"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)
8 Janvier 2019
“Une dalle en béton d’un chantier s’est effondrée, ce matin dans la commune de Rahmania à Alger, causant le décès de deux personnes et trois autres ont été blessées”. Le drame a eu lieu sur le chantier d’un programme AADL dans la wilaya de Blida. Dans cette même wilaya, une jeune architecte a été tuée, il y a quelques jours, à Bouinane, suite à la chute d’une brique.
A propos de la prévention et de la protection sur les chantiers
Par Keira Bachar, 11 novembre 2016
Quand on aborde le sujet du bâtiment et des travaux publics au Maghreb et dans les pays dits «en développement », on entend souvent parler du manque de moyens financiers, du manque de qualité des travaux exécutés, du manque de savoir- faire technique, du manque de matériaux de construction, du manque de main d’œuvre qualifiée, du manque de respect des délais impartis pour la réalisation des travaux, mais on entend moins souvent parler du manque de prévention et de protection des ouvriers sur les chantiers.
Pourtant le secteur du BTP est l’un des plus accidentogène, puisque d’après l’Organisation Internationale du Travail (OIT), environs un décès se produit toutes les dix minutes dans le secteur du bâtiment dans le monde.
En Algérie par exemple, pays en plein développement, où les chantiers de construction publics et privés, prolifèrent aux quatre coins du territoire, les chefs d’entreprises de BTP, en particulier ceux des milliers de petites entreprises privées, embauchent des dizaines de milliers d’ouvriers (spécialisés ou non) précaires, anonymes, non déclarés, qui sont exposés à de nombreux risques et accidents, alors que les règles les plus élémentaires de protection (à commencer par les plus simples comme une tenue vestimentaire adéquate) et de sécurité (comme des échafaudages sécurisés et des planchers protégés ) sont ignorées et bafouées, dans l’indifférence générale.
Pourtant, le pays est doté (comme dans beaucoup d’autres domaines) d’un arsenal de textes législatifs non négligeable, relatifs à la sécurité en milieu professionnel, qui définissent un ensemble de dispositions visant à assurer de meilleures conditions d’hygiène, de sécurité et de médecine du travail (entre autres la loi n°88-07 du 27/01/1988 relative à l’hygiène, la sécurité et la médecine du travail).
De plus, l’Organisme de Prévention des Risques Professionnels dans les Activités du Bâtiment, des Travaux Publics et de l’Hydraulique par abréviation « OPREBATPH » a été crée par le décret exécutif n° 06-223 du 21 Juin 2006. C’est un établissement public à caractère industriel et commercial, placé sous la tutelle du Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité Sociale, dont la mission principale est de contribuer à la promotion de la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les activités du BTPH.
Cependant, dans les faits, les mesures de prévention et de sécurité ne sont pas respectées sur les chantiers, les travailleurs sont, pour une bonne partie d’entre eux, recrutés « au noir » (c’est le cas, quasiment toujours, dans les projets privés qui ne sont généralement pas contrôlés par les services sociaux), c’est-à-dire sans aucune couverture sociale. La plupart des ouvriers ne possèdent même pas les équipements de base : ils travaillent têtes nues, mains nues, n’ont évidemment pas de chaussures de sécurité, et le nombre d’heures de travail réglementaire est souvent largement dépassé.
L’état des lieux en matière de prévention est tout à fait critique et la question est occultée la plupart du temps par les petits entrepreneurs (mais aussi souvent par bon nombre des plus grands et par les pouvoirs publics eux-mêmes) qui pensent que la prévention est une source de dépenses alors que ce serait plutôt une source d’économie (les ouvriers blessées sur les chantiers sont souvent soignés sans déclaration réglementaire, en partie au frais de l’entrepreneur, qui ,de toutes façons paye un très lourd tribut moral) et d’amélioration de la productivité puisqu’un travailleur bien équipé travaille mieux et plus.
En même temps, une meilleure prise en charge des ouvriers sur les chantiers entrainerait certainement un regain d’intérêt pour ces emplois qui sont aujourd’hui boudés par les jeunes et les entreprises peinent à recruter malgré le chômage.
D’ailleurs, est-il vraiment raisonnable de parler de gains et de dépenses quand la santé d’un être humain est en jeu ? Est-il normal qu’encore en 2016, alors que l’on ne cesse de parler de « développement humain » et de « développement durable », et que des sommes colossales sont engagées dans des projets sensés améliorer le bien-être des habitants, les conditions de travail sur les chantiers soient si déplorables, que les ouvriers soient si mal protégés, si mal assurés, si mal équipés et qu’en voulant gagner leur vie, ils risquent de la perdre ou de rester invalides, alors que cela aurait pu être évité?
Pour citer ce billet : « A propos de la prévention et de la protection sur les chantiers » par Keira Bachar. Publié sur RURAL-M Etudes sur la ville – Réalités URbaines en Algérie et au Maghreb le 11 novembre 2016. Lien: https://ruralm.hypotheses.org/1096
Souk Ahras. Le secteur du bâtiment déserté par la main-d’œuvre : Les entrepreneurs, de mauvais payeurs
Par A.Djafri, 6 janvier 2019
Encore une fois, le sempiternel problème du manque de main-d’œuvre est évoqué par des entrepreneurs locaux comme pour diaboliser leurs potentiels employés, épris comme chacun sait d’un statut conforme aux textes régissant les relations employeur-employés.
«Nous tentons d’honorer nos engagements s’agissant de la réalisation des projets dans les délais impartis pour que la main-d’œuvre spécialisée soit au rendez-vous», a récemment déclaré à El Watan un entrepreneur destinataire d’une mise en demeure pour un cumul de retard constaté par l’administration.
On dirait que la corporation des entrepreneurs croit réellement que la déclaration aux assurances sociales, le respect du SNMG, le paiement des salaires dans les délais et plusieurs autres droits inaliénables doivent faire l’objet d’une négociation au préalable aux fins de les bafouer et en faire un complément forfaitaire.
C’est probablement à cause de cette idée, mais surtout à cause de l’hibernation des instances de contrôle, à savoir notamment la CNAS et l’inspection du travail, qu’une telle idée perdure. Une autre déclaration faite par le représentant d’un syndicat des entrepreneurs que voici :
«Nos travailleurs qui ont d’autres débouchés ne sont pas forcément en droit d’être déclarés ou alignés sur les autres salaires, car ce sont généralement des gens qui n’aspirent qu’à arrondir les recettes de fin de mois, sans plus.»
D’une manière générale, ce sont ces mêmes instances de contrôle qui encouragent une situation de fait en milieu professionnel, et du coup ce sont les projets d’utilité publique, tels les logements, qui en pâtissent.
«Je n’irai jamais trimer du côté des entreprises du bâtiment pour me retrouver des mois après perdu dans les méandres de la justice afin de faire valoir mes droits au salaire», a fulminé Abdelhamid Bensaïfi, ouvrier spécialisé qui semble résolument dissuadé de continuer sa carrière dans le bâtiment.
Le circuit est déjà lisible : l’entreprise ne paye que si et seulement si elle est payée et de préférence avec avenants et autres arriérés, les travailleurs doivent attendre des mois et ne point rouspéter, sinon c’est la rupture unilatérale de la relation de travail. Et même si les instances financières font preuve de célérité, le plus solvable des employeurs fait dans l’usure pour provoquer le départ des maçons et ouvriers, recruter d’autres, et rebelote. Dans ce circuit, les contrôleurs des deux instances précitées sont loin d’être considérés comme des figurants.
Source : El Watan
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