"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)
15 Juin 2017
Libre-Algérie, 14 juin 2014
La victoire écrasante des partisans du président français au premier tour des élections législatives du 11 juin 2017, l’échec politique de Theresa May aux législatives du 8 juin au Royaume-Uni et les difficultés persistantes de Donald Trump aux Etats-Unis ont amené les libéraux et leurs médias à célébrer un « tournant historique », la « fin du populisme », du « repli sur soi » (Brexit, « l’Amérique d’abord », sortie de l’euro…) et le triomphe des idées « progressistes », d’« ouverture » et de « globalisation heureuse ». Le monde renouerait enfin avec l’optimisme !
Le monstrueux appareil de propagande occidental, servile à l’égard des puissants et impitoyablement cruel à l’égard des dominés et des déshérités, considère qu’après avoir cédé aux mirages des extrêmes et autres populistes, les électeurs seraient redescendus sur terre grâce à l’incessant travail d’explication et à l’inlassable œuvre de pédagogie menés par les néolibéraux.
La fin annoncée du populisme
En France, Jupiter (Zeus chez les grecs), réincarné en la personne du Dieu Macron, aurait réussi à convaincre les électeurs de la nécessité de se sacrifier sur l’autel de la prospérité économique d’une infime minorité de riches et de puissants insérés dans la « mondialisation heureuse ».
C’est cette même minorité, représentée par la troïka (FMI, Banque centrale européenne et Commission de l’UE), qui martyrise le peuple grec depuis des années et qui rêve d’étendre cette thérapie de choc à tous les pays de l’OCDE.
Depuis quarante longues années, les apôtres du libre-marché promettent qu’après la pluie (récession/austérité) viendra le beau temps (reprise/prospérité) pour tous. Cela fait des années qu’ils vendent au peuple grec cette dialectique infernale en vertu de laquelle l’avènement d’une ère de prospérité passe obligatoirement par la case paupérisation. Ils lui imposent en conséquence des mesures d’austérité toujours plus rudes sans que celui-ci ne voie enfin le début de la fin du tunnel.
La défaite de May, analysée comme une remise en cause du Brexit, la victoire du mouvement En Marche et les ennuis politico-judiciaires à répétition de Donald Trump poussent les dirigeants du G7, ceux des organisations financières internationales et leurs relais médiatiques à annoncer victorieusement la fin d’un cycle populiste.
Matraqués en continu par des médias aux ordres, les citoyens du « monde libre » peuvent aisément être victimes d’une illusion d’optique. Ce n’est pas le cas de leurs dirigeants particulièrement cyniques. Pendant que le dispositif médiatique tente de désamorcer toute résistance populaire d’envergure, ces dirigeants s’engagent dans une course de vitesse pour faire passer leur politique en force.
La perte de sa majorité absolue n’empêche pas Theresa May de tenter de former un gouvernement minoritaire, voire de s’associer à un petit parti nord-irlandais réactionnaire. Emmanuel Macron devrait disposer dans quelques jours d’une majorité absolue à l’Assemblé nationale. Il maintient pourtant sa décision de contourner la chambre basse en faisant passer par ordonnances sa politique de casse du droit du travail. Un tel empressement à placer le Parlement hors-jeu est révélateur d’un manque de confiance. L’avenir serait-il moins radieux qu’annoncé ? Cela paraît évident.
Il n’aura pas échappé aux néolibéraux que leurs victoires politiques sont extrêmement fragiles. L’exemple le plus frappant est celui de Macron dont le raz-de-marée électoral aux législatives découle d’un système électoral inique où l’absence de proportionnelle exclut ou marginalise, à tout le moins, 50% des électeurs. Surtout, son mouvement politique s’apprête à disposer de la majorité absolue à l’Assemblée nationale alors qu’il ne représente que 15% de l’électorat. On est loin d’une révolution culturelle.
Diversité et renouveau
Quant à la « diversité » et le « renouveau » dont En Marche se réclame, elle n’est que poudre aux yeux. Une étude du Centre d’études politiques de Sciences Po (Cevipof) révèle que 68,6% des candidats du mouvement sont issus des classes supérieures :
« … on retrouve plus de 17% de chefs d’entreprise (de PME et TPE principalement), 20% de cadres supérieurs ou dirigeants d’entreprises, 12% de personnes issues de professions libérales. »1
Et alors que 23% des candidats sont issus des classes moyennes, on ne compterait que 8,5% de candidats des classes populaires, dont aucun ouvrier alors que les ouvriers représentent 20% de la population active française et un peu moins de 10% de la population totale.
