"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)
1 Décembre 2018
Ouyahia veut reprimer davantage les manifestations de rue qualifiées par amalgame de désordres. Si les quotidiens Le Soir d'Algérie et l'Expression soutiennent cette volonté du pouvoir de réprimer la présence citoyenne dans l'espace public, Liberté et El Watan se démarquent nettement tandis que le Quotidien d'Oran exprime sans détours sa réprobation.
"Bouteflika oriente, Ouyahia traduit", selon l'éditorialiste de l'Expression Zouhir Mebarki. Sous le titre "Après bouteflika, Ouyahia insiste sur la stabilité du pays : Main de fer contre les conspirateurs", Saïd Boucetta enchaîne: " Il n'est donc pas question que l'Etat fasse montre d'une quelconque faiblesse devant une tentative de trouble à l'ordre public, quel qu'en soit le motif apparent. On le sait très bien, pour l'avoir déjà constaté, que des desseins peu avouables se drapent de contestation sociale pour aboutir à des objectifs de déstabilisation".
Le Soir d'Algérie approuve l'accentuation de la répression. Kamel Amarni la décrit même comme une redressement salutaire : "Il faut dire, en effet, que depuis quelques années, notamment avec l’avènement brutal du «printemps arabe», l’Etat a sciemment fermé les yeux, se distinguant parfois par un laxisme excessif à l’égard de ce phénomène de la violence et même d’incivisme qui s’est propagé de manière alarmante. En août dernier, Ouyahia avait d’ailleurs dénoncé «cette propension au populisme chez certains, dès qu’il s’agit de combattre les troubles et l’émeute».
"Ouyahia prône le tout-répressif" titre crûment Liberté le quotidien au plus fort tirage de la presse francophone. "Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui a clôturé jeudi les travaux de la rencontre gouvernement-walis, a emboîté le pas au président Bouteflika, en recommandant, lui, aux walis de la sévérité dans la gestion des manifestations de rue qu’il a choisi d’assimiler à du “désordre”.
Ce matin l'éditorial d'El Watan est centré sur le volonté du pouvoir de prévenir les manifestations populaires à l'occasion des matchs de foot. Sous le titre "Apaiser les tensions avant la présidentielle" Abdelghani Aichoun écrit :
"Les plus hautes autorités du pays ne veulent surtout pas de stades chauffés à blanc et tendus lors de la période d’organisation de ce rendez-vous électoral". Analysant l'activisme actuel des instances du foot, l'éditorialiste note : "Toutes ces décisions ou mesures entrent dans le cadre d’une logique d’«apaisement» de la part de la Fédération algérienne de football qui, bien qu’«autonome» sur le plan réglementaire, ne peut agir de son propre chef lorsqu’il s’agit, aux yeux des responsables du pays, de la «sécurité nationale», surtout quand cela coïncide avec un rendez-vous électoral d’une telle importance. Depuis le début de saison, plusieurs galeries des clubs de l’élite ont scandé des chants relatifs à la situation du pays, mais aussi à l’état de santé du chef de l’Etat. Il ne faudrait surtout pas que ces slogans, confinés jusque-là à l’intérieur des stades, gagnent la rue…"
Dérapages et menaces
L'éditorial du Quotidien d'Oran
Par Mahdi Boukhalfa, 1er décembre 2018
Le Premier ministre Ahmed Ouyahia et chef de la seconde formation politique du pays a délivré un message bien curieux jeudi aux chefs de l'exécutif des wilayas qu'il a réunis lors de la traditionnelle rencontre gouvernement-walis. Ahmed Ouyahia a-t-il fait un dérapage de trop en appelant les walis, premiers responsables des services de sécurité au niveau local, «à faire usage -avec discernement- des moyens préventifs et de maintien de l'ordre» que sont» les importantes forces de police et de gendarmerie parfaitement formées pour contenir toutes tentatives de semer le trouble dans les cités, dans les stades et sur la voie publique» ?
En clair, le gouvernement voit dans toute manifestation de protestation, quel que soit son objectif, y compris celle de défense des droits de l'homme, d'une marche citoyenne pour rappeler au gouvernement ses engagements en matière de protection du pouvoir d'achat des travailleurs, de la liberté d'expression, uniquement des «tentatives de semer le trouble». Pour le chef de l'exécutif, il est hors de question, et c'est là une constante de tous les gouvernements depuis 2014, même après la mise en place et l'adoption de la nouvelle Constitution, d'autoriser les manifestations ou toute expression populaire dans les villes du pays.
L'interdiction qui frappe la libre expression citoyenne dans les grands centres urbains où toute manifestation populaire, même au cachet culturel ou contre la cherté de la vie par exemple, est ainsi confirmée, sinon renforcée officiellement par le Premier ministre qui n'hésite donc pas à autoriser, avec un bel angélisme, «les walis à faire usage avec discernement des moyens préventifs et de maintien de l'ordre».
En mettant de côté les raisons sociologiques, politiques ou économiques de la «colère» citoyenne, ou l'attrait de l'immigration clandestine pour des milliers de jeunes Algériens, souvent morts noyés en mer, le gouvernement et les pouvoirs publics montrent à quel point ils sont en décalage par rapport à la réalité des Algériens. En voulant mater «les troubles dans les cités, dans les stades et sur la voie publique», le Premier ministre fait montre d'une inquiétante ignorance de la triste et déprimante vie de la majorité des jeunes Algériens.
Faut-il également sortir le bâton, selon cette logique d'Ouyahia, à la moindre colère du petit peuple contre les politiques budgétaires désastreuses de gouvernement que la Cour des comptes vient de dévoiler ? Dès lors, il n'y a aucune différence à faire pour réprimer les dérapages violents de supporters dans et en dehors des enceintes sportives, dénoncés d'ailleurs par la société civile, et les manifestations citoyennes d'ONG et de la société civile, et surtout des partis politiques et syndicats, empêchés, comme au temps du parti unique, de s'exprimer librement à travers des marches citoyennes.
Le Premier ministre, en principe ce sera lui qui va préparer la prochaine élection présidentielle, ne sait-il pas en réalité qu'il est en train de verrouiller irrémédiablement cette belle liberté d'expression, défendue par le président Bouteflika ?
Curieusement, ce discours du Premier ministre a été donné le jour où des dizaines de jeunes à Alger sont sortis dans la rue rappeler au gouvernement ses échecs répétés, ses promesses non tenues, qui font fuir du pays des centaines de jeunes, dont beaucoup, malheureusement, périront en mer.
Source : Le Quotidien d'Oran