2 Février 2012
Par Karim Tedjani
Les zones humides ont pendant très longtemps été considérées comme des espaces sinistrés , sans grand intérêt pour l’activité humaine où peuvent se
développer de nombreuses maladies nocives à l'Homme . De plus dans l’imaginaire collectif de beaucoup de pays, les marais et les marécages sont des endroits qui abritent de nombreux esprits
malins et des créatures maléfiques. C’est dire si ces lieux ont fait l’objet, pendant des siècles, de grandes perturbations de la part de l’espèce humaine qui n’a pu su
apprécier tout de suite les zones humides à leur juste valeur. Il aura fallu attendre les années soixante-dix du siècle dernier pour qu’une convention signée à Ramsar, en Iran,
reconnaisse enfin l’importance et les vertus considérables de ces sites pour l’environnement et donc pour la santé économique de nos sociétés modernes.
Ces valeurs ajoutées sont autant d’ordre écologique qu’économiques. Les zones humides, de ce fait , des sites particulièrement propices à la mise en
place de l’écotourisme, un concept qui semble être à même de favoriser cette symbiose entre l’environnement et l’économie vitale pour le bon fonctionnement de nos sociétés
modernes.
Le rôle écologique principal de ces zones humides, me semble être leur grande contribution à la qualité de l’eau d'une région . Ce sont
de véritables philtres biologiques et épurateurs qu’il est essentiel de préserver et d’étudier afin de pouvoir progresser dans le traitement des eaux usées ainsi que le stockage des eaux de
pluie. L’eau étant un des principaux enjeux économiques des décennies à venir, il est appréciable de savoir que l’Algérie compte parmi les plus importantes zones humides du Maghreb, de même qu’il
est assez aisé d’en conclure que ce pays a tout intérêt à préserver ce patrimoine précieux pour les générations futures qui auront un grand besoin d’eau potable. D’autant que ces sites naturels
sont aussi de véritables obstacles à la prolifération d’inondations qui, une fois de plus, peuvent avoir des influences très néfastes sur l’économie d’une région et donc , par extension,
d'un pays.
Parce que ce sont des écosystèmes très complexes dont la pérennité est assujettis à des conditions géo-climatiques bien
particulières, ces zones humides abritent une biodiversité d’une rare variété et souvent d’un taux d’endémisme très important. Dans ces espaces naturels d’exception de
nombreuses espèces végétales et animales cohabitent, qu’elles soient hydrophiles ou terrestres, vertébrées ou non, des organismes microscopiques ou des insectes. Mais, il y surtout les
oiseaux migrateurs qui font souvent leur havre de paix de ces zones humides. Celles situées en Algérie sont des étapes incontournables pour la migration de nombres d’espèces avicoles
dont un grand nombre sont soit protégées, soit en voie de disparition. La valeur ajoutée en biodiversité de ces zones humides est donc très importante. Cette biodiversité joue de
nombreux rôles essentiels dans le fonctionnement des écosystèmes locaux et environnants. Or, maintenant, seuls les imbéciles ne savent pas que la biodiversité est source de toute richesse.
N’oublions pas que même le pétrole, si précieux à nos yeux, est un vestige de la biodiversité passée. Là où il y a de la biodiversité qui se développe, il y de la richesse à mettre en
valeur et les zones humides en regorgent pour peu que l’on ne perturbe pas trop leur intégrité.
Les conditions d’étude de cette faune et de cette flore, dans une zone humide bien préservée, sont souvent idéales pour les chercheurs du monde
entier. De nombreux étudiants pourraient aussi découvrir cette faune ainsi que cette flore notamment grâce à des ateliers parrainés par de grands chercheurs algériens et étrangers. Pour les
simples amoureux de la nature, elles offrent une grande diversité de spécimens à découvrir et magnifiques promenades à réaliser à pied, à cheval ou à bord d’une embarcation. Pour les
peintres, les photographes, de tels lieux sont de formidables sources d’inspiration et offrent de nombreuses occasions de faire d’agréables rencontres naturelles. La grande quantité et
variété d’oiseaux présent sur ces sites, ainsi que le fait que beaucoup ont choisi ces zones humides comme escale lors de leur migrations, et ce particulièrement en Algérie, laisse
facilement envisager à quel point leur rôle biologique a un rayonnement qui dépasse de loin les frontières de notre magnifique pays.
Il y aussi tous les artisanats liés aux zones humides, dont la vannerie est emblématique ainsi que la fabrication de gourbis en « dis » ou en terre qui
pourraient être remis au goût du jour , quand on sait leur propriétés isolantes très intéressantes, le faible coût de leur construction et bien entendu leur faible impacts sur
la nature environnante. A l’heure où l’habitat écologique devient non plus juste un effet de mode, mais bien une nécessité, il serait bon de profiter des savoirs faires endémiques à
notre tradition ancestrale. Je suis personnellement un grand partisan de développer la particularité algérienne, la Nature physique, morale et spirituelle de l’Algérie, pour régler les
problèmes écologiques qui sévissent sur ce territoire. Sans se fermer aux compétences des autres, il me parait bon de voir ce que notre matrice culturelle nous offre déjà comme
alternatives afin de préserver l’environnement de notre pays.
