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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

Sadek Hadjerès se souvient de Nono Saadi

Photo Abderrahmène Djelfaoui

Photo Abderrahmène Djelfaoui

Message de Sadek Hadjerès lu à la réunion commémorative tenue à Paris à l'initiative de l'ACB, l'Association culturelle berbère, en hommage à Noureddine Saadi, Nono, décédé il y a un an.

 

"Je remercie l’ACB de m’avoir invité pour m’associer à cet hommage. J’avais préparé le texte du témoignage que je souhaitais vous lire. Malheureusement une fois de plus, je risque à nouveau de ne pouvoir le faire directement et de recourir à un message. Les conditions climatiques et les exigences médicales semblent s’être donné le mot pour contrecarrer ce qui est d’abord un irrépressible besoin humain.

ll y a un an déjà, à l’annonce du décès, j’étais hospitalisé en soins intensifs et ce décès prématuré m’avait bouleversé et confronté brutalement à la dure loi de nos existences.

Les disparitions d’autres amis chers sont devenues autour de moi et avec mon âge, de plus en plus fréquentes. Chaque fois ma peine se ravive en pensant qu’ils auraient eu encore beaucoup de joies à vivre pour lutter et produire. Ma peine parvient à s’apaiser seulement quand je mesure combien ces camarades avaient connu de satisfactions en apportant tant d’armes morales et intellectuelles et tant de motifs d’espoir aux aspirations et aux luttes de leurs compatriotes.

Pour Nono, je peux en témoigner, depuis le jour où, il y a un demi-siècle dans les années 60 de la noire répression du pouvoir, j’avais pu le rencontrer clandestinement face au parc Mon Riant sur le boulevard du Télemly, avant de poursuivre avec lui une longue et fructueuse discussion en voiture. Mon témoignage concernera surtout son parcours de militant organique, celui où je l’ai davantage côtoyé. Mais ce parcours militant est inséparable de sa sensibilité humaine. Comme pour beaucoup d’autres, c’était la nature et le talent de Nono de joindre les sentiments et la claire volonté militante.

Depuis cette rencontre des années 60, je ne l’ai plus revu physiquement jusqu’en 1989, avec la fin du système du parti unique. Mais nous étions restés en échanges permanents. Au fil des luttes et des évènements, son écriture comme beaucoup d’autres m’était devenue familière, au rythme de la vie et des dizaines d’activités d’organisation au sein des syndicats ouvriers, des associations de masse des jeunes, des étudiants et intellectuels, des femmes, des zones urbaines et rurales confronté(e)s à l’arbitraire multiforme du pouvoir. Nono comme ses camarades participa à nombre des batailles sociales et démocratiques mémorables de l’époque directement à la base. Mais ses contributions furent particulièrement efficaces dans le travail d’élaboration des orientations qui éclairaient ces luttes. Nombre de ces travaux furent débattus dans les commissions spécialisées et diffusés dans les revues du parti ou dans des ouvrages relatifs au mode de gestion des entreprises publiques, à la condition et aux revendications féminines, etc.

Deux traits caractérisaient à mon avis ces contributions et les faisaient particulièrement apprécier des militants de terrain. D’abord le souci d’objectivité et de rigueur démonstrative, loin des slogans répétitifs, de la langue de bois et des injonctions normatives. Ensuite, lié à cette préoccupation pédagogique, le souci de coller aux réalités sociales et aux luttes en cours.  Dans tous les volets qui ont occupé Saadi, qu’ils soient juridique, sociologique économique, anthropologique, culturel, idéologique ou philosophique, les militants et les courants progressistes pouvaient y trouver matière à réfléchir, conforter leur engagement pratique par des fils conducteurs rationnels et mieux intériorisés.

Quand je retrouvai légalement Nono et ses camarades en 1989, il donna sa pleine mesure dans les luttes pour donner un réel contenu démocratique et social à la transition issue de l’ère néfaste du parti unique. Il fut parmi les initiateurs actifs des Comités et des actions contre la torture qui avait fait rage en Octobre 88. Nombre de ces initiateurs, en majorité membres du Pags ou sympathisants tombèrent comme on le sait assassinés sous l’effet des orientations réactionnaires croisées (sinon de connivence) entre courants anticommunistes et antiprogressistes situés aussi bien dans le pouvoir que dans les ailes takfiristes de l’islamisme politique, les uns et les autres vouant une haine féroce aux orientations démocratiques et sociales.

