"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)
1 Septembre 2016
Au lendemain des élections, le ministre de l'intérieur malguiste Ould Kablia affirmait sans ciller, comme à son habitude : « En votant FLN, les électeurs ont plébiscité le président de la République, incarnation de la légitimité historique, garant de la sécurité actuelle et source des futures réformes et du changement ». Un commentateur affirme au contraire : "C’est l’histoire du hold-up réalisé par le FLN lors des élections législatives du 10 mai 2012. Ce qui explique qu’au moment où vent de changement souffle sur le monde arabe, et même l’Europe, l’Algérie choisit « démocratiquement » de consolider ses impasses et ses échecs. Un miracle".
Nous publions cette interview triomphaliste, accordée au quotidien Liberté, et quelques réactions de chroniqueurs et éditorialistes.
(Mis en ligne le 16 mai 2012)
Par Abed Charef, La Nation, 15 mai 2012
Comment, avec dix pour cent des voix, réussit-on à rafler la mise au parlement ? C’est l’histoire du hold-up réalisé par le FLN lors des élections législatives du 10 mai 2012. Ce qui explique qu’au moment où vent de changement souffle sur le monde arabe, et même l’Europe, l’Algérie choisit « démocratiquement » de consolider ses impasses et ses échecs. Un miracle.
Le miracle a eu lieu. Il n’a pas été accompli par une quelconque puissance supérieure, ni par un chef de zaouïa inspiré, même si le vainqueur des élections législatives, Abdelaziz Belkhadem, prend un look qui se rapproche plus du chef de zaouïa que du dirigeant politique. Le miracle est l’œuvre des hommes, des Algériens, qui ont discrètement mis en place un système électoral dont personne n’a anticipé les résultats. C’est donc un formidable tour de passe qui a été réalisé, avec un résultat limpide, tant l’illusion était parfaite. La foule, en transe, n’y a vu que du feu.
Même la très charmante Hilary Clinton s’est laissée séduire. La secrétaire d’Etat américaine s’est en effet félicitée de l’avancée démocratique enregistrée en Algérie lors de ces élections législatives du 10 mai 2012. C’est une "avancée sur la voie de l'Algérie vers des réformes démocratiques", a-t-elle dit, ajoutant que "ces élections --et le nombre élevé de femmes élues-- sont une avancée bienvenue », d’autant plus que le scrutin " a permis aux Algériens d'exprimer leur volonté".
La bénédiction américaine ne donne que plus de relief au miracle algérien, réalisé à l’issue d’une opération géniale. Ou machiavélique. Pour y voir plus clair, il faut revenir quelques mois en arrière, et se replacer dans le contexte de 2011. A ce moment-là, le pouvoir algérien, bousculé par le printemps arabe, promettait quelques réformes pour désamorcer la crise. Mais il était contraint de faire face à quatre défis qui semblaient impossibles à atteindre: organiser des élections acceptables irréprochables, garantir une participation élevée, s’assurer le maintien du pouvoir traditionnel, et séduire les étrangers. Ce qui paraissait impossible il y a six mois a été atteint au-delà de tout espoir.
En reprenant point par point ces objectifs, on relève qu’à l’exception de certaines anomalies qui résultent plus de la déliquescence de l’état qu’une volonté de fraude, le vote s’est déroulé dans des conditions acceptables. Les observateurs de l’Union européenne n’y ont d’ailleurs vu que du feu. Et tous les commentaires émanant de l’étranger sont plutôt flatteurs.
La participation a été de 42 pour cent. Dans l’absolu, le chiffre signifier une certaine désaffection envers la politique. En Algérie, il prend un autre sens. Le chiffre est meilleur que celui de 2007. Il y a donc progrès. Le ministre de l’Intérieur Daho Ould Kablia a beaucoup insisté sur cet élément, et c’est ce que tout le monde aura retenu.
