"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)
12 Août 2014
"Les Algériens bivouaquent dans leur propre patrie. Ils peuplent leur pays mais ne l'habitent pas. Celui qui est dans le village veut aller dans la ville, celui qui est dans la ville veut aller dans la capitale et celui qui est dans la capitale veut partir à l'étranger. L'Algérie est un énorme bivouac et tout le littoral est un quai d'embarquement.»
Le déracinement, source d’abandon des terres agricoles
La colonisation française en Algérie a fait plus de 2,5 millions de déracinés laissés dans le dénuement total et, de ce fait, provoqué une rupture entre l’homme et la terre, a révélé samedi l’auteur-journaliste Slimane Zeghidour, lors d'une conférence tenue au centre culturel islamique Ahmed-Hamani de Jijel.
Jijel. Slimane Zeghidour au centre. Photo DR
Par APS, 9 août 2014
Animant une conférence sur "L’histoire de l’Algérie, de la résistance populaire à la lutte de libération nationale", Zeghidour, rédacteur en chef et éditorialiste à la chaîne de télévision TV5 Monde, a fustigé "l’oeuvre" de déracinement des localités rurales algériennes qui a fait que les terres agricoles soient abandonnées, entraînant du coup un bouleversement de la société.
Selon lui, le cordon ombilical entre l’homme et la terre est "définitivement coupé" du fait de ce déracinement opéré par la puissance coloniale pendant l’occupation du pays. "De nombreuses terres sont sans titre de propriété, alors que l’Etat, en tant que puissance publique, est censé être aux premières loges pour ce qui est de l’Etat civil et des affaires du cadastre", a-t-il expliqué.
Parlant du cas de la commune rurale et montagneuse d'Erraguène Souci dont il est originaire, le conférencier a retracé un tableau poignant de cette contrée rendue célèbre par "son" camp de regroupement où étaient concentrées les populations sous l’oeil vigilant des soldats de l’armée d’occupation. Cette localité célèbre aussi par son barrage hydraulique de 230 millions de m3 d’eau, construit vers la fin de la guerre de libération, a vu, au cours de la décennie noire, un départ massif de ses populations vers d’autres directions.
Les pouvoirs publics ont entrepris, depuis ces dernières années, un programme "ambitieux" afin de permettre aux populations de retourner vers leurs localités d’origine. "Repeupler ces mechtas ? C’est possible à condition qu’il y ait une vraie volonté politique", dira Zeghidour, en citant des exemples de quelques pays ayant réussi à faire retourner leurs citoyens vers leurs localités d’origine.
"Il faut concrètement un accompagnement sur le terrain pour que ce projet voie le jour", a-t-il soutenu, citant, pêle-mêle, des infrastructures socio-économiques et éducatives, à même d’attirer des candidats au retour à leurs localités d’origine (écoles, centres de santé, énergie électrique, routes, à..) ainsi qu’une mise à niveau des agriculteurs pour le travail de la terre pour être au diapason de la modernité.
Le conférencier a également insisté sur la nécessité d’un reboisement des terres pour freiner l’érosion des sols, une des grandes catastrophes de l’environnement. Les pertes d’eau en mer, a-t-il affirmé, représentent annuellement 1,5 milliard de mètres cubes, avant de déplorer le manque de retenues de ce précieux liquide.
L’enfant d'Erraguène Souici a estimé, dans une analyse sociologique de la société algérienne, qu’"il faut transcender la mentalité paysanne, une des séquelles de la colonisation". Selon lui, les villes sont devenues des "mechtas en béton", des douars, une autre séquelle de la guerre qui a pour nom la "rurbanisation". Les meilleures terres agricoles, à fort potentiel de rendement, sont envahies par le béton et le parpaing, a-t-il dit dans un constat qui ne se veut pas une "critique". Lors de cette conférence, organisée par l’association locale "Gloires, Histoire et patrimoine", Zeghidour a longuement abordé, en réponse à des interrogations, des questions, liées à l’actualité brûlante internationale.
Le rôle des médias arabes et occidentaux dans le conflit israélo-palestinien a constitué l’essentiel des débats entre le conférencier et l’assistance, composée notamment d’intellectuels et d’universitaires. Slimane Zeghidour est chercheur associé à l'IRIS sur les questions du Proche et Moyen-Orient (conflit israélo palestinien, rivalités Turquie-Iran-Arabie saoudite, différend chiites-sunnites, Eglises arabes, intégrismes religieux, de la Russie et de l'Asie centrale (islam en Russie même, dans le Caucase (Géorgie, Ossétie) et dans les ex-républiques musulmanes soviétiques) et de l'Amérique latine (diaspora arabe au Brésil, Argentine, Chili, Colombie).
En tant que Grand reporter, il a arpenté 25 ans durant l'Amérique latine, le Proche-Orient, la Russie et l'Asie centrale. Il a collaboré, entre autres, au Monde, le Nouvel Observateur, Télérama, Géo, El Pais... Il est aujour d‘hui rédacteur en chef et éditorialiste à TV5-MONDE. Comme essayiste, il a rédigé plusieurs ouvrages, notamment "La vie quotidienne à la Mecque de Mohamed (QSSSL) à nos jours" (traduit en grec, italien et russe) et tout récemment, "L'Algérie en couleurs, photos d'appelés 1954-1962".
