20 Octobre 2013
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"Cette pollution c'est l'appât du gain facile, la soif de pouvoir, le matérialisme stérile, le mépris d'autrui. Elle engendre celle de l’environnement qui, une fois dégradé, devient le milieu idéal pour qu'elle persiste dans la tête des gens. C'est un cercle vicieux que l'on se doit de défaire en agissant non seulement sur le terrain mais aussi au sein de toute la société algérienne. Car, si l'heure est grave, il n'est jamais trop tard pour réagir; sans cela le pays deviendra un desert aride et infertile peuplé de cancéreux d'ici quelques décennies . J'exagère à peine..."
Environnement et écologie en Algérie
La pire des pollution est celle de l'esprit
Par Karim Tedjani, 19 octobre 2013
Au regard de l’écologie, l’Algérie est un territoire aussi vaste et varié que vulnérable. Cette fragilité n'a de cesse d'être renforcée par de nombreux facteurs environnementaux, économiques et sociaux.
Avant son indépendance, l’Algérie a subi une massive déforestation (plus d’un millions d’hectares décimés en 132 ans). L’utilisation abusive du « dry-farming », une technique agricole très néfaste pour les sols, l’introduction d’espèces végétales et animales exotiques, le démantèlement rationnel de l’environnement du monde rural indigène et ces cosnéquences sur l'aménagement des territoires, les expérimentations militaires et tant d’autres interventions de la France coloniale ont fortement bouleversé l’équilibre écologique de notre pays. Déjà du temps des romains jsuq'à celui des ottomans, on avait exploité "industriellement" les richesses naturelles du pays...
Ajoutez à ce triste héritage, le grand boum démographique de l’Algérie indépendante, la focalisation de son économie sur l’exploitation des énergies fossiles et des matières premières, une guerre civile qui s’est joué aussi dans ses douars et qui a provoqué un exode rural massif, une gigantesque entreprise de modernisation des infrastructures du pays, l’absence d’une réelle politique environnementale avant les années deux mille, la difficulté à la rendre efficiente depuis. Tous ces phénomènes et bien d’autres ont des répercussions très importantes sur la santé non seulement de la nature algérienne, mais aussi, par systèmie, sur celle des Algériens.
On pollue sur terre
Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, les villes algériennes croulent sous les détritus. La saleté est devenue tellement un radical commun à la plupart des agglomérations urbaines qu’elle semble presque être devenue une norme. Dans les communes, les villages, proportionnellement, on peut dire que les dysfonctionnements dans le domaine de la gestion des déchets sont encore plus néfastes pour les environnements. Combien de décharges sauvages, de sites naturels souillés par la présence du plastique, de biotopes perturbés par cette nourriture « empoisonnée » à la quelle s’accoutument certains animaux sauvages et domestiques ? Le Tell, les hauts plateaux et même le désert n’échappent pas à cette fort malheureuse proximité entre l’Algérien et ses poubelles. Au point que la gestion des déchets est devenue une priorité politique dans ce pays.
Etrangement, en Algérie, certains pesticides et engrais circulant sur le marché ne sont pas toujours conformes aux normes environnementales mondiales. Ils sont, de plus, utilisés par des agriculteurs peu formés et dont les techniques d’irrigation sont trop archaïques dans le contexte de nos milieux arides. Les terres se meurent, empoissonnées par ceux là même à qui elles ont tant donné par le passé. Là où les terres meurent, le désert, lui prend vie…
Même le patrimoine génétique national a été contaminé par de nombreuses introductions d’espèces exotiques végétales et animales. Leur présence n’est pas sans influence sur l’intégrité de notre biodiversité nationale, elle-même garante du maintien de nos climats régionaux et vice versa. Nos espèces locales sont certes souvent moins productives, mais plus régulières et adaptées au climat de notre territoire. De plus elles sont capables de produire de très bons « produits du terroir ». La faune et la flore algérienne, parce que les climats et la géographie du pays sont très particuliers, regorgent d’espèces et de sous espèces propres à notre pays. Cette rareté à un prix à la fois écologique et économique. La pollution est donc également génétique.
La pollution est dans l’eau
Parce que des produits très toxiques s’infiltrent dans les sols, un phénomène favorisé par l’irrigation intensive et irrationnelle des cultures, ces véritables poisons sont largement susceptibles de contaminer les nappes et les cours d’eau limitrophes aux zones agricoles. Les oueds, où se déversent les rejets d’usines, les eaux usées, des déchets, sont devenus de véritables poubelles, pour ne pas dire des accélérateurs de contaminations.
Il existe encore trop de zones humides dévastées par la prolifération des déchets dans leurs écosystèmes. Ces sites naturels constituent pourtant un maillon essentiel dans la régulation et la filtration des eaux de pluies.
Les barrages sont parfois, comme à Keddara (Boumerdes), limitrophes à des carrières dont les poussières viennent se mélanger aux eaux stockées. Quand ils sont mal entretenus, leur envasement devient également source de pollution. Il n'est pas rare que les stations prévues pou épurer leur eau ne soient pas assez éfficaces.
