"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)
10 Septembre 2017
Dans sa hâte de prévenir le développement du mouvement revendicatif, inévitable en cas d'aggravation de la politique d'austérité contre les salariés, le gouvernement n'attend pas la confection d'un nouveau Code du travail conforme à ses désirs répressifs. Ignorant que la loi de 1990 (Code du travail) définit précisément les "Missions et compétences de l’inspection du travail", et offre un cadre de prévention et de règlement des conflits du travail, le gouvernement adresse des "instructions" aux inspecteurs du travail où il leur assigne le rôle de police préventive de la paix sociale, au service des walis.
L'Inspection du travail dans le "mécanisme"
Selon le quotidien proche du pouvoir L'Expression "Le ministre du travail a adressé une instruction aux inspecteurs du travail, régionaux et de wilaya, dans laquelle, il a insisté sur la nécessité d'asseoir la paix sociale dans le monde du travail, particulièrement dans les secteurs d'activité sensibles qui sont régulièrement frappés par des conflits cycliques (...) Dans ce canevas de mécanismes, l'inspection du travail jouit d'un rôle-clé. Celle-ci se veut le catalyseur du comité interministériel de suivi des conflits collectifs de travail. Sa fonction n'est plus apparentée à celle de gendarme devant sévir en cas de litiges, mais à celle de conseiller et de précurseur du dialogue et de la communication. L'autre mécanisme tout aussi important, sinon déterminant, est l'observatoire qui encourage la coordination entre les secteurs d'activité, à travers la collecte des informations et des données statistiques sur les conflits et les grèves enregistrées. Il a vocation d'anticiper les situations conflictuelles. Il est un dispositif de veille et de prévention".
On le sait en Algérie, l'Inspection du travail n' a jamais été dotée des moyens de jouer pleinement le rôle qui lui a été dévolu par la Loi, dont voici les titres:
Loi n°90-03 du 6 février 1990 modifiée
Art.1.-
La présente loi a pour objet de déterminer les missions et compétences de l’inspection du travail ainsi que les attributions des inspecteurs du travail.
Titre 1 - Missions et compétences de l’inspection du travail
Art.2.-L’inspection du travail est chargée :
• d’assurer le contrôle de l’application des dispositions législatives et réglementaires relatives aux relations individuelles et collectives de travail, aux conditions de travail, d’hygiène et de sécurité des travailleurs ;
• de fournir des informations et des conseils aux travailleurs et aux employeurs sur leurs droits et obligations et sur les moyens les plus appropriés d’appliquer les dispositions légales, réglementaires et conventionnelles et les sentences arbitrales ;
• d’assister les travailleurs et employeurs dans l’élaboration des conventions ou accords col-
lectifs de travail ;
• de procéder à la conciliation, au titre de la prévention et du règlement des différends collectifs de travail ;
• de porter à la connaissance des travailleurs et des employeurs la législation et la réglementation du travail ;
• d’informer les collectivités locales sur les conditions de travail dans les entreprises relevant de sa compétence territoriale ;
• d’informer l’administration centrale du travail de l’état d’application de la législation et de la réglementation du travail et de proposer les mesures d’adaptation et d’aménagement nécessaires.
Art.3.-L’inspection du travail s’exerce dans tout lieu de travail où sont occupés des travailleurs salariés ou apprentis de l’un ou de l’autre sexe, à l’exclusion des personnels soumis au statut de la fonction militaire et les établissements dans lesquels les nécessités de défense ou de sécurité nationale interdisent l’introduction de personnes étrangères.
Art.4.-Les attributions de l’inspection du travail s’exercent par des agents spécialisés dénommés ci-après « inspecteurs du travail ». L’organisation et le fonctionnement de l’inspection du travail ainsi que le statut des inspecteurs du travail sont définis par voie réglementaire.
Lire le détail de la loi sur ilo.org
La prévention et le règlement des conflits
Par Mohammed Nasr-Eddine Koriche
Les nouvelles procédures de conciliation, introduites dans le droit par la réforme de 1990, viennent se substituer à des procédures bureaucratiques, impliquant des instances de l’Administration, du parti au pouvoir et du monde du travail, auxquelles la législation de la période antérieure soumettait le règlement des conflits collectifs, en raison de leur poids idéologique.
La conduite de la procédure de conciliation est de la compétence de l’inspecteur du travail, lorsqu’il est saisi par l’une des parties au conflit. L’employeur et les représentants des travailleurs sont légalement tenus de se présenter aux audiences de conciliation. Si elle réussit, la conciliation aboutit à la rédaction d’un procès verbal de conciliation qui enregistre l’accord réalisé. En cas d’échec, l’inspecteur du travail établit un procès-verbal de non-conciliation.
Lorsque l’échec de la tentative de conciliation est ainsi constaté, plusieurs options peuvent être envisagées. Les parties peuvent convenir de recourir aux procédures facultatives de médiation ou d’arbitrage, comme on le verra plus loin. Si la médiation n’a pas été envisagée, ou bien qu’elle l’a été mais sans succès, les salariés peuvent décider de déclencher une grève. Par contre, si les parties au conflit ont convenu de se soumettre à l’arbitrage, le recours à la grève ne peut s’exercer, et la grève qui aura été déclenchée, avant le compromis d’arbitrage, doit s’arrêter. Enfin, l’échec de la conciliation, et éventuellement de la médiation, ouvre la voie à l’action en justice, notamment si le conflit est de droit.
La conciliation obligatoire du conflit individuel, aussi bien que celle du conflit collectif, donne lieu, si elle réussit, à un résultat qui a valeur contractuelle, et met fin définitivement au conflit. L’accord de conciliation bénéficie en quelque sorte de l’ « autorité de la chose jugée ». Si l’accord de conciliation d’un conflit n’est pas respecté, par l’une des parties, son exécution pourra faire intervenir le tribunal qui prendra une ordonnance à cet effet.
Il convient de relever les limites des procédures de conciliation, et des accords auxquels elles pourraient aboutir, lorsque le conflit individuel ou collectif porte sur un point de droit. La loi prévoit, en effet, à titre de règle générale, la nullité des actes de renonciation ou de transaction à travers lesquels les travailleurs, ou leur représentants, acceptent des conditions moins avantageuses que celles qu’offrent les droits fixés par les normes impératives contenues dans la loi et les conventions ou accords collectifs de travail.
Dans la pratique, les procédures de conciliation sont certes appliquées, puisque obligatoires ; mais les résultats ne sont pas satisfaisants. Ces procédures sont généralement accomplies avec l’esprit qu’il s’agit de simples formalités par lesquelles il faut passer, avant d’aller devant les juges lorsqu’il s’agit du conflit individuel, ou avant de déclencher la grève lorsqu’il s’agit d’un conflit collectif.
Dans les établissements, institutions et organismes publics à caractère administratif, ainsi que les administrations centrales de l’État, des wilayas et des communes, il n’existe pas de procédures de conciliation des conflits individuels de travail. La tentative de règlement préalable, avant tout recours éventuel à la juridiction administrative, relève des voies ordinaires du recours auprès de l’autorité hiérarchique supérieure. En revanche, lorsqu’il s’agit des conflits collectifs de travail, la loi prévoit des procédures de conciliation selon des règles particulières. L’autorité administrative compétente au niveau de la commune, de la wilaya ou d’un ministère, selon le cas, saisie par les représentants des travailleurs, réunit les parties au différent pour une tentative de conciliation, en présence de représentants de l’autorité chargée de la fonction publique et de l’inspection du travail. Au terme de la procédure de conciliation, l’autorité hiérarchique supérieure établit un procès-verbal signé des parties consignant les accords éventuels intervenus. Les questions sur lesquelles persiste le désaccord font l’objet de propositions transmises à l’autorité chargée de la fonction publique.
Comme dans le secteur économique, ce n’est que lorsque le différend persiste, après épuisement des procédures de conciliation, que les agents publics peuvent recourir à la grève.
Médiation et arbitrage
La médiation et l’arbitrage sont des procédures nouvelles, introduites par la législation de 1990. Elles ne se rattachent qu’aux modes de règlement des conflits collectifs de travail. L’une et l’autre de ces deux procédures sont facultatives. Il n’est possible de recourir à la procédure de médiation ou d’arbitrage que si le conflit collectif a été au préalable soumis, sans succès, à la procédure de conciliation obligatoire.
La médiation. Elle peut être choisie par les parties pour tenter de résoudre un conflit, alors qu’aucune grève n’est encore déclenchée. Le médiateur est désigné librement d’un commun accord. Il joue le rôle d’un expert qualifié investi de la confiance des deux parties ; il reçoit d’elles les informations utiles sur le conflit qui les oppose. Mais la loi ne lui confère pas expressément des pouvoirs d’investigation en rapport avec l’accomplissement de sa mission. En matière de législation du travail, il peut se faire assister par l’inspection du travail. La mission du médiateur s’exprime dans des propositions de solutions de règlement du conflit sous forme de recommandation. Cette recommandation est proposée à l’approbation des parties, et n’a donc aucun caractère obligatoire.
En cas de grève, et lorsque les positions des parties font présumer des difficultés de négociations directes, l’autorité publique (le ministre du secteur concerné, le wali ou le président de l’Assemblée populaire communale – APC) est légalement habilitée pour désigner un médiateur de son choix, en vue de soumettre aux parties en conflit des propositions de règlement, qu’elles restent cependant libres d’accepter ou de refuser.
L’arbitrage. Comme la médiation, l’arbitrage suppose toujours l’accord des parties. Lorsque la grève n’est pas encore déclenchée, les parties à un conflit collectif de travail, peuvent décider, d’un commun accord, de faire trancher celui-ci par des arbitres. L’arbitre est un particulier, « juge privé », choisi librement par les parties.
La procédure est celle du droit commun de l’arbitrage contenu dans le code de procédure civile. Les parties dressent un compromis d’arbitrage pour définir la mission de l’arbitre. Mais comme le droit du travail est constitué très largement de dispositions d’ordre public, il convient de rappeler que selon les prescriptions du Code de procédure civile, on ne peut compromettre sur les questions concernant l’ordre public. L’arbitre rend une sentence, en dernier ressort, qui tranche définitivement le conflit. Si en droit commun, cette sentence est dépourvue par elle-même de force exécutoire, qu’elle n’acquiert que par la formalité de l’exequatur, en droit du travail, elle s’impose, par l’effet d’une règle légale spéciale, aux parties qui sont tenues d’en assurer l’exécution. Mais l’exequatur pourrait être nécessaire, si les parties ne jouent pas le jeu, dans le cadre d’une exécution forcée.
Dans la réalité, force est d’observer que depuis l’introduction de cette procédure par la législation de 1990, aucun des partenaires ne s’est montré favorable à cette intervention autoritaire d’un tiers. Du côté des organisations syndicales on peut le comprendre, puisque l’acceptation de l’arbitrage a pour conséquence légalement établie de rendre illégal tout recours ultérieur à la grève pour obtenir de l’employeur des concessions sur les questions soumises à l’arbitrage.
En dehors du droit commun de l’arbitrage, la législation du travail prévoit une procédure spéciale qui permet, alors qu’une grève est déclenchée, d’imposer aux parties le recours à l’arbitrage hors tout compromis. En effet, en cas de persistance de la grève, et après échec de la médiation initiée par l’autorité publique concernée, celle-ci peut décider, lorsque selon les termes de la loi « des nécessités économiques et sociales l’exigent », de déférer, après consultation de l’employeur et des représentants des travailleurs, le conflit collectif de travail devant une commission nationale d’arbitrage ad hoc. Cette instance est présidée par un magistrat de la Cour suprême (le président de la chambre sociale de cette Cour). Elle se compose de représentants des travailleurs et d’employeurs (dont un représentant de l’autorité chargée de la fonction publique), ainsi que de représentants des ministères chargés du Travail, de la Justice, des Finances et de l’Intérieur. Les sentences arbitrales sont rendues exécutoires par ordonnance du premier président de la Cour suprême.
Source : https://anneemaghreb.revues.org/351