Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

Le dernier combat d'Ahmed Kathrada

Ahmed Kathrada avec Nelson Mandela. Photo DR

Ahmed Kathrada avec Nelson Mandela. Photo DR

Ahmed Kathrada est décédé ce mardi 28 mars à Johannesburg. Compagnon de lutte de Nelson Mandela depuis la fin des années 40,  Ahmed Kathrada passera 18 ans au bagne de sécurité maximale de Robben Island.

"L’apartheid, vaincu en Afrique du Sud, ne peut triompher en Palestine" affirmait-il le 27 octobre 2013, à Robben Island d'où ce leader du mouvement anti-apartheid engagera son dernier combat. Il lançait la Campagne internationale pour la libération de Marwan Barghouthi et tous les prisonniers palestiniens. "Seul un pri­sonnier poli­tique peut appré­hender l’épreuve que tra­verse un autre pri­sonnier poli­tique" expliquait-il alors dans une tribune publiée par le journal Le Monde.

 Libérez Marwan Barghouti et tous les prisonniers politiques palestiniens

Par Ahmed Kathrada, 25 octobre 2013

Seul un pri­sonnier poli­tique peut appré­hender l’épreuve que tra­verse un autre pri­sonnier poli­tique. L’expérience que constitue l’isolement, les mauvais trai­te­ments, la sépa­ration du monde exté­rieur, l’érosion pro­gressive du concept de temps, tout cela ne peut être traduit en paroles.

L’emprisonnement laisse der­rière son passage des cica­trices pro­fondes et dans la chair, et dans l’âme. Marwan Bar­ghouthi, un pri­sonnier poli­tique pales­tinien de premier plan, a passé deux décennies de sa vie dans les prisons israé­liennes, y compris les 11 der­nières années.

Avec des leaders tels que Walter Sisulu et Nelson Mandela, nous avons passé plus d’un quart de siècle dans les cachots de l’apartheid, pour la défense d’un idéal qui a fini par triompher : la liberté et une Afrique du Sud non raciale, non sexiste et démo­cra­tique. Comme Israël aujourd’hui, le gou­ver­nement de l’apartheid nous a pré­senté comme étant une "menace à la sécurité", alors qu’il était évident que nous étions des pri­son­niers poli­tiques menant une lutte de libé­ration légitime contre un régime d’oppression raciste.

Quand les gens pensent aujourd’hui à l’Afrique du Sud, ils se sou­viennent ins­tan­ta­nément de l’image d’un Mandela sou­riant sortant de prison pour être accueilli par les accla­ma­tions de la foule. Se souviennent-​​ils vraiment des sacri­fices per­sonnels que lui et ses cama­rades ont consenti durant toutes ces années dans les prisons de l’apartheid avant de pouvoir vivre ce moment.

Je pense à ma cellule étroite et je vois le com­battant pour la liberté Marwan Bar­ghouthi et les pri­son­niers pales­ti­niens. Depuis 1967, plus de 800 000 Pales­ti­niens ont subi l’emprisonnement à un moment de leur vie. Ceci est un des exemples les plus criants de détention massive, ayant pour objectif de briser la volonté d’un peuple tout entier. Cer­tains de ces pri­son­niers ont passé plus de 30 ans dans les prisons israé­liennes, établissant des records des plus longues déten­tions poli­tiques à travers le monde. D’autres ont perdu leur vie en raison des mauvais trai­te­ments, ou le manque de soins médicaux. Les enfants en Palestine font l’expérience de la détention et de l’apartheid, comme plu­sieurs géné­ra­tions en Afrique du Sud ont dû le faire.

Un accord avant la libération des prisonniers, un argument inadmissible

Nous savons de par notre propre expé­rience que la volonté des peuples opprimés est inébran­lable. Les Pales­ti­niens le démontrent tous les jours. Der­rière les bar­reaux, les pri­son­niers pales­ti­niens ont lancé des mou­vement de pro­tes­tation et des grèves de la faim pour réclamer le respect de leurs droits.

Aujourd’hui, près de 5 000 pales­ti­niens demeurent dans les prisons israé­liennes. Les vio­la­tions de leurs droits par Israël, y compris leur droit à un procès équi­table, d’être traité humai­nement, et de recevoir des visites est scan­daleux. La détention massive d’hommes, de femmes, d’enfants, la détention arbi­traire, et l’arrestation d’élus du peuple sont autant de rappels dou­loureux de l’injustice dont nous avons souffert pendant l’état d’urgence. Si la com­mu­nauté inter­na­tionale était cohé­rente, le trai­tement réservé aux Pales­ti­niens aurait dû faire l’objet d’une vague de condam­na­tions et de sanctions.

Marwan Bar­ghouthi a été condamné à cinq per­pé­tuités d’emprisonnement et 40 ans de prison par des tri­bunaux israé­liens qui démontrent régu­liè­rement qu’ils sont des ins­tru­ments de l’occupation et non de la justice. Il a été le premier par­le­men­taire arrêté. De nom­breux autres sui­vront. Un leader pales­tinien extrê­mement popu­laire, une figure uni­taire et un défenseur ardent de la paix fondée sur le droit inter­na­tional, il a été le prin­cipal archi­tecte du "document des pri­son­niers" adopté par les leaders pales­ti­niens empri­sonnés qui définit une voie paci­fique menant à l’unité, la liberté et la paix.

Cer­tains usent de l’argument inad­mis­sible que les pri­son­niers devraient être libérés une fois la paix conclue entre les parties au conflit. Une telle affir­mation fait fi de ce qui s’est imposé comme réalité dans d’autres conflits : les pri­son­niers, une fois libérés, peuvent jouer un rôle décisif dans la réa­li­sation de la paix. La libé­ration incon­di­tion­nelle des pri­son­niers poli­tiques est un signal fort que les ennemis endurcis d’hier sont enfin prêts à devenir des par­te­naires de paix. Alors que je suis les libé­ra­tions par phase des pri­son­niers pré-​​Oslo, je ne peux que me demander pourquoi ils ont du patienter 20 ans de plus après la conclusion des accords de paix d’Oslo de 1993.

L’injustice ne m’est pas étrangère. J’en ai souffert depuis un âge précoce et pour l’essentiel de ma vie. Lors de ma récente visite en Palestine, je l’ai reconnu sous une de ses formes les plus effrayantes : des maisons pales­ti­niennes démolies, le Mur de sépa­ration et de honte, les bar­rages mili­taires, l’extension des colonies israé­liennes. J’ai reconnu l’oppression et la ségré­gation. Mandela a déclaré que notre liberté serait incom­plète sans la liberté du peuple pales­tinien. Nous observons la Palestine d’aujourd’hui alors qu’elle poursuit sa longue marche vers la liberté et on ne peut que se sou­venir de ce que nous avons enduré sous l’apartheid.

Mal­heu­reu­sement, Israël refuse tou­jours de s’engager à mettre fin à son occu­pation de la Palestine. Alors même que les négo­cia­tions ont depuis long­temps com­mencé, et vacillé, Israël poursuit son occu­pation. C’est la lutte de notre peuple couplé à la pression inter­na­tionale qui a permis la libé­ration de Mandela et une tran­sition négociée vers une Afrique du Sud démo­cra­tique. Nous avons donc le devoir sacré de faire cam­pagne pour la libé­ration incon­di­tion­nelle de Marwan Bar­ghouthi et de tous les pri­son­niers poli­tiques pales­ti­niens comme étape indis­pen­sable vers la liberté du peuple pales­tinien et pour la paix dans la région.

L’apartheid, vaincu en Afrique du Sud, ne peut triompher en Palestine.

Source: Le Monde.fr

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article