Accès à la télévision durant la campagne électorale, stricte neutralité affichée de l’administration, plaintes contre des ministres supposés avoir enfreint les règles électorales, une commission électorale qui multiplie les mises en garde, tout participait à séduire les observateurs à exprimer leur satisfaction. Certes, le ministère de l’intérieur a bien refusé de donner le fichier électoral, qui relève, selon lui, du secret d’état, certes, des débordements ont été enregistrés, mais rien de significatif n’est venu entacher le déroulement du scrutin.
Tout ceci a été obtenu grâce à des mesures prises en amont, bien avant le vote. Et c’est là que le pouvoir a fait preuve de machiavélisme. Il a réussi à inciter à une participation plus élevée que d’habitude en multipliant les candidatures. Cette décision a eu un effet mécanique : plus de listes, donc plus de clientèles, plus de participation, etc.
Autre exploit réussi par le pouvoir : empêcher que l’augmentation de la participation n’influe sur les résultats du vote, à un moment où la rue a tendance à exprimer son ras-le-bol et sa défiance envers le pouvoir. Mieux, l’augmentation de la participation doit, si possible, consolider le pouvoir en place, à travers les partis de l’Alliance présidentielle, FLN, RND et Hamas. Comment ? En faisant en sorte que les nouveaux votants, ceux risquent de voter pour des candidats autres que ceux du pouvoir, le fassent pour rien. C’’est ce qui a été fait avec la règle des cinq pour cent.
Prenons le cas d’une wilaya précise, Aïn-Defla, où il y a 440.000 inscrits. Le nombre de votants s’est élevé à 190.000. Il y avait 50 listes au total. 47 d’entre elles ont obtenu entre quelques centaines et sept mille voix. Elles n’ont pas atteint le seuil des cinq pour cent, et elles ont donc été éliminées. Au final, ce sont donc plus de 100.000 voix, réparties entre 47 listes, qui ont été exclues. Il restait à distribuer les dix sièges entre trois partis qui, ensemble, ont obtenu moins de 40.000 voix !
Toujours à Aïn-Defla, le FLN a obtenu 18.000 voix, soit dix pour cent des suffrages exprimés. Avec ce résultat, il a raflé cinq sièges sur les dix mis en jeu. C’est le miracle FLN : comment remporter la moitié des sièges du parlement avec seulement dix pour cent des voix !
Le dispositif mis en place a donc pleinement rempli son rôle. Il ne reste plus qu’à en gérer quelques petits effets secondaires indésirables : comment gérer tous les nouveaux partis qui ont été agréés pour pousser la participation vers le haut ? Comment gérer les clientèles qui s’estiment flouées ? Comment transformer un conglomérat de députés en un vrai parlement?
Mais ce sont là des questions qui seront abordées plus tard.
Pour l’heure, il faut savourer la victoire, et apprécier le miracle réalisé par Daho Ould Kablia.
Scènes d'eux
par El-Guellil, Le Quotidien d’Oran, 16 mai 2012
Son parti a fait un mauvais score aux dernières législatives. Du coup, il déclare, fracassant les tympans : « Ce ne sont pas des élections mais une pièce de théâtre électorale » ! Quelle trouvaille ! Ce cher politicien, aussi grand que son ombre quand le soleil est à son zénith, « hada ma djab Allah », a découvert le fil à couper le beurre. Non seulement cet éminent personnage politique participe au casting électoral, accepte de se prêter au jeu mais, heureux d'être retenu dans la distribution, il accepte de répéter sous la direction d'un metteur en scène à l'intérieur de décors dessinés et conçus par son équipe. Il répète. Il donne la réplique. Il s'installe dans son rôle et, comme un véritable acteur, il se met dans les circonstances et les situations créées par son discours, incarnant un personnage pour un regard extérieur (les électeurs), dans un temps et un espace limités (la campagne). Si ce n'est pas ça la définition du théâtre, c'est qu'il n'a rien compris à la politique.
