"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)
29 Juillet 2013
"Certains groupes ont refusé de prendre part à la grand-messe pro-armée. C’est notamment le cas du Mouvement du 6 avril ou des socialistes-révolutionnaires qui, dès jeudi, ont affirmé dans un communiqué tristement visionnaire qu’ils «ne voulaient pas signer un chèque en blanc pour commettre des massacres»".
En Egypte, la révolution confisquée
Par Marwan Chahine, Liberation.fr
Si les victimes sont dans le camp islamiste, la tuerie aux abords de la mosquée Rabaa al-Adawiya a également secoué jusqu’aux plus farouches opposants à Mohamed Morsi. Ceux-là mêmes qui ressassent depuis des semaines que le 30 juin est une révolution et non un coup d’Etat, ceux qui vendredi encore, place Tahrir, pensaient goûter aux délices de la grande réconciliation égyptienne, se sont réveillés avec la gueule de bois.
L’heure n’est pas au divorce, mais l’union sacrée contre les Frères musulmans se fissure un peu plus. Des personnalités liées à la coalition au pouvoir ont dénoncé les violences policières du week-end. Le parti salafiste Al-Nour, qui a soutenu la destitution de Morsi mais avait déjà pris ses distances avec l’armée, a évoqué un «carnage» et son président, Younes Makhyoun, a demandé des «poursuites contre les auteurs». Mohamed el-Baradei, vice-président et principale figure de l’opposition libérale sous Morsi, a condamné sur Twitter «un usage excessif de la force» et a appelé «toutes les parties» à «rejeter la violence et à arrêter le bain de sang». Pour timide qu’elle soit, cette position traduit un malaise de plus en plus palpable chez un homme qui a toujours mis en avant des principes démocratiques et s’est opposé avec virulence à l’ancien régime.
Réserves
Hier, le mouvement Tamarod, à l’origine de la mobilisation anti-Morsi du 30 juin, a, lui aussi, pour la première fois exprimé des réserves sur l’évolution de la transition politique. «Nous soutenons les plans de l’Etat dans sa lutte contre le terrorisme, mais nous avons déjà souligné que cela ne justifiait pas les lois d’exceptions ou les mesures contraires à la liberté et aux droits de l’homme», a déclaré son leader, Mahmoud Badr, avant d’ajouter : «Nous n’accepterons jamais le retour de l’appareil de sécurité d’Etat de Moubarak.» Une réaction aux propos du nouveau ministre de l’Intérieur, Mohamed Ibrahim, qui, samedi, avait expliqué la flambée de violence par «la fermeture de certains services après le 25 janvier 2011 et une restructuration inadéquate de la police [sous Morsi]», et annoncé la réintégration de certains officiers écartés après la chute de Moubarak. Ce discours ouvertement contre-révolutionnaire et la répétition des bavures sanglantes laisse craindre un retour de la brutalité et de l’arbitraire policier de l’ancien régime. «Nous ne sommes pas dupes, nous savons que certaines personnes de l’ère Moubarak cherchent à récupérer à leur profit notre révolution. Mais nous ne les laisserons pas faire», affirme un membre important de Tamarod.
C’est pourtant en réponse à l’appel du général Al-Sissi, qui avait demandé au peuple de lui donner un «mandat pour en finir avec la violence et le terrorisme», que des centaines de milliers de personnes - dont les membres fondateurs de Tamarod - ont manifesté sur la place Tahrir, vendredi. Beaucoup tenaient même dans leurs mains le portrait du général, qui fait clairement figure d’homme fort du nouveau régime.
Non-alignés
Mais certains groupes ont refusé de prendre part à la grand-messe pro-armée. C’est notamment le cas du Mouvement du 6 avril ou des socialistes-révolutionnaires qui, dès jeudi, ont affirmé dans un communiqué tristement visionnaire qu’ils «ne voulaient pas signer un chèque en blanc pour commettre des massacres». Au côté de groupes salafistes révolutionnaires et d’islamistes modérés proches de l’ex-candidat à la présidentielle Aboul Foutouh, ces formations de gauche entendent incarner une troisième voie, en refusant l’alternative Frères musulmans ou armée.
Une manifestation de ces non-alignés, qui se revendiquent des idéaux de la révolution de 2011 qui avait fait tomber Moubarak, était prévue hier soir au Caire. Un premier rassemblement avait réuni quelques milliers de personnes vendredi. Sans réelle structure ni appui partisan solide, cette initiative a peu de chances de peser dans le débat. Elle pourrait néanmoins séduire de nombreux Egyptiens, hostiles à Morsi mais inquiets de la tournure autoritaire et violente que la transition a prise.