Luc Rouban, le directeur de recherche au CNRS qui mené l’étude, attire l’attention sur le fait que « le renouvellement du personnel politique […] implique également une ouverture et une diversification de leur recrutement social afin que les élus ne puissent plus être considérés comme les représentants d’une oligarchie qui s’auto-reproduit »2. Mais il constate que « sur ce terrain, le renouvellement n’a pas eu lieu, bien au contraire ».
Ce caractère de classe oligarchique des futurs élus de la majorité et de leur politique contre les acquis sociaux des classes populaires de France explique pourquoi Macron compte proposer au Parlement de prolonger l’état d’urgence jusqu’au 1er novembre 2017.
A cette date, cela fera deux ans que ce régime d’exception est en vigueur. A moyen terme et dans un souci de désamorcer les critiques, le nouveau Président français a l’intention d’abroger l’état d’urgence mais d’intégrer ses mesures liberticides dans le droit commun.
Ainsi, et après avoir contourné la représentation nationale en recourant au 49.3, le gouvernement Macron s’apprête à poursuivre et accentuer la politique répressive des gouvernements de François Hollande. Est-il possible, surtout dans un pays comme la France, de mener une politique antipopulaire de façon démocratique ? Les atteintes à la démocratie au « pays des droits de l’Homme » devraient se multiplier alors que la situation dans ce domaine s’est fortement dégradée depuis une année au moins.
Un rapport récent d’Amnesty International (3) sur les conséquences de l’état d’urgence concernant le droit de manifester met en cause les interdictions de manifester prises par le gouvernement Valls/Cazeneuve dans le cadre de l’état d’urgence, ainsi que les modalités du maintien de l’ordre, en particulier à l’occasion des manifestations contre la loi Travail, dite loi El Khomri.
La lame de fond
C’est ailleurs qu’il convient de rechercher la vague montante porteuse de renouveau et de diversité. Il s’agit en réalité d’une lame de fond dont Bernie Sanders, Jean-Luc Mélenchon, Jeremy Corbyn, Pablo Iglesias représentent quelques-unes des figures les plus connues.
Une étude du Centre d’Information et de Recherche sur l’Apprentissage Civique et l’Engagement (Circle) révèle ainsi que Bernie Sanders (75 ans) avait recueilli plus de 2 millions de voix (70%) des électeurs de 17-29 ans à l’occasion de la primaire démocrate américaine de 20164.
En France, un sondage Ipsos a montré « que 30% des jeunes âgés de 18 à 24 ans ont voté pour Jean-Luc Mélenchon. »5 Le vieux député européen de 65 ans devance ainsi le « plus jeune président » de la République française qui, âgé de 39 ans, n’a recueilli que 18% des électeurs de la même tranche d’âge.
Quant au vieux Jeremy Corbyn (68 ans), « ce sont plus de 60% des jeunes âgés de 18 à 24 ans qui ont voté en faveur du parti travailliste selon le magazine The Economist. »6
L’enthousiasme suscité par le programme du candidat travailliste, « For the many not the few » (Pour le plus grand nombre, pas pour la petite élite), et sa capacité à le porter dans les meetings et les débats télévisés ont amené « plus d’un million de jeunes de 18-24 ans [à s’inscrire] sur les listes électorales […] dont la majorité pour voter travailliste. Et plus important, 74% d’entre eux ont voté quand seulement 43% ont voté en 2015. »7
La dynamique Corbyn ne s’est pas arrêtée là puisque les 14 syndicats affiliés au Parti travailliste ont été rejoints par de nouveaux syndicats comme ceux des fonctionnaires PCS (Public and Commercial Services Union) et des transports RMT (Britain’s largest Specialist Transport Union).
Le Parti travailliste a surtout connu une progression électorale historique. Initialement donné à 26% par les sondages, il a atteint le score de 40% le jour du scrutin. Ni en 2001 ni en 2005, Tony Blair pourtant au faîte de sa gloire n’avait obtenu un tel score. Les travaillistes gagnent donc plus de 30 sièges là où le parti conservateur de la Première ministre en perd 13 et avec eux la majorité absolue qu’ils détenaient jusque-là.
Les libéraux n’ont donc pas de quoi pérorer. Leur triomphe actuel se compose en vérité de victoires en trompe-l’œil. La véritable vague qui monte est celle des forces antilibérales. C’est elle qui marquera de son empreinte les prochaines années, à condition qu’elle s’avère en mesure d’organiser la résistance et de préparer une contre-offensive afin de porter cette alternative au pouvoir.
Source : Libre-Algérie
NOTES