"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)
19 Mars 2013
19 mars 2013
Le 27 mars 1960 tombait au champ d’honneur à Djebel Béchar le colonel Lotfi, de son vrai nom Benali Boudghène. Il avait 26 ans. Le 16 mars, il avait écrit une lettre émouvante à sa femme, une lettre d’adieu, et surtout une lettre d’amour que nous devons connaître. Pour les gens de ma génération, au lendemain de l’Indépendance, Ben Ali Boudghene deviendra le mythe du héros trahi. Comme cet autre dirigeant révolutionnaire, le Français Saint-Just, tombé lui aussi à l’âge de 26 ans, victime d’un complot et qui a écrit, un jour prémonitoire : « L’art de gouverner ne produit que des monstres ».
« A ma très chère femme,
Je m’excuse à l’avance de n’avoir pas osé t’annoncer de vive voix ce que je vais t’écrire. J’espère que lorsque tu recevras cette lettre, je serai bien loin en Algérie, ma Patrie Chérie.
En effet, je suis en pleins préparatifs et je dois rejoindre l’intérieur dans les plus brefs délais. Je crois ne t’apprendre rien de neuf en te disant que c’est la seule place possible pour moi en ce moment. Il m’est devenu impossible, intolérable, insoutenable de continuer à vivre à l’extérieur, ceci en dehors de toute considération de quelqu’un d’autre que ce soit. Ensuite, en tant que chef, que Révolutionnaire, qu’idéaliste imbu de principes, je dois être aux côtés de mes hommes pour les soutenir et du Peuple pour le réconforter et renforcer son moral.
De ton côté, je crois avoir tout fait pour t’ôter dès le premier jour toute illusion concernant ma présence à tes côtés tant que durerait la Révolution. Je t’ai toujours dit que je n’ai été et que je ne suis que par la Révolution et pour la Révolution. Il m’est même très difficile d’envisager pour moi une autre vie que la vie Révolutionnaire. Je te demanderai donc de faire preuve de beaucoup de courage et de patience ; je sais que tu en es capable. De mon côté, j’espère que tout se passera bien. Dans le cas contraire, j’aurais connu la plus belle fin qu’aurait pu souhaiter et rêver un jeune Révolutionnaire. Alors il faudra que tu fasses preuve de beaucoup plus de courage encore. Tu pourras être très fière de ton mari et celui que je te confie, mon fils, le sera aussi beaucoup de son père. Au nom de l’Algérie, pour laquelle j’aurais vécu et j’aurais tout donné, et au nom de notre Amour, je te recommande instamment de veiller sur mon fils, sur son éducation, de lui donner une très solide instruction et d’en faire surtout un grand Nationaliste et un grand Révolutionnaire capable de réaliser ce que son père n’aura pas pu faire parce que la vie ne lui aura pas accordé assez de temps.
En ce qui te concerne personnellement, je te recommande encore une dernière fois de t’améliorer, de te perfectionner, d’approfondir tes connaissances et d’être toujours à l’avant-garde des jeunes femmes algériennes et un exemple sans reproche aucun.
C’est tout. Embrasse pour moi toute la famille".