"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)
12 Janvier 2020
Par Ahmed Halfaoui
Inscrit profondément dans l’âme populaire, ignoré des calendriers officiels, Yennayer s’est maintenu à travers les époques, anime toujours les chaumières, à travers l’Afrique du nord. Il rivalise en importance avec les fêtes religieuses. Un jalon qui marque le rapport à la mémoire ancestrale, non plus au temps.
Il prendra une signification particulière, lorsque la revendication berbère fera irruption sur la scène et prendra un caractère de masse. Il constituera un témoin identitaire incontestable, contre les dénis et les laminoirs historiques et culturels. Il était, il faut le dire, d’une criante réalité à travers un territoire qui fait fi des frontières et des évolutions subies par les peuples.
Il est fêté, partout où se fait le couscous et ou se porte le burnous, deux autres éléments constitutifs d’une culture entêtée, qui a résisté, résiste encore et renaît peu à peu au monde. Pour cela on le chérit et on le cultive. On lui cherche, par exemple, une savante étymologie, quitte à nier l’évidence qu’il n’est qu’une déclinaison du latin januarius, au même titre que le yennayer arabe, le january anglais ou le janvier français.
On tentera, malgré tout, de le berbériser en lui trouvant la structure qui conforte une origine locale. Le nom serait constitué de Yen, abréviation de « Yiwen » qui veut dire « 1 », de N’, une particule d’annexion comme « de » ou « du » par exemple n’tizi- n’isli (de Tizi, de Isli) et de ayer nom ancien de la lune. Célébré dans son premier jour, en Afrique du nord, il devait cela à la caractéristique du calendrier qu’il inaugurait. Le calendrier agraire, correspondant au calendrier Julien, avait été remplacé par le calendrier grégorien sous la domination colonialiste, mais continuait dans les campagnes de servir de compteur pour le rythme des saisons jusqu’après l’indépendance.
Avec l’avènement des premières associations berbères, et dans les années 60, certaines ont voulu lui imprimer un caractère historique, en faisant de lui le jour anniversaire du triomphe d’un roi berbère, Sheshong ou Chechnak, sur l’Egypte, dont il occupa le trône. D’autres, moins ambitieuses, se sont contentées de sauvegarder et de renforcer ce fait, en travaillant sur sa dimension socioculturelle.
L’intérêt étant que les berbères ont une fête à eux et à eux seuls, comme tous les autres peuples ont leur fête, inscrite dans le cycle éternel des années, qui prouve qu’une culture vit et se reproduit, malgré les agressions, les ostracismes et la volonté de la folkloriser ou de l’anéantir. La symbolique est intense, quand le patrimoine se fait rare, a disparu en grande partie ou se trouve censuré pour le reste. Alors, une fête semble éveiller, régulièrement, un peuple à ses origines et à son passé.
Le temps d’une veillée par an, les Africains du nord, berbérophones ou pas, qu’ils le pensent ou non, se comportent en berbères, redeviennent berbères et renouent avec leurs ancêtres.
Comme ceux-là qui reposent dans les mausolées de Beni Rhenane à Siga et du Khroub et dont on ignore l‘identité. Comme Apulée de M’daourouch, ce géant de la littérature antique, dont on ne soupçonne même pas l’existence, dans son propre pays, au sein de son propre peuple. Comme tant d’autres, reconnus honorés et étudiés à travers le monde et dont on chercherait en vain trace dans la mémoire des gens de leur pays. Yennayer se pose à ce titre comme une sorte de victoire contre l’anéantissement de l’âme berbère, chez elle.
En attendant qu’un jour proche ou lointain on arrête, enfin, de définir la région comme étant l’Occident d’un pays qui, lui- même, ne la revendique pas, et que les histoires et les légendes de ses enfants des siècles non reconnus soient apprises à ses enfants d’aujourd’hui.
En attendant ce jour, assegwas amegaz , bonne année quand même.
Source : Facebook