Parallèlement Nono et d’autres camarades apportèrent une forte contribution à la reconversion et relance politico-idéologique du PAGS dans les nouvelles conditions. Ils le firent d’abord et en particulier au sein d’une commission centrale de travail consultative et largement ouverte. Elle était destinée à alimenter la direction exécutive en matériaux d’autant plus précieux que ses membres, éprouvés déjà dans les luttes clandestines pour leur sérieux et leurs compétences militantes et intellectuelles étaient pour la plupart étrangers à tout unanimisme de façade ou préoccupations de clans et d’appareils. Malgré ses premiers apports et le fait qu’elle soit essentiellement consultative et sans aucun pouvoir de décision, cette commission porta rapidement ombrage à quelques membres de l’exécutif qui se dirent lésés dans leurs prérogatives bureaucratiques. Ils firent pression pour la dissolution de cette commission pendant que parallèlement plusieurs membres de cette commission dont son secrétaire qui en assumait le fonctionnement avec compétence et transparence, furent comme par hasard directement et gravement sommés de s’en retirer par la police politique. Ce fut un des premiers signes de la descente aux enfers à la fois d’un parti et de toute la transition démocratique espérée dans le pays

Dans la phase qui a suivi, Nono et quelques autres camarades ont réussi néanmoins à contribuer de façon positive à des positions idéologiques plus autonomes par rapport aux fortes pressions visant à étouffer c ette autonomie dans des alignements partisans inconditionnels. Ainsi avant ma prestation télévisée du 6 mars 90, il contribua à deux journées d’études consacrées aux relations entre communisme et islam,. Avec d’autres camarades comme Abdelkrim Elaidi, les regrettés Rabah Guenzet et Messaoud Benyoucef et d’autres, furent élaborées les grandes lignes d’orientation auxquelles je me suis largement référé dans mes interventions publiques

Dans cette période malheureusement troublée et dévoyée de préparation et du déroulement du Congrès, la plus grande impression que j’ai gardée de Nono et de ses camarades étudiants ou ex étudiants, c’est la fougue avec laquelle ils se sont opposés à la manœuvre voulant les faire accepter d’être cooptés par le haut pour participer au congrès. Ils exigèrent avec succès d’être soumis à une élection démocratique à la base.

Après l’immense déception du début de la décennie 90 qui l’a profondément affecté, Nono est parti en exil la mort dans l’âme, orphelin de tous les cadres d’organisation qui portaient jusque-là son combat. Dépassant son chagrin moral et intellectuel, il fut de ceux qui n’ont pas baissé les bras et ont poursuivi fondamentalement ses luttes et ses efforts de création dans des cadres et des formes nouvelles. L’ACB est un de ces hâvres de culture et de respiration démocratique qui , dépassant le Mur algérien des lamentations, a abrité la revalorisation des valeurs et des luttes passées plus que jamais tournées vers un avenir à reconstruire. Nono est l’un de ceux qui par son humanisme intelligent, pathétique et vigoureux, m’a aidé à maintenir en moi la foi indestructible dans le combat essentiel pour les droits de l’Homme et du citoyen dans toutes leurs dimensions. Chacun de nous quelle que soit sa philosophie sera concerné à son tour par la belle métaphore de

Nazim HIKMET : ADIEU LA VIE, BONJOUR L’UNIVERS :

Jusque-là, je garderai toujours en moi comme un talisman pour la pensée et l’action, les paroles d’empathie chaleureuse et lucide que Nono me glissa en aparté à l’issue d’une conférence-débat tenue ici dans ce même local. Je suis persuadé que ce même message continuera à bruire dans les oreilles et à inspirer les actes de ceux qui ont partagé ses combats et qui gardent quoiqu’il arrive la même foi en les capacités humaines.

Sadek Hadjerès

22 janvier 2019

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