Les zones humides jouent aussi un rôle régulateur au niveau climatique et permettent dans les régions où elles se trouvent de créer des microclimats très
particuliers. Or là aussi, on sait que le climat et l’économie sont intiment liés.
Cependant, si ces espaces naturels sont si précieux, ils n’en demeurent pas moins fragiles et vulnérable face à l’activité humaine.
Le Lac Tonga, situé dans la wilaya d’El Tarf, ainsi que le complexe humide de Guerbes Sandhadja, comptabilisent chacun cinq des huit critères établis par la
convention de Ramsar ce qui est assez remarquable au niveau de l’Afrique septentrionale. D’autres sites comme celui de l’île de Rachgoune, dans le chef lieu de la wilaya d’Ain Temouchent
sont de sérieux candidats pour figurer dans la prestigieuse liste de cette convention internationale. C’est dire si les zones humides doivent être préservées dans ce pays, répéterons le, non
seulement pour la santé de l’environnement mais aussi pour celle de l’économie de la jeune Algérie moderne. Si l'île de Rachgoune sera apparemment le théâtre d'un projet très ambitieux allant
dans ce sens, si le Lac Tonga est aménagé . S'il faut se féliciter des avancées en la matières ainsi que des efforts affichés pour préserver nos zones humides, le complexe de zones de
Guerbes Sandhadja, un des plus important d'Afrique méditerranéenne, lui , est presque à l'abandon et laissé en pâture à certaines exploitations qui nuisent à ce paradis de la biodiversité.
J'en profite pour solliciter l'aide de toutes les bonnes volontés afin que cela cesse.
En France, prés des deux tiers de ces zones ont disparues alors que, la Camargue, zone humide située sur son territoire, est un des sites touristique parmi les
plus prestigieux et attractif de l’Hexagone. Sûrement à cause de cela, et bien entendu pour d’autres raisons plus scientifiques, les mentalités semblent avoir évolué dans ce
pays et, ces zones humides sont de moins en moins perçues comme « improductives » pour la société. Dans ce pays voisin, de nombreux projets de rénovation ainsi que de mise en valeur de ses
zones humides ont été et seront mis en place au regard de leur importance sur l’économie locale. Ce phénomène est d’ailleurs international et, cette journée mondiale des zones humides est là pour
en témoigner…
En Algérie, bien que de nombreux textes veillent à la préservation de cette manne biologique, les résultats de cette campagne de protection en
tardent émerger.
Il faut dire que, pour mettre en place une telle politique, il est essentiel d’instaurer au sein de la société algérienne une culture de l’environnement ainsi que de mettre en avant, auprès des
habitants proches de ses zones, des activités sources d’emploi et de perspectives de développement social. C’est en les rendant plus attractives et plus rentables que nous arriveront à convaincre
la société algérienne de l’importance de préserver de tels lieux.
L’écotourisme est une des solutions pour atteindre cet objectif parce que cette forme d’activité économique intègre avec le plus grand soin la notion
d’environnement dans le développement de la société moderne et participe de façon très efficace à sensibiliser les touristes ainsi que les habitants locaux aux concepts de l’écologie.
Dans ces zones humides, il est possible de créer de fabuleux parcours de randonnée, à pied, à cheval, à dos d’âne et même parfois à vélo. Grâce aux
procédés de construction que j’ai évoqués, il est aussi possible de créer des structures d’accueil peu contraignantes pour l’intégrité physique de ces zones humides. Ainsi de simples
visiteurs, des chercheurs, des groupes scolaires pourraient visiter ces sites dans des conditions viables pour eux ainsi que pour la santé des écosystèmes de ces zones humides.
De nombreux artisanats pourraient voire leur développement remis au goût du jour grâce à l’intérêt qu’ils pourraient susciter chez les visiteurs. La pêche de loisir ainsi que la
chasse raisonnée sont aussi des activités qui pourraient se développer dans ces espaces naturels et générer de nombreuses vocations.
Bien entendu, ce doit être dans un premier temps un écotourisme local qu’il faudrait mettre en place car il faut d’abord insuffler cette conception au sein de
notre société et éviter au maximum que l’Algérie devienne un jour un pays de tourisme de masse. Les algériens et les algériennes aiment se retrouver dans la Nature, les évènements de la décennie
noire ont largement contribué à éloigner la population algérienne de cette forme de villégiature. Le rôle de sites écotouristique doit être en autre de recréer ce lien sacré entre un
peuple et sa Nature.
Notre pays a les moyens pour l’instant de ne pas dépendre du tourisme au regard des rentes pétrolières qui soutiennent son économie. Or, tous les acteurs de
l’écotourisme à travers le monde vous le diront, c’est un concept qui a besoin de temps pour être distillé au sein d’une société, l’Algérie, là encore dispose d’un atout important pour être
un pays où le tourisme serait qualitatif et non quantitatif. Nous avons les moyens de choisir nos touristes et pourquoi pas un jour de donner des visas écologiques afin de sélectionner
les visiteurs étrangers en fonction de leur respect de notre Nature physique et sociale…
Quand l’écotourisme aura créé suffisamment de vocations, d’emplois à l’intérieur et qu’une vraie culture nationale de ce marché très porteur aura vu le
jour à l’intérieur de nos frontières, il sera alors bon d’exporter ce savoir faire et de s’ouvrir au tourisme international.
