"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)
12 Février 2019
Tahar Djehiche avait été jugé et acquitté en 2015 par le tribunal d'El Mghaïer pour cette caricature contre le gaz des schiste. Photo DR
Par Houria Alioua, 8 février 2019
Les habitants de la commune d’El Meghaier ont eu gain de cause : le gouvernement a finalement décidé de la réalisation du projet de doublement de la RN3, une revendication qu’ils ont soulevée il y a quelques jours. Bilan : des affrontements, des arrestations et même des blessés.
Comment avez-vous vécu les derniers événements de Meghaier et quelle est votre position envers la tournure prise par cette contestation ?
En vérité, j’ai suivi les événements de Meghaier à partir de Mostaganem où je réside. Les réseaux sociaux m’ont permis de rester en étroit contact avec ma ville et de suivre de très près et au détail ce qui s’est passé. Il est de notoriété publique que la revendication d’un dédoublement de la voie du tronçon reliant Still dans la wilaya de Biskra à Om Tyour, Meghaier, Sidi Khelil et Djamaa dans la wilaya d’El Oued, mais aussi d’autres villes de Oued Righ, remontent à deux décennies.
Ces localités qui s’étendent sur 150 km sont le théâtre de terribles accidents de la circulation tout au long de l’année. Ils réclament l’élargissement et la rénovation de la voie à la survenue de chaque accident sur cette Route nationale encombrée de poids lourds et de véhicules de divers tonnages de passage par cette région agricole, d’autant plus qu’il s’agit d’une route névralgique assurant la liaison entre l’est et le sud du pays.
Je me suis rendu dernièrement à ma ville natale, El Méthanier sur cette même route et j’ai constaté la gravité du danger. Des tensions ont souvent été provoquées par les accidents successifs depuis pas mal d’années avec plusieurs manifestations citoyennes mais cette fois-ci, la colère a explosé après la mort de quatre jeunes de la ville.
Vous avez produit une pléthore de dessins caricaturaux ces cinq derniers jours, entièrement consacrés à Meghaier. Qu’est-ce qui vous a le plus inspiré ?
Votre journal a suivi de près mes péripéties avec la justice et le harcèlement dont j’ai été victime pour avoir dessiné des caricatures et usé de mon droit à la liberté d’expression. Mon combat pour la liberté d’expression et pour l’émancipation d’El Meghaier m’ont valu le respect auprès des citoyens qui m’informent en toute confiance de ce qui se passe. C’est pour cela que je sais que la dernière protestation était pacifique et civique, les femmes et les enfants ont participé ainsi que des familles entières.
Ce qui m’a le plus inspiré est cet esprit de solidarité devant la gravité du moment de deuil qui m’a touché, surtout que même les conducteurs étaient solidaires des contestataires. L’ambiance était admirablement festive et même comique dans certains de ses détails et cela m’a inspiré plusieurs dessins pour exprimer cet état d’esprit unique. Aussi, le traitement médiatique de ces événements m’a sidéré de par sa partialité et son manque de crédibilité.
J’ai même ressenti du mépris dans certaines couvertures au même titre que celle envers les candidatures à la présidentielle, les médias tournent tout en dérision et je sais qu’ils ont leurs relais à Meghaier et qu’ils veulent à tout prix rendre inaudible la voix des citoyens et citoyennes d’El Megaier à tout prix même en usant du mensonge pour pousser les forces de l’ordre à réprimer la manifestation.
La caricature est le baromètre de la liberté d’expression, ou situez-vous l’Algérie et quel est votre seuil de liberté ?
Je reste fidèle à ma ville d’origine et j’ai encouru plusieurs peines de prison pour elle en dessinant beaucoup de caricatures, car elle mérite d’être érigée en exemple du vivre-ensemble en intelligence et de l’harmonie sociale.
El Meghaier est notre Amérique à nous en Algérie par son vivre-ensemble, sa diversité ethnique et ses couleurs magnifiques. J’en suis d’autant plus fier qu’on m’a rapporté que des antiémeutes ont proféré des insultes racistes envers les manifestants, ce qui a eu pour effet d’exacerber la colère et explique leur violente réaction.
Je suis choqué de voir qu’on ne respecte pas la volonté du peuple et qu’on fasse fi de leurs revendication légitimes et tout à fait ordinaires telles qu’une route praticable dans le Sahara. Oui, la caricature est un matériau artistique formidable dont l’existence est primordiale pour le développement de la société.
Et puis, laissez-moi vous dire que ce pouvoir nous met dans une situation de sarcasme et d’ironie de par la bouffonnerie et la clownerie ambiante doublées d’ignorance et le retour de maladies oubliées telles que la variole, la peste et le choléra, mais aussi cette cocaïne à profusion. Nous vivons dans un climat de peur, mais je pense que nous avons pris l’habitude de se risquer à dessiner sous l’emprise de la peur et de la menace. Un pays tel que la Suède a-t-il un seuil de liberté ? Voyons si nous sommes réellement en Suède.
Source : El Watan