"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)
20 Février 2012
C’était au tout début des années 2000, lorsque l’étau de la fitna se desserrait sur les Babors, après la reddition des gens de l’AIS. Mokhtar Zine s’était empressé de monter, son carnet à la main, à la rencontre des montagnards. Nous publions un de ses reportages, parus dans l’hebdomadaire « Jijel-Infos » dont il était le directeur-adjoint. Mokhtar a choisi Jimla, dont une grande partie de la population, fuyant les affrontements, avait trouvé refuge dans la commune de Jijel, souvent dans des bidonvilles.
Jimla : « C’est maintenant que vous venez ? »
La route nationale 77 monte en serpentant, s’enroulant parfois presqu’à 360°. Aujourd’hui, c’est une route praticable et pratiquement achevée.
Les travaux restent à faire sur environ un kilomètre du côté du pont Missa, à quelques vingt cinq kilomètres de Jijel. Ce tronçon est à la limite du lit de l’oued Boussoura dont les berges s’effritent. Pour l’élargir, il faudra entamer le flanc de la montagne au niveau presque le plus bas. La région est traversée par oued S’rour, qui va à la rencontre de oued Boussoura pour ensuite se fondre dans le Jen-Jen. Jimla offre à la vue des amoureux de la nature de splendides et profonds vallons, bien verdoyants en ce mois d’août.
Jimla n’est pas le nom d’une agglomération. C’est celui de toute une région. Elle est devenue une daïra englobant Beni-Yadjis. Le chef lieu administratif de Jimla est El M’hed, adossé à Bouaffroun, face à Bouazza.
Trik Echaouilla
Les limites territoriales de Jimla sont Tassala à l’est de Mila, Zareza au sud, sur la route de Ferdjioua, Ouled-Ameur vers Texenna, Dar Ben Ahmed du côté des Beni-Khettab. Pour traverser à partir de Texenna, elle a ses passages obligés : Missa, Zaouia, El M’hed, F’doulès. C’est par là que passait la route du blé, trik echaouilla, quand les caravaniers allaient à Jijel. Ami Kaddour, de son vrai nom Yacoubi Abdelkader, « cafetier et garçon de café », comme il aime à dire, se souvient : « On voyait ces caravanes jusqu’au début des années cinquante. Chevaux et chameaux transportaient du blé. De nos jours c’est plus rare. Ce sont surtouts des marchands de h’sir. Le cortège comprend de trois à dix bêtes ».
Compteurs vacants
Aux portes d’El M’hed, le chef lieu administratif, surgit une image familière dans notre wilaya : dans une sorte de grande crevasse, se bousculent des jeunes et moins jeunes, des femmes aussi. Chacun avec ses bidons, parfois entassés dans des brouettes : certains habitent à trois kilomètres. Tous attendent l’arrivée de l’eau. Il est dix heures passé. « Les compteurs sont installés dans nos maisons, mais l’eau n’arrive pas » disent-ils presque tous à la fois. Un jeune précise : « Certains ont dépensé jusqu’à quinze mille dinars pour les conduites. Nous n’avons pas que des problèmes d’eau. La polyclinique est vide ». Pourtant Jimla est réputée pour son eau.
Mise en valeur
« Vous nous devez une cuillère de semoule. C’est maintenant que vous venez ? » C’est ainsi que Moussa Boutiouta, 32 ans, accueille l’équipe de Jijel-Infos quand notre photographe lui demande par où accéder à la mosquée de Sidi Tahar ben Mirouh. Il était pendant quatre ans président de l’association sportive Emal Riadi Baladiate Djimla. « Nous sommes branchés surtout sur le foot. Un peu de culturisme. Nous gardons l’espoir de participer au championnat de wilaya. Les joueurs existent, les locaux aussi. Le stade nécessite une réparation générale ».
Son compagnon, M. Boucenna, affirme : « Jimla est riche au plan culturel et au plan agricole. Elle n’est pas mise en valeur. Nous avons une polyclinique qui peut être un hôpital. Elle a été ramenée à un niveau de centre de santé ».
La noix et la grenade
Pour les Jijéliens d’un certain âge, Jimla, c’est la poterie, la viande de qualité, le potiron et le haricot vert de Ghebala. Ce sont l’orange, la noix, la grenade, le maïs, la tomate et aussi la délicieuse figue de barbarie de Mers Beni-Hassan et Souk Esseb’t, une figue de rocaille et de terre rugueuse. C’est l’olive des flancs des monts de Bouazza et Bouaffroun. Tout cela a bien reculé. Ammi Kaddour énumère : « La poterie a disparu. On travaille encore le bois pour les ustensiles de cuisine, mais sur commande. On ne pratique plus l’élevage de cheptel nourri de plantes de montagne. Le bétail est acheté de l’extérieur. Aujourd’hui seules trois personnes produisent du poulet de chair. »
Aujourd’hui, même le couscous d’El-M’hed et El-Mers, enduit d’huile d’olive et de beurre tirée avec le petit lait, ne se fait plus. Ayerni aussi utilisé pour faire l’âacida, une sorte de purée, ne se récolte plus. Cependant Jimla a encore ses apiculteurs. « Il y en une dizaine, depuis qu’il y a l’aide de l’Etat » affirme M. Yacoubi. Il les connaît tous et récite leurs noms. Il ajoute : « Le succès est garanti pour qui veut planter des oliviers. Plus particulièrement sur la rive nord de Oued S’Rour. Cela a démarré aussi quand l’aide de l’Etat a eu lieu. Malheureusement ces travaux ont cessé pour des raisons que j’ignore ».
Mokhtar Zine, Jijel-Infos n°6, semaine du 22 au 28 août 2001