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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

Le peuple algérien est-il condamné à arbitrer la bataille entre oligarques ?

photo DR

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Par Ramdane Mohand Achour, 25 octobre 2017. Libre-Algérie

Alors que les Algériens inquiets ont le regard braqué sur des indicateurs économiques et sociaux incertains, la menace pourrait finalement provenir de la scène politique où les différentes fractions de l’oligarchie se disputent de plus en plus âprement le pouvoir et les richesses du pays. A la  guerre de positions qu’elles se livrent désormais ouvertement au sein des appareils du régime (Présidence, gouvernement, ministères, FCE…) dans le but de régler leurs différends vient s’ajouter une tentative d’instrumentalisation des travailleurs, des syndicats et de la population.

Cela fait plusieurs mois en effet que les travailleurs de Cevital ont été symboliquement enrôlés dans la bataille qui oppose leur patron à la direction de l’Entreprise du port de Bejaïa (EPB). Un « comité citoyen de soutien aux travailleurs de Cevital et aux investissements économiques » a ainsi vu le jour dans l’ancienne capitale des Hammadites. Des citoyens, des forces politiques ou associatives ont tout à fait le droit de soutenir les revendications du PDG de la firme de M. Rebrab. Mais leur est-il si difficile de l’assumer sans se cacher derrière le paravent d’un prétendu soutien aux travailleurs qui n’en est pas un ?

Un « soutien aux travailleurs » à géométrie variable

La référence aux travailleurs aurait été crédible si les forces qui ont constitué et qui animent le dit-comité s’étaient mobilisées ou même seulement alarmées lorsque, sans état d’âme aucun, les responsables du groupe Cevital licencièrent en 2012 des travailleurs de l’usine de Bejaïa qui voulaient, comme la loi de la République leur en donne pourtant le droit, former une section syndicale. Si elles s’étaient mobilisées pour soutenir les travailleurs de Samsung/Samha à Sétif qui durent faire grève en 2014 pour tenter d’arracher le droit constitutionnel de se doter d’une section syndicale. Si elles avaient dénoncé, il y a quelques mois à peine, le licenciement abusif et contraire à la loi de toute la section syndicale UGTA du quotidien Liberté. Si elles revendiquaient également à ce jour la fin du climat d’intimidation à l’égard des salariés qui règne au sein de cette entreprise.

Il ressort de tout cela que l’enseigne « soutien aux travailleurs » affichée par le « comité citoyen » vise en réalité à soutenir les intérêts économiques de Cevital – ce qui, réaffirmons-le, est leur droit le plus absolu – et non à défendre les travailleurs. Car lorsque l’on prétend soutenir les travailleurs, on les défend aussi lorsqu’ils sont confrontés à l’autoritarisme et à l’arbitraire des investisseurs économiques. On ne peut défendre les travailleurs de Cevital lorsqu’ils semblent avoir des intérêts communs avec leur patron et ne pas les défendre lorsque leurs intérêts les opposent légitimement à leur patron. Il y a quelque chose de malsain dans ce soutien à géométrie variable. Et cela ne constitue manifestement pas une première.

Une dangereuse escalade

Passant à une étape supérieure, ce comité appelle maintenant « le peuple algérien » à une marche populaire à Bejaïa le 29 octobre prochain pour exiger « l’accostage des bateaux transportant les équipements du projet de réalisation de l’usine de trituration de graines oléagineuses au port de Bejaïa ».

Un comité du même type vient même de se constituer à Oran et a donné une conférence de presse. Certains titres de la presse privée qui rapportent cette initiative indiquent qu’une marche serait en préparation dans la capitale de l’ouest. D’autres comités semblables sont en voie de formation à Sétif, Bordj Bou Arreridj, Tizi Ouzou…

Ces comités qui essaiment à travers le territoire national vont se coordonner afin de participer à la manifestation du 29 octobre et mener leur combat au niveau central, c’est-à-dire du gouvernement. Car les animateurs de cette initiative appellent tous les Algériens à se mobiliser pour « créer le rapport de force nécessaire pour l’adhésion de la population aux revendications d’investissement ». Dans leur partie de bras de fer avec les autorités, les partisans du patron de Cevital passent ainsi à une vitesse supérieure. L’affaire devient politique et ils en appellent à la population pour faire basculer le rapport de forces en leur faveur.

Face au groupe Cevital et à ses partisans, le FCE

L’autre fraction d’oligarques se regroupe autour du Président du Forum des chefs d’entreprises (FCE). Après avoir mené la fronde contre la politique dite de « patriotisme économique » d’Ahmed Ouyahia, politique soupçonnée sans peur du ridicule d’être « socialiste », le FCE version Reda Hamiani a connu un « redressement interne » à la faveur de l’élection présidentielle de 2014. Une nouvelle étoile fut alors mise en orbite en la personne d’Ali Haddad qui s’était fort opportunément engagé durant la campagne électorale aux côtés du candidat-président, contrairement à d’autres poids-lourds du patronat qui quittèrent le FCE à cette occasion. Parmi eux Issad Rebrab.

Le compagnonnage du FCE avec la présidence de la République dotera cette organisation patronale d’une puissance inégalée jusque-là, au point où son président se permettra une grossière entorse au code protocolaire au détriment des représentants du gouvernement lors du Forum africain de l’investissement organisé en décembre 2016 à Alger. La méthode cavalière avec laquelle l’éphémère prédécesseur d’Ahmed Ouyahia, Abdelmadjid Tebboune, fut éjecté de son siège en août dernier pour avoir, entre autres, osé s’attaquer de front au Président du FCE a confirmé les liens privilégiés de ce dernier avec la présidence de la République.

Ancien chef de cabinet d’Abdelaziz Bouteflika, Ahmed Ouyahia vient de célébrer les retrouvailles avec son « ami oligarque Ali Haddad », sous le regard attendri du témoin et néanmoins secrétaire général de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), Abdelmadjid Sidi Saïd. A l’occasion de « l’université du FCE », l’actuel Premier ministre n’a pas caché ses liens avec les membres du FCE en clamant haut et fort :«Notre plaisir d’être avec vous ici se renforce du fait que nous sommes politiquement dans le même camp, le camp de l’Algérie, le camp de ceux qui respectent les institutions de l’Etat, à leur tête le président Abdelaziz Bouteflika.»

L’amalgame s’avère ici complet, « le camp de l’Algérie » étant purement et simplement assimilé au camp de Bouteflika… Que le Premier ministre, comme tous ceux qui l’ont précédé, se réclame du Président qui l’a désigné relève de son droit le plus absolu. Mais cela est plus fort que lui, Ahmed Ouyahia ne peut s’empêcher, comme son ami Ali Haddad, d’être arrogant. Le camp politique du pouvoir se voit ainsi décerner le titre de « camp de l’Algérie ». Et tant pis pour les opposants rejetés hors du « camp de l’Algérie » !

Objectif stratégique commun, tactiques divergentes

On voit ainsi deux fractions s’opposer parmi les oligarques. Ces deux fractions partagent le même objectif stratégique, mais divergent sur la tactique. Leur objectif commun est de permettre au patronat de ne plus être corseté par les tenants de l’administration. La classe dominante qu’il représente a naturellement vocation, selon elles, à accéder enfin au statut de classe gouvernante accaparé jusqu’à aujourd’hui par la petite bourgeoisie. D’où cette non-coïncidence entre intérêts du patronat privé et politique gouvernementale.

Les deux fractions divergent en revanche sur la tactique. L’une s’avère proche des idées et de la démarche de l’opposition libérale de Zéralda. Voilà pourquoi les plus radicaux d’entre eux en appellent aujourd’hui à la mobilisation des « travailleurs et du peuple ». L’autre dispose du soutien de l’appareil de l’UGTA et des institutions de l’Etat. Elle a choisi de faire de l’entrisme et non d’emprunter la voie dangereuse de l’opposition frontale.

Des reclassements ne sont bien évidemment pas à exclure, certains patrons voire certaines organisations patronales passant d’un camp à l’autre.  Comme le fit le FCE avec armes et bagages en 2014. Mais les divergences pourraient également s’approfondir et se cristalliser pour déboucher sur des affrontements plus forts.

Une telle situation, qui rappelle la période de la veille d’Octobre 1988, serait inquiétante. Elle doit amener les travailleurs et les citoyens à redoubler de vigilance afin de ne pas se laisser manipuler par des apprentis-sorciers. Si les travailleurs et les citoyens doivent se mobiliser, s’organiser et lutter, qu’ils le fassent pour la défense de leurs propres intérêts et la préservation de leurs droits et non pour servir de bélier à des groupes d’oligarques, que ce soit celui des initiateurs du « comité de soutien aux travailleurs de Cevital et aux investissements économiques » ou celui de la direction de l’UGTA qui s’est placée à la remorque du FCE.

Source : Libre-Algérie

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