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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

Mali : "La guerre n’est pas une solution"

 

Pierre Cherruau, Abdel Pitroipa et Christian Eboulé

 

La force militaire que l'Afrique de l'Ouest envisage de déployer au Mali pour combattre les rebelles touareg et les islamistes armés qui contrôlent le Nord du pays devrait compter près de 3.300 éléments, ont annoncé samedi à Abidjan des chefs militaires de la région. Militante altermondialiste et auteur de nombreux essais sur l’Afrique et la mondialisation, Aminata Traoré expose sa vision de la crise que traverse son pays, le Mali.

 

 

Slate Afrique - Comment jugez-vous l’évolution actuelle de la situation de votre pays ?

Aminata Dramane Traoré -D’une extrême gravité, mais pas désespérée. Il y a d’une part la désinformation qui ne contribue en rien à la paix, et d’autre part l’attitude de certains dirigeants africains qui semblent avoir fait le choix de la guerre dans notre pays depuis le début de cette crise dite malienne.

 

La désinformation consiste à occulter l’échec lamentable du modèle économique mis en œuvre et celui du système politique qui tient lieu de démocratie. Le faux diagnostic qui en découle pousse la communauté internationale à prendre des décisions que je juge à la fois erronées et injustes.

 

Cette crise, on ne le dira jamais assez, est d’abord l’une des conséquences dramatiques de l’intervention de l’OTAN en Libye. Je comprends mes concitoyens qui, traumatisés par la violence de l’invasion et de l’occupation des deux tiers de notre territoire et désemparés par la défaite de notre armée face au Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) et ses alliés islamistes , croient que l’intervention de forces militaires extérieures est une solution rapide, efficace et radicale. Rien n’est moins certain.

 

Il suffit de regarder du côté de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Côte d’Ivoire et de la Libyepour se rendre compte que la guerre n’est pas la solution. Des morts, des viols, des blessés, des déplacés, des réfugiés, des écosystèmes saccagés et la destruction d’infrastructures, souvent acquises au prix du lourd fardeau de la dette, sont autant de conséquences que personne ne doit banaliser et à plus forte raison ignorer.

 

 

Slate Afrique - On vous comprend. Mais concrètement, le Nord étant occupé, comment faites vous pour le récupérer sans intervention militaire de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et de l’Occident?

A.D.T - Ce n’est pas moi qui vais dire qu’il ne faut rien faire pour arrêter le calvaire de mes frères et sœurs du Nord de notre pays, quand je pense, en plus des massacres perpétrés contre des soldats désarmés à Aguelhok, aux viols, aux tueries et aux pillages, dont ceux des hôpitaux et des pharmacies. Ce traitement est infligé à des populations innocentes qui étaient déjà éprouvées par la faim, le manque d’eau et autres pénuries.

 

Par ailleurs, un pays, en plus d’être une histoire, une identité est aussi la représentation que l’on s’en fait. Nous avons du mal à nous imaginer, nous Maliennes et Maliens, notre pays amputé des régions de Tombouctou, de Gao et Kidal. L’envoi de troupes de la Cédéao dans ce contexte est-il pour autant souhaitable? Absolument pas. Les combats, s’ils ont lieu, ne se dérouleront pas le désert mais dans des villes et des villages.

 

Pour libérer le septentrion malien, nous devons commencer par nous demander ce qui nous arrive exactement. Pourquoi? Comment? Et maintenant? Nous ne parvenons pas à en parler entre nous avec la sérénité nécessaire en raison de malentendus qui tiennent également à l’ignorance de certains desseins.

 

Pour ce qui est des causes internes, nous sommes quasi unanimes à reconnaître notre manque de vision, nos incohérences, nos contradictions, la corruption et l’impunité. Les causes externes, par contre, sont soigneusement occultées alors qu’elles sont souvent plus déterminantes. La classe dirigeante excelle souvent dans l’art de l’autosatisfaction, l’autoglorification et la séduction des argentiers.

 

Si nous étions plus perspicaces et plus ouverts à l’autocritique et au débat contradictoire, nous serions plus nombreux à comprendre que la guerre qui est envisagée par la Cédéao dans notre pays n’est pas que celle de la restauration de l’intégrité territoriale. Elle est aussi une nouvelle étape de la guerre mondiale contre le terrorisme visant à traquer Al Qaida au Maghreb Islamique (Aqmi), Ansar Dineet autres groupes islamistes sur notre territoire.

 

Nous n’aurions rien eu à redire s’il ne s’agissait pas de l’externalisation de la politique sécuritaire des puissances occidentales qui sont dans une logique de sous-traitance de la violence armée à laquelle adhèrent certains dirigeants africains. Ces derniers, dans le cas du Mali, semblent même prendre les devants, en sollicitant la France, le Conseil de Sécurité.

 

La double peine ainsi infligée à notre pays, sous prétexte qu’il a failli sur différents plans dont la protection de ses frontières et de ses acquis démocratiques, consiste à en faire un terrain de chasse contre l’islamisme -dont il serait subitement devenu le foyer-, et à réinstaurer, coûte que coûte, un ordre constitutionnel dit normal, alors que celui-ci n’avait rien de vertueux. Si vous le permettez, je reviendrai plus loin sur ma proposition de sortie de crise.

