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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

Le discours anti-social sur les subventions décrypté par Abdelatif Rebah

Abdeltif Rebah, économiste : «On ne saurait traiter le problème du déséquilibre du budget uniquement sous l’angle des transferts sociaux»

Par Nadjia Bouaricha, 19 avril 2021. El Watan.

El Watan: Un des critères de réussite et de développement d’un pays se mesure à la qualité de ses prestations et transferts sociaux. Que pensez-vous de la politique engagée par l’Etat algérien en matière de transferts sociaux ?

Abdelatif Rebah: Permettez-moi, tout d’abord, de rappeler que la politique des transferts sociaux relève de la politique budgétaire qui est un des instruments de la politique économique de l’ Etat, à côté de la politique monétaire, de la politique des revenus et de la politique du commerce extérieur. Ces instruments sont au service de la réalisation des buts de la stratégie économique et sociale de cet Etat.

En d’autres termes, la qualité de la politique des transferts sociaux ne peut être appréciée isolément des autres composantes de la politique économique et tout particulièrement, dans notre cas de figure, de celles qui doivent assurer l’optimisation des recettes de l’Etat, la politique fiscale qui doit assurer l’optimisation des recettes fiscales et la politique du commerce extérieur qui doit assurer l’équilibre de la balance des paiements. On sait que les transferts sociaux sont un outil fondamental de la politique de redistribution du revenu national visant à atténuer les inégalités sociales. Autrement dit, on ne saurait traiter le problème du déséquilibre du budget de l'Etat uniquement sous l'angle des transferts sociaux, des subventions.

C’est un discours antisocial qui n’est pas crédible car il ignore sciemment d’autres gisements financiers énormes qui pourraient répondre aux exigences budgétaires du pays : économiser en mettant fin aux dilapidations, on évalue à 7,5 milliards d’euros et 600 milliards de dinars le montant des biens issus de la corruption à récupérer, assécher le phénomène des surfacturations estimé à 30% du montant des importations, éliminer les gaspillages dans le fonctionnement de l’Etat, appliquer la justice fiscale, crédits octroyés aux hommes d’affaires non remboursés,….

Le budget alloué aux transferts sociaux est souvent présenté comme un fardeau difficile à supporter par l’Etat. D’aucuns appellent même à le réduire afin de soulager les finances publiques. Quel est votre avis ?

Je dois vous avouer, de prime abord, que j’éprouve, personnellement, un certain malaise devant ce retour de la thématique des «transferts sociaux fardeau difficile à supporter par l’Etat» qui me laisse la désagréable impression de revivre les «grands débats» du tristement célèbre FCE. Il y a quelques années, du temps de la 3issaba des Ouyahia, Sellal et consorts, le patronat et ses élites, planchaient déjà, lors d’un symposium, sur la question de la facture à payer, en s’interrogeant ingénument : l’Algérie peut-elle satisfaire la forte demande sociale alors que ses ressources sont limitées ?

Ses ressources sont limitées ! Oui, vous avez bien lu, « ressources limitées » !

On était au temps des «ressources limitées», ce temps, où Ali Haddad bénéficiait de 124 marchés publics (dont la plus grande partie entre 2012 et 2018), d’un montant de 78 410 milliards de centimes, de 452 crédits auprès des banques, pour un montant de 211 000 milliards de centimes, dont 167 000 milliards de centimes, soit 83%, ont été accordés par des banques publiques.

C’était le temps des «ressources limitées» où Mourad Oulmi, le patron de Sovac, faisait des aller-retour, entre le pays et « la Métropole », à bord d’un jet privé loué à 600 000 DA de l’heure, ce temps des ressources limitées, où cet oligarque, béni des Dieux, s’offrait des sociétés civiles immobilières domiciliées en France, avec des biens acquis pour un montant déclaré de 24 185 112 euros, ce temps de «ressources limitées», où Mourad Oulmi avait racheté, en 2006, la luxueuse maison de Nicolas Sarkozy à Neuilly-sur-Seine pour le prix de 1 993 000 euros. . C’était des temps durs où ce monsieur bien né avait bénéficié, entre 2014 et 2016, de crédits pour un montant total de 12 040 000 000DA. Ce ne sont pas des faits que j’invente, ils ont été révélés lors des procès de ces hommes d’affaires pour corruption, pour ne citer que ceux-là.

Comment l’Algérie avec des ressources si limitées pouvait-elle satisfaire la forte demande sociale, n’est-ce pas? Cette pressante interrogation revenait comme un leitmotiv sous la plume de nos élites converties.

Ces snipers de la guerre sociale qui ont toujours dans leurs viseurs, les petits porte-monnaie du petit peuple, sont toujours en service, toujours prêts à appuyer sur la gâchette. Au nom des « équilibres budgétaires », « extérieurs », et tout le baratin servi habituellement pour masquer leur responsabilité exclusive dans ce fiasco économique.