Des ouvrages qui lui ont valu des prix Colombe d'Or pour la Paix (Rome 1996/prix cofondé par Alberto Moravia), le prix Clio d'Histoire (1990) et le prix France Méditerranée (1982). Il dispense des séminaires de géopolitique des religions au campus de Menton (IEP de Paris) et un autre sur la diaspora arabe au campus de Poitiers (IEP de Paris) et anime des formations pour les journalistes à la Sorbonne à Neuilly-sur-Seine. Il est l’animateur d’un blog de géopolitique des religions sur TV5 Monde "Deus ex machina".
Il est également Glogal-Expert auprès de l'Alliance des civilisations, placée sous l'égide des Nations-Unies.
Slimane Zeghidour
le retour perpétuel de l’enfant prodige
Par Ouahiba Djemoui, 11 août 2014
Fils béni du fabuleux village d'Erraguène , et portant un amour indéfectible à sa terre natale , Slimane Zeghidour est revenu cet été encore à Jijel pour se relaxer , se ressourcer et recharger les batteries pour pouvoir repartir de plus belle vers d'autres destinations et sous d'autres cieux peut être plus cléments , peut être plus tumultueux , mais qui n'ont certainement pas la couleur du ciel de cet écrin de verdure situé aux pieds des Babors , son odeur , cette imperceptible chose qui se dégage des lieux et qui remue l'âme et la transporte sur un rayon de soleil. Driss Chraibi l'a si bien dit dans l'un de ses ouvrages : »les peuples passeront comme une caravane le long du temps.Et au bout du temps , il y aura toujours la terre , la lumière et l'eau de mon pays ».
Ce matin le 09/08/2014 Slimane Zeghidour était là devant moi , en chair et en os à développer un beau discours , beau et sincère , beau et spontané , beau et pourtant débordant de vérités amères , et de réalités affligeantes.
Le barrage d'Erraguène a noyé le "camp de regroupement" de l'enfance. Photo Karim Hadji
Et il a parlé Slimane , il a parlé de son village , sa douceur , sa douleur, de son père , du combat de ce père pour la survie de ses enfants , de leur petite baraque au toit de chaume où dormaient ses frères et lui en écoutant le sempiternel « toc…toc »de la pluie qui dégoulinait du toit et que sa maman recueillait dans un récipient en métal , du camp de regroupement ou il a passé son enfance, de l'exil de la famille à Alger et le rejet des algérois à leur endroit ,rejet ressenti comme un couteau en plein cœur par un enfant qu'on fuyait comme de la peste parce qu'il débarquait de la lointaine compagne.
Des souvenirs…des souvenirs si chers et si émouvants qu'il garde au fond de son cœur comme on garde un amour secret , comme on garde une lumière imperceptible , comme on garde une foi inébranlable.
Il a parlé Slimane , il a parlé de ses périples à travers plusieurs pays du monde côtoyant la mort , « débusquant la vérité » derrière les balles et les canons à chair humaine , réclamant la justice, clamant la vie.
Avec sa grande modestie , sa spontanéité et sa sincérité , il a su s'élever à la hauteur de la beauté des mots qui disent la vérité en la sublimant et qui dénudent le laid en le démaquillant avec délicatesse mais sans complaisance. Il a su plonger l'assistance dans son monde éclairant certaines zones d'ombre , donnant des informations qui font défaut dans les flots de mensonges débités ici là sur certains sujets récurrents et d'actualité comme celui de Ghaza , lui qui malgré les années écoulées dans la froideur des contrées éloignées ne cesse de faire ce retour à la terre de ces ancêtres là où il fait le plein de soleil même si son cœur crie toujours :
«L'azerolier est en train de disparaître. La vie villageoise disparaît. Les usages villageois disparaissent, les dialectes, les charades, les devinettes… C'est un pays entier qui est en train de foutre le camp dans l'indifférence générale. Je ne sais pas si l'on peut appeler cela de l'indifférence, de l'inculture, de la désinvolture, du suicide inconscient. En parallèle, nous avons… je ne dirais pas de l'urbanisation, je dirais plutôt que c'est un camping, un camp de réfugiés. Les Algériens bivouaquent dans leur propre patrie. Ils peuplent leur pays mais ne l'habitent pas. Celui qui est dans le village veut aller dans la ville, celui qui est dans la ville veut aller dans la capitale et celui qui est dans la capitale veut partir à l'étranger. L'Algérie est un énorme bivouac et tout le littoral est un quai d'embarquement.»
Peut on se séparer d'un amour greffé jusque dans nos gènes ? Peut – on fuir ces racines qui nous tiennent jusqu'à notre mort prisonniers d'une certaine histoire ?
Slimane Zeghidour , son sourire , ses mots , ses gestes sembleraient nous dire que toute l'intelligence réside justement dans ce fin et subtil va et vient entre le passé et le présent , perpétuel retour vers ses origines pour pouvoir savamment construire le présent et le futur.
Slimane nous donne un bel exemple de celui que la civilisation occidentale ne métamorphose pas en robot insensible , reniant tout ,rampant à plat ventre devant le superficiel au détriment du spirituel.
Et dire que rien qu'à l'écouter on perce sa soif de liberté , d'amour et de vie. Chapeau Monsieur Zeghidour !