 

Slate Afrique- Faut-il croire, à partir de cette analyse, que la prise en main du dossier par l’UA qui, à son tour a saisi le Conseil de Sécurité, va dans le bon sens ?

A.D.T - Le déni de démocratie est malheureusement le même au niveau de toutes ces instances, parce que leur prémisse de départ, qui consiste à décréter qu’il y a démocratie dès lors qu’il y a élection, est erronée. Le processus de prise de décision dans la gestion de cette crise reproduit l’exclusion dont les Maliens et les Maliennes ont souffert ces vingt dernières années en dépit de la rhétorique sur la décentralisation et la participation populaire.

 

Pour l’Etat néolibéral, nous ne comptions pas, en tant que peuple. Et voici que nous ne comptons plus, en tant que pays. En plus de l’occupation du Nord, nous sommes sous tutelle pour ce qui est des questions institutionnelles et politiques. La logique dominante veut qu’à partir du moment où il n’y a pas de dirigeants légitimés par des élections, même quand les élus, qui ont gouverné, ont échoué, il n’y ait plus rien d’autre à faire que d’organiser des élections dans les plus meilleurs délais de manière à remettre les mêmes en selle.

 

C’est à ce jeu dangereux que joue la Cédéao en accordant plus d’importance à la légitimité de façade qu’à l’intégrité territoriale et aux réponses concrètes et rapides que les Maliens et les Maliennes attendent, depuis trop longtemps, aux questions de vie ou de mort qu’ils se posent.

 

Si l’embargo total que la Cédéao voulait nous imposer a été écarté, le pays n’en est pas moins confronté à une sorte de paralysie, due aux sanctions injustes des bailleurs de fonds, qui entravent la bonne marche de l’économie nationale pour prouver leur thèse selon laquelle sans démocratie électoraliste il n’y a pas d’économie viable.

 

 

Slate Afrique - Considérez-vous que la France ait une part de responsabilité dans cette situation? Cela transparaît dans certaines de vos déclarations.

A.D.T - Bien avant l’invasion et l’occupation des trois régions du Nord où le tourisme constitue l’une des rares sources de revenu des populations, la France, et dans son sillage, d’autres pays occidentaux ont fait du Mali un pays à risques, interdit à leurs touristes. Ni le Maroc ni l’Egypte qui ont enregistré des attentats terroristes sanglants n’ont eu droit au même traitement. La non signature de l’Accord de réadmission des migrants par l’ancien Président malien Amadou Toumani Touré et son soi-disant manque d’efficacité dans la lutte contre Aqmi, ont certainement déçu l’ancien président français, Nicolas Sarkozy.

 

Le Président François Hollandevient de signifier à son homologue nigérien, Mahamadou Issoufou, que c’est à l’Afrique de résoudre ses problèmes et, que la Francene s’impliquera dans une intervention militaire au Mali que lorsque le Conseil de Sécurité des Nations Unies en aura pris la décisionà travers une résolution. Selon le président français, si l’intervention est décidée, c’est aux Africains de la mener.

 

C’est un pas considérable par rapport à l’interventionnisme décomplexé de son prédécesseur. Mais le mal est déjà fait. Le préjudice, qui est moral et politique, consiste à imposer aux victimes de la guerre de convoitise du pétrole libyen, de se protéger eux-mêmes contre l’agression des troupes lourdement armées, qui s’acheminaient vers le Mali. Les Occidentaux avaient les moyens technologiques et militaires de les arrêter.

 

Les Maliens et les Maliennes ainsi que l’opinion publique internationale doivent savoir que si la France et les États-Unisn’avaient pas transformé la résolution 1973 du Conseil de Sécurité de «No Fly Zone» en mandat de renverser le régime de Mouammar Kadhafi, les rebelles et les islamistes, qui occupent le Nord du Mali, n’auraient pas pu disposer de l’arsenal qui fait leur force sur le terrain.

 

Cette responsabilité des pays de l’OTAN, qui est considérable, n’est presque jamais évoquée. L’ancien Président de l’Afrique du Sud, Thabo Mbékiest le seul à l’avoir fait. Il rappelle que Nicolas Sarkozy, Barack Obamaet David Cameronont foulé au pied le mandat du Conseil de Sécurité et trahi leurs obligations en termes de droit international en décidant de l’avenir de la Libye. Ils ont royalement ignoré la proposition de médiation de l’Union africaineet de résolution pacifique du conflit.

 

C’est à ce niveau aussi que l’on mesure l’incohérence de l’organisation panafricaine. Car ce sont les mêmes Chefs d’États qui ne voulaient pas de l’intervention militaire en Libye qui en admettent le principe pour le Mali.

 

 

17 juin 2012. Propos recueillis par Pierre Cherruau, Christian Eboulé et Abdel Pitroipa,

Texte intégral : Slate-Afrique

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