Comme s’ils ignoraient que la question de l’équilibre de la balance des paiements qui devient cruciale avec la chute des recettes d’exportation est directement en rapport avec les intérêts et profits des groupes sociaux qui sont derrière les postes d'importation qui avaient explosé du temps de la 3issaba: les voitures, les carburants, le médicament, les climatiseurs, les transferts de dividendes, etc…

Comme si c’était le petit peuple des salariés et des maigres retraites qui avait été à l’origine de la désindustrialisation, du désinvestissement, de l’explosion des importations tous azimuts, des surfacturations et des surconsommations énergétiques, du boom des grosses fortunes, de l’évasion fiscale, de la fuite des capitaux, des dilapidations, malversations, à grande échelle etc.

En ces temps d'incertitude et d’amenuisement des ressources financières, quelle est la meilleure manière de gérer les subventions destinées à soutenir certains produits, en garantissant un maximum de protection sociale, et permettre en même temps de préserver les ressources financières publiques ?

 Les ressources financières publiques ne sont pas à leur optimum. Tant s’en faut. Des réformes s’imposent en vue de l’augmentation de l’efficacité du recouvrement fiscal, de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales ainsi que de la révision du système des avantages fiscaux. Alors que le secteur privé représente 80% du PIB hors hydrocarbures, sa contribution fiscale n’atteint pas 1% du PIB. L’impôt sur les salaires, l’IRG, prélevé à la source, rapporte au fisc algérien plus de deux fois celui de l’IBS (impôt sur le bénéfice des sociétés).

Selon des évaluations expertes, les arriérés fiscaux sont estimés à 3900 milliards de DA à fin 2019 et les deux phénomènes fraude fiscale et évasion fiscale représentent environ 1,5% du PIB par an, soit l’équivalent de $2,5 milliards par an.

Les allégements fiscaux ce sont aussi des subventions, les bonifications de taux d’intérêt aussi. Le coût administratif de ces exonérations est considérable. Avec 530 niches fiscales et douanières pour un montant cumulé de 1260 milliards de DA (600 milliards environ pour les impôts et 660 milliards pour les douanes, soit 7,9% du PIB) qui touchent l’IBS, la TVA intérieure et extérieure et les droits de douane. Chaque année, nous payons entre 200 et 250 milliards de dinars de bonifications de taux d’intérêt payés aux banques pour compenser la différence entre le taux bancaire et le taux effectivement supporté.

Comment arriver à un ciblage des subventions avec le système administratif que nous connaissons en Algérie ?

On sait que le ciblage des subventions suppose l’identification précise et exacte, préalable, de ceux qui sont destinés, selon les critères de sélection retenus, à en être bénéficiaires. Il s’agit de la partie de la population considérée comme catégorie de ménages à bas ou très bas revenus. Comment cerner les contours socioéconomiques de cette catégorie dans une économie dominée par l’informel, le non enregistré, quand la structure de la population active dans notre pays est marquée par une part très importante d’actifs occupés, non enregistrés, ceux de l’informel.

L’emploi informel dont les revenus échappent à l‘enregistrement représente plus de 50% en moyenne de l’emploi total.

Au delà de ces considérations de méthode c’est le principe même du ciblage des catégories sociales pauvres avec son corollaire la carte d’indigent qui est irrecevable dans notre pays. Non seulement, elle porte en elle le souvenir infâme de l’ère de la misère coloniale mais elle reflète une vision de l’avenir du pays en totale opposition au message émancipateur de Novembre et en tout cas complètement antinomique avec ce que requiert la construction du front intérieur plus que jamais indispensable.

La crise sanitaire et la chute des prix du pétrole ont fortement impacté la situation économique. Quel regard portez-vous sur la gestion de la crise par le gouvernement?

Le tableau n’est guère rassurant. La pandémie de la Covid 19 a mis à nu la grande vulnérabilité du «modèle économique» algérien financé uniquement par les revenus du secteur pétrolier et gazier, frappé, aujourd’hui, de plein fouet par les répercussions négatives de ce fléau mondial, sur le niveau d’activité des économies importatrices de brut et de gaz. Notre peuple et sa jeunesse particulièrement ont pu mesurer à leurs dépens, en termes de pertes d’emplois et de revenus, la fragilité et l’inconsistance, sur tous les plans, de cette économie faite de bric et de broc, dominée par l’import-revente. La tentation du « on efface tout et on recommence » est toujours, là, présente. Notre jeunesse ne peut reconsidérer sa vision de l’avenir si ses perspectives ne sont pas inscrites dans la renaissance d’un projet de développement national authentique, enraciné, émancipateur et social. La condition sine qua non de ce nouvel élan, on ne le répétera jamais, assez, est de rompre avec la démarche économique libérale ruineuse, en cours depuis une trentaine d’années, et ses pratiques mafieuses et de corruption. (N.B)

* Abdelatif Rebah est l'auteur du livre "Algérie post-hirak à la conquête de l'avenir" -Éditions APIC

Source : El Watan

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S
K-O je suis.<br /> Un scandale que ce système fiscal. La contribution du privé n'est que de 1% du PIB bien que représentant 80% de ce dernier ? Rien que ça, waw quant à l'impôt sur les salaires rapportant, au Fisc, deux fois plus que l'impôt sur le bénéfice des sociétés, les bras m'en tombent... Et dire que, pour nous faire avaler la couleuvre, ils mettent en avant que les biens subventionnés profitent surtout aux riches. A vomir. Comment ai-je pu être aveugle et sourde aussi longtemps. Quelle honte.
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