"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)
26 Mai 2019
Par Maâmar Farah, 26 mai 2019. Le Soir d'Algérie
On ne comprend pas, jusqu'à cet instant, les raisons qui ont poussé les responsables de la police à déployer cet impressionnant dispositif dans une ville pourtant vide, ce dernier vendredi au matin. Le spectacle de ces troupes devant leurs camions en surnombre, au moment où la majorité des Algériens dormaient encore, est hallucinant!
Alors que le monde entier est émerveillé par le pacifisme exemplaire des marches, phénomène unique dans l'histoire des contestations populaires d'envergure, cette sortie des autorités concernées est un ratage monumental d'autant plus que des emblèmes, des banderoles et des pancartes ont été saisis sur les premiers manifestants arrivés dans la matinée. On a également signalé des arrestations inexpliquées qui ont touché les présents.
Pourquoi cette volte-face? Voulait-on provoquer la colère des marcheurs et les amener à abandonner leur pacifisme pour justifier ensuite leur large répression et se donner les raisons d'interdire ces sorties hebdomadaires ?
Par ailleurs, la fermeture du tunnel des Facultés et des escaliers de la Grande-Poste, ainsi que les barrages filtrants sur l'autoroute Est-Ouest et certaines routes nationales comme celles qui viennent de Kabylie et de l'Ouest, et qui pénalisent lourdement des familles prêtes à exploser devant les arrêts forcés sous le soleil en plein Ramadhan, tout cela n'est pas fortuit; il relève d'un plan visant à affaiblir les marches.
Mais si les policiers connaissent leurs sœurs et frères dont ils sont si proches dans la vie quotidienne, il est probable que les responsables ayant décidé un tel stratagème ne connaissent pas bien Sa Majesté le peuple ! Dans un geste de dépit, et pour prouver que la répression du matin n'a aucun effet sur sa détermination, le peuple souverain est sorti en masse dans les rues de la capitale, plus nombreux que d'habitude ! C'est la réponse d'un mouvement populaire puissant, décidé et ne reculant devant rien pour réaliser ses objectifs. S'ils voulaient gonfler le mouvement dans la capitale, les responsables d'un tel plan n'auraient pas fait mieux!
L'espace réduit laissé aux manifestants côté Grande-Poste, rues Khatabi et Didouche, n'a pas été un handicap, loin de là! Coincer le peuple est une chimère. Sa Majesté a pris d'assaut aussitôt deux espaces mythiques d'Alger : la place des Martyrs et celle du 1er-Mai.
J'ai calculé, vraiment à l'à-peu-près, le nombre global des marcheurs depuis 14 vendredis, sans compter les sorties des étudiants, des avocats et d'autres catégories socioprofessionnelles, en me basant sur des chiffres minima de 20 millions de manifestants par semaine jusqu'au 15 mars, puis de 10 millions jusqu'au 15 avril et, enfin de 7 millions chaque vendredi, du 15 avril au 24 mai. Évidemment que certains me reprocheront d'avoir suivi une courbe descendante inexistante dans la réalité. Mais c'est une moyenne minima, certainement contestable, que j'utilise à bon escient — car elle ne contredit pas les sondages des officiels et de leurs médias qui nous disent que le nombre est en baisse —, afin de démontrer que le pacifisme de ces marches n'a pas d'égal dans le monde.
On se retrouve avec un total de près de 150 millions de marcheurs depuis le 22 février ! 150 millions de manifestants qui ont défilé dans le froid et la chaleur, contre les vents et sous la pluie, en période normale et durant le Ramadhan et son jeûne éprouvant.
150 millions de jeunes, vieux, enfants, femmes, de toutes les régions et de toutes les catégories sociales, qui n'ont pas cassé un seul feu rouge, ni lancé un pavé contre une vitrine ! Impossible d'imaginer une telle civilité et un esprit de responsabilité aussi fort chez d'autres peuples, même chez les plus développés. De Melbourne à Londres, de Tokyo à San Francisco et de Paris à Leningrad, ça aurait forcément dérapé en trois mois de marche !
Hormis les violences du début, en fin de marche, œuvre de voyous envoyés par les restes de la «bande», et qui se sont arrêtées dès la mise hors d'état de nuire des membres influents du clan, rien n'a été signalé si ce n'est les provocations policières inexpliquées de ces derniers week-ends dont les victimes furent aussi des envoyés spéciaux de la presse nationale dont le seul tort est de couvrir cette actualité brûlante !
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Texte intégral : Le Soir d'Algérie