L’exploitation prévue pour dans à peine sept ans du gaz de schiste ne va pas arranger les choses. Tout le monde devrait réaliser que plus grand trésor de l’Algérie est l’immense gisement « d’or bleu » que représente la nappe phréatique Albienne largement située dans Sahara algérien. On ignore de moins en moins les énormes risques que peut faire peser la fracturation hydraulique horizontale sur une telle quantité d’eau potable aussi phénoménale que précieuse. Or, jusqu’à ce jour, c’est la seule technologie disponible pour extraite du gaz de schiste. Elle consomme des quantités astronomiques d’eau ainsi que des centaines de produits chimiques peu recommandables…
On pollue l’air
Beaucoup trop d’algériens, souvent par dépit et ignorance, brûlent leurs déchets à l’air libre. Sur la place publique ou en pleine nature. Parfois même à deux pas de la rue où leurs propres enfants ainsi que leurs jeunes camarades s’amusent et inhalent ainsi quotidiennement des fumées hautement toxiques. Parfois, ce sont des incinérateurs qui se chargent de « diffuser » industriellement ces fumées pestilentielles et cela non loin des villes.
La poussière des carrières et des usines à ciment aux normes environnementales qui ne sont pas toujours mises à jour s’infiltre dans l’air. Dans la wilaya d’Ain Temouchent, j’ai été particulièrement frappé par ce phénomène. Ces poussières véhiculent avec elle dans l’air des microbes et endommagent les systèmes respiratoires de la faune ainsi que de la population algérienne. Même les cultures peuvent être perturbées…
A Skikda, les torchères d’un méga-complexe pétrochimique vaporisent nuit et jour dans l’atmosphère leur fumée noire, et cela à quelques kilomètres de zones d’habitations. Et ce n’est malheureusement pas un cas isolé, en Algérie, de site industriel polluant l’atmosphère de ses rejets. Les précautions prises pour remédier à cette pollution sont le plus souvent anecdotiques et rarement aux normes environnementales actuellement en vigueur dans le monde.
En Algérie, on achète beaucoup de voitures et on ne jure que par un diesel qui rejette dans l’air des tonnes de micros particules toxiques. Dans la ville de Tokyo, au Japon les autorités ont dors et déjà décidé d’interdire ce type de carburant parce qu’il a été scientifiquement prouvé que son utilisation favorisait très majoritairement les maladies respiratoires…
On pollue la mer et le littoral
Il est sûr que la mer Méditerranée n’a pas attendu l’Algérie pour être une des plus polluée au monde. Dans ce volet, la responsabilité des Algériens est certes à nuancer. Celle des pays européens n’est plus à prouver ni même contestée par ces derniers. Des quantités alarmantes de déchets plus ou moins dangereux viennent s’échouer sur notre littoral. C’est une véritable invasion.
Mais cela n’empêche pas nos plages d’être aussi sales à cause de pollutions locales. Ces sites souvent d’une rare beauté sont devenus de véritables décharges à ciel ouvert. Tout ce qui peut se jeter, on le retrouve mélangé au sable de notre littoral où évoluent une faune et une flore trop peu méconnues du grand public. Cette biodiversité, même résidant sur les rochers, joue parfois des rôles très importants dans l’équilibre des écosystèmes côtiers et marins. Parfois elle crée des associations d’espèces totalement inédites sur la planète. Cette richesse étouffe de plus en plus sous les immondices.
Dessaler la mer pour produire de l’eau douce en quantité industrielle n’est pas totalement sans conséquence pour l’équilibre salin de la mer. D’autant que l’on y réintroduit tout le sel qui y a été prélevé. Par association, c'est l'environnement de la faune et de la flore marine ocale que l'on perturbe. Ces rejets de sels sont à considérer comme une pollution.
Toute pollution qui se mélangera aux eaux des oueds ira inexorablement un jour se déverser dans la mer. Si en plus les zones humides littorales ne sont pas protégées, ces eaux polluées ne seront même pas filtrées au moins naturellement.
La pollution contamine le corps des Algériens
En conséquence de ces quelques exemples parmi les plus accablants de toutes les pollutions dont est victime l’Algérie, la population est aussi touchée à travers les poussières, les fumées toxiques, les eaux contaminés, l’air vicié, les moustiques et tant d’autres facteurs. Le cancer est un fléau qui n’a pas fini de faire entendre parler de lui en Algérie. Les maladies respiratoires, digestives, buccales, dermatologiques ne font que croitre à travers tout le pays et, le pire, c’est que les enfants sont régulièrement les plus touchés.
La pollution est dans la tête des citoyens
Quel observateur étranger n’a pas été choqué par la désinvolture avec laquelle les Algériens jettent tout ce qu’ils consomment sur la voie publique? Passez quelques mois dans ce pays et vous aurez la désagréable impression de vous être habitué à toute cette saleté tant elle est récurrente au quotidien. Les cafés, les restaurants, les marchés, les gares, tous les espaces publiques, à vrai dire, souffrent de cet incivisme. Les agriculteurs provoquent de véritables désastres écologiques, les entrepreneurs, les promoteurs, les exploitants en tous genres, tout ce beau petit monde ne pense qu’à à faire de l’argent au présent et se moque bien de savoir quelles seront demain les conséquences de leur mépris pour l’environnement et la santé publique. La place publique, l’intérêt commun ne sont plus des notions dignes d’intérêt pour la majeure partie des habitants de l’Algérie.
Ceux qui, ne se sont pas résignés à ne penser qu'à leur propres intérêts, qui se sont la plupart du temps réunis dans des associations locales ou nationales, ceux-là ne sont pas assez écoutés et pris en considération par la société algérienne. Le tissu associatif algérien n'a pas non plus le soutien des politiques, surtout quand il milite pour la préservation de l'environnement.
L’hypocrisie d’un grand nombre de politiques et d’entrepreneurs algériens, en ce qui