Il est vrai que ce monsieur, fin politicien, avait misé sur cette période de printemps arabes. Mais là aussi, il y a théâtralisation. Sachant que les périodes révolutionnaires, périodes d'inversion et de flottement du pouvoir, font également appel aux mises en scène, parfois macabres lorsque la tête des «ennemis du peuple» se promène au bout d'une pique.
Les révolutions populaires sont particulièrement intéressantes du point de vue de la mise en scène, car le peuple devenant momentanément détenteur du pouvoir, on assiste à une inversion des représentations qui puisent leurs motifs aux sources du carnaval. Mais faut-il que ces révolutions soient effectivement populaires, qu'elles ne soient pas dictées ou mises en situation par des acteurs externes.
Monsieur le fin politicien, soyez certain que le peuple n'a jamais fait dans la mise en scène, il a toujours préféré l'improvisation. Acteur, il le sera un jour et spectateur forcé vous le serez, si vous êtes toujours là. Car le silence de la majorité qui a refusé l'invitation aux urnes en dit long sur les prochaines représentations.
L’Algérie est un village Potemkine
Par Maamar Farah, Le Soir d’Algérie, 16 mai 2012
Dans la Russie ancienne, le prince Potemkine cachait à Catherine II la misère de la Russie en lui faisant traverser de faux villages paysans. L'expression «village Potemkine» a ensuite désigné les capacités de dissimulation et de camouflage de la réalité par un régime donné.
L’Algérie de nos jours est devenue un vrai village Potemkine. Les organes de force se sont substitués au peuple en bonne conscience, décidant pour lui, éliminant toute concurrence jugée dangereuse et mettant en place des pseudo-contrepoids, des institutions sans capacités de décision, ni de sanction. Un Parlement pseudo-pluraliste, des pseudo-élections, une pseudo-justice, des médias pseudo-indépendants. A tous points de vue, c'est un village Potemkine. Tahir Ahmed-Ouahbi (Oum-El- Bouaghi)
Soupe froide et lendemains chauds
Par Chawki Amari, El Watan, 16 mai 2012
C’est dans l’air, on sent comme un malaise. Plusieurs partis, dont le RND et le FFS, ont du mal à analyser les résultats des élections, parlant à mots couverts, prudents et gênés, pendant que les autres crient à la fraude. Ensuite, le parti pris ouvert du président Bouteflika qui, en poussant le FLN, a aussi poussé Abdelaziz Belkhadem à rester en poste, voire à lui succéder en 2014. Les ministres milliardaires sont encore au pouvoir et les agents agréés des lobbies mafieux ont repris du service, avec le costume élégant de députés.
Si l’on ajoute les émeutes qui reprennent et les mouvements sociaux qui se réactivent comme pour démentir le score stupéfiant du FLN, il y a de la gêne, perceptible et bien présente. Comme si tous les invités à dîner sentaient que quelque chose ne va pas dans le service, ou que la viande a un goût de congelé, l’ambiance s’est d’un seul coup cassée, immédiatement après la fête prévue et l’extinction des lumières. Dans cet assemblage de convives plus ou moins invités au festin, il n’y a finalement que l’hôte de la fastueuse réception, en l’occurrence DOK, le ministre de l’Intérieur, qui se sent bien et mange tranquillement son assiette, voire celle de ses voisins. Entre deux bouchées, il a confirmé que les élections ont été propres et honnêtes, éludant les questions sensibles, fichier électoral et autres irrégularités concernant le dépouillement.
Servant une soupe sans goût, le ministre vient d’expliquer l’ahurissant score du FLN (218 sièges là où même Belkhadem n’en prévoyait que 150) par le système électoral adopté ; celui-ci aurait favorisé le FLN, alors que quelques jours avant le scrutin, DOK disait exactement le contraire, que le système électoral ne donnera aucune majorité et favorisera les petits partis. Nous avons, bien sûr, les dirigeants que nous méritons. Mais sommes-nous obligés de manger les plats que nous n’avons pas commandés ?