N’oublions pas que la diaspora algérienne, habituée à ce genre de tourisme, pourrait être dans un second temps une cible idéale afin de non seulement « roder »
cette activité, mais aussi de profiter des nombreuses expériences que certains ont acquis à l’étranger et qui pourraient nous être utiles. Je suis persuadé que ce sont les enfants d’«
immigrés » de ma génération qui amèneront les touristes étrangers à visiter sur notre territoire pour peu qu’ils soient eux même convaincus que leur pays d’origine est capable
de relever un tel défi. D’ailleurs nombre d’entre eux me font part de leur envie de découvrir leur Algérie dans un cadre autre que celui de la famille et de leur région d’origine.
Mais, les acteurs privilégiés de cette entreprise ambitieuse, sont sans aucun doute, les locaux. L’Homme des campagnes et la Femme rurale
algérienne sont les plus à même de servir de guides et d’hôtes. Ils sont les vrais gardiens de cette Nature Algérienne qui nous tient tant à cœur. Ceux qui pensent qu’ils ne sont pas assez
formés pour cela, oublient qu’il n’y a pas besoin de donner un diplôme à un algérien pour recevoir un invité, pour peu qu’on le laisse le faire à sa façon. De plus, beaucoup d’entre eux peinent
vivre de cette nature qui les entoure. Cela les pousse notamment à ne plus être attentifs à sa préservation. J’aimerais, à ce propos, prendre l’exemple des cultivateurs de pastèque de la
région Guerbes Sandhadja (wilaya de Skikda) dont le complexe de zones humides est de renommée internationale. Ils pillent l’eau d’étangs pour répondre aux énormes besoins
en eau des variétés de pastèques hybrides qu’ils cultivent. Or, à par l’élevage et ce genre d’agriculture, ils n’ont pas trouvé mieux pour nourrir leur familles… Imaginez si demain ils pourraient
gagner de l’argent grâce à l’écotourisme…Ils trouveraient un intérêt économique à préserver cette nature.
Le rôle des citadins qui vivent à la périphérie de ces sites est de servir de médiateurs ainsi que de veiller à ce que les touristes ainsi que les
douaris restent eux-mêmes tout en faisant l’effort de s’adapter l'un à l’autre. Ainsi, non seulement le lien entre nos villes et nos campagne pourrait s’en retrouver renforcé, mais
nous pourrions être garant de séjours authentiques et naturels qui sont de nos jours de plus en plus prisés.
Combien de nos jeunes diplômés au chômage parlent au moins trois langues ? Combien d’entre eux sont habitués à entrer en contact avec des étrangers, ne
serait-ce que par le biais d’internet ou de leur voyage d’étude ? Combien d’entre eux ont le savoir suffisant pour parler de notre culture ? Beaucoup plus qu’il n’en faudrait à vrai dire….
Le gouvernement doit soutenir avec ferveur l’écotourisme, il y a beaucoup à gagner pour la société algérienne si cela est mis en place de façon raisonnée et
responsable. C’est à nos institutions, associées à notre tissu associatif ainsi que nos chercheurs, de veiller à éviter des dérives qui, soyons réalistes ne seraient pas exemptes de voir le jour
si le pays était plus touristique.
L’Algérie, notamment grâce à ses zones humides d’exception a donc largement les moyens d’être une destination éco-touristique de renom. Cela est
cependant un défi de taille à relever et demandera beaucoup de patience. Les retards de notre pays en matière de tourisme de masse pourraient ainsi se transformer en de sérieux avantages
pour mettre l’écotourisme en place dans certaines zones naturelles dont notre pays regorge. Pour ma part, c’est une conviction que je sais partager par un nombre croissant en Algérie et hors de
notre frontière. Les zones humides dont nous célébrons aujourd'hui la journée sont de fabuleux sites éco-touristique et, du fait de leur morphologie variant selon les saisons, offre des
opportunités de séjours touristiques quasiment toutes l'année. L'Hiver et l'Automne étant plus consacrés à l'accueil des scientifiques et des groupes d'étudiants, le Printemps et
l'Eté pour les groupes scolaires et les particuliers.
J’aimerais, pour conclure dédier ce modeste article à Mr Fayçal Chebourou qui m’a fait l’honneur de m’inviter à la journée destinée aux zones humides dans sa wilaya de Ain Temouchent ainsi
qu’à tous les participants de ce cet évènement placé sous le signe de l'écotourisme . Ce dernier prépare d’ailleurs un livre sur la condition environnementale en Algérie et je tiendrais bien
entendu tous les lecteurs et lectrices de Nouara au courant de l'évolution de ce projet.
J'en profite aussi pour lancer un appel à tous les amoureux des zones humides afin de nous réunir autour d'un projet national et de nous aider mutuellement à protéger les zones de nos régions respectives.