniers des ménagères européennes.

Aux Auberges de la Jeunesse auxquelles j’avais rapidement adhéré, mes copains avaient des contacts avec des membres du PPA. Ils m’en parlaient et je crois en avoir rencontré une fois. Je comprenais qu’ils s’insurgeaient contre cet état des choses, mais sans jamais analyser cette situation en profondeur.

Il faut dire à ma décharge que j’avais alors quelques préoccupations : nous étions en pleine guerre. Le débarquement anglo-américain sur les côtes algéroises s’était déroulé le 8 novembre 1942, ce qui provoqua quelques bombardements de l’aviation italienne sur Alger. Le décès de ma future belle-mère (la mère de Robert Manaranche) survint à ce moment-là. J’avais en outre quelques soucis à propos de mon mariage, qui se fit contre la volonté de mon père. Je tombai ensuite gravement malade, ce qui m’obligea à repartir chez mes parents, en décembre 1944, Robert, mobilisé, ayant été envoyé au Maroc.
Le 8 mai 1945, je me trouvais donc à Oran. C’est par une amie, venue me rendre visite, que j’appris les manifestations qui se déroulaient en ville, sans en comprendre le sens réel, étant braquée totalement sur l’évènement du jour : la fin de la guerre.

Une fois de plus je me trouvai ainsi en marge de la réalité (...).

La suite sur  http://www.socialgerie.net/spip.php?article1447

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