"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)
23 Avril 2017
Par Arezki Metref, 23 avril 2017. Le Soir d'Algérie
Amina Arfaoui, une amie écrivaine tunisienne, apprend que celui que tout le monde appelle à Boudjima et à Tigzirt, Moh-Arezki, propriétaire du Bar du Marché, contribue chaque année au Salon du livre en invitant l’ensemble des participants à un grand et généreux repas. Elle lui dit :
- Tu es un mécène ?
Puis, elle s’enquiert :
- Tu sais ce que c’est un mécène ?
Moh Arezki lui décerne, en guise de réponse, son célèbre sourire malicieux.
Alors, elle raconte que Mécène était un homme politique romain, conseiller de l’empereur Auguste (vers 70 avant J.-C., 8 avant J.-C.) amoureux des arts. N’y étant pas doué par la nature, il mit sa fortune et son influence au service de la promotion des arts et des lettres. Son nom propre a fini par devenir un nom commun.
Mécène, Moh Arezki ? Oui, un vrai ! C’est grâce à des gens comme lui qu’une commune comme celle de Boudjima peut organiser pour la quatrième année consécutive un Salon du livre qui commence à devenir un événement national.
Nourredine Saâdi, dont un nouveau roman va paraître à la rentrée Boulevard de l’abîme, rend hommage, dans la salle de conférences de la bibliothèque Mohya de Boudjima, en compagnie du poète Benmohamed et de votre serviteur, à son ami Nabile Farès. Il trace le parcours littéraire de l’auteur de Yahia pas de chance en soulignant la fidélité de ce dernier à la prospection intellectuelle des origines et de l’universalité. Farès était un homme habité par l’écriture. Un poète dont la parole est profonde, vraie, cosmogonique.
Le Salon du livre de Boudjima se tient dans un lieu unique et assez étroit. Quand ça se remplit de visiteurs, on peut à peine bouger là-dedans, et ça a été le cas presque tout le temps. Victime de son succès ! Et voilà comment je tombe nez à nez avec Nacer Boudiaf.
- Tu fais quoi ?
- Je visite.
- Pourquoi tu n’es pas venu avec ton livre ?
La réponse se perd dans le brouhaha et la cohue de cet après-midi du vendredi.
Voilà, en tout cas, un signe de succès du Salon. Il prend du nerf.
En aparté, Youcef Tounsi, cet agronome tard venu à l’écriture mais qui brûle les étapes comme rattraper le temps perdu, raconte deux histoires de son enfance scolaire. Et pour cause, l’une et l’autre mettent en situation un auteur qui va compter dans la littérature algérienne.
L’une se passe vers 1957 au Clos Salembier à Alger, quartier acquis au FLN. L’école, perchée au-dessus du Ravin-de-la-Femme-Sauvage, vient de recevoir un nouveau directeur, très pointilleux sur la discipline. Il interdisait aux élèves de salir les murs de l’école ou du quartier. Or, un jour, il découvre que le mur de soutènement de l’école est taggué, comme on dirait aujourd’hui. Deux mots d’ordre antagoniques. Un Libérez Messali côtoie un Vive le FLN.
Le directeur découvre qu’on a écrit sauvagement sur les murs, enfreignant l’interdiction de salir les murs. Il ne remarque même pas ce qui y est écrit. Ce qui l’interpelle, c’est que les gamins ne respectent pas la discipline. Il mène une enquête et découvre trois ou quatre coupables. Youcef Tounsi est dans le lot. Il les fait venir dans son bureau. Il est furieux.
- C’est ainsi que j’ai reçu une gifle de Mouloud Feraoun, raconte Youcef Tounsi.
La deuxième anecdote, ou plutôt la deuxième histoire, a lieu à Baraki. Nous sommes en 1958-1959 dans une école dont le directeur est connu pour ses positions ultra. Youcef Tounsi et ses camarades ont un instituteur qui ne cache pas ses positions nationalistes en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Le directeur fait venir les parachutistes qui arrachent Tahar Oussedik de sa classe pour le jeter en prison.
On ne peut pas dire que Saïd Sadi n’est pas un intellectuel brillant. Qu’on soit d’accord ou pas avec lui politiquement, quand on l’entend parler, on est obligé de convenir qu’il sait vraiment causer et de quoi il cause. Il est venu présenter son dernier livre consacré à… Cherif Kheddam ! Eh oui, on ne le croirait pas, hein ? Un homme politique ne parle que de politique. Saïd Sadi interroge les icônes de son propre panthéon et il en extrait ce qui les fait inscrire dans le récit collectif.
M’hand Bouharati, citoyen de Boudjima, est un véritable taximan. Véritable ? Oui, présentable, il a en outre de la conversation. Et il a une curiosité intellectuelle et une humilité de plus en plus rare. Il s’implique à fond dans le Salon de Boudjima, considérant que c’est son devoir de citoyen que de contribuer à la vie culturelle de sa commune.
Smaïl Boukherroub, 53 ans, est le maire RCD de Boudjima. C’est grâce à lui et la contribution de plusieurs associations (dont la LACD, l’ACABM, ANZA, LYRA…) que le Salon de Boudjima tient et se développe. Ce n’est pas pour personnaliser le mérite mais il n’est pas sûr que sans son désir d’émancipation des administrés par la culture, l’initiative réussisse. Cela dit, il faut rendre hommage au dévouement, l’abnégation de tous ses collaborateurs, trop nombreux pour être cités ici.
Hacène Metref revient d’Iboudrarène où il a assisté à une cérémonie en hommage à M’barek Aït Menguellet, Amar Ould Hamouda et Salah Aït Mohand-Saïd, ces pionniers du nationalisme en Kabylie, exécutés injustement en mars 1956 par le FLN pour berbérisme. Il raconte que des milliers de citoyens se sont retrouvés là pour réparer cette innommable tragédie. «L’histoire revient sur les lieux du crime !» commente Hacène.
Abdelmadjid Merdaci, historien, est venu causer de l’occultation de l’Histoire. Réaction d’un membre du RPK (Rassemblement pour la Kabylie) lors du débat : «Je me sens plus proche d’un non-Kabyle qui milite pour la démocratie que d’un Kabyle comme Ouyahia ou Sellal. Comme quoi, la fracture n’est pas entre Kabyles et non-Kabyles mais dans la façon de concevoir l’avenir de l’Algérie.»
Un bus pour la lecture est venu d’Oran, envoyé par le Petit Lecteur, pour initier les enfants à cette joie qui consiste à déchiffrer les lettres. Et on les voit à l’entrée du salon à se régaler.
Participation dense des éditeurs. Petits et grands, ils ont tous leur place à Boudjima. Et impressionnante participation d’auteurs qui s’autoéditent. Tous ceux-là qui, on le sait, n’ont aucune chance dans un grand salon. C’est aussi ça, Boudjima !
Source : Le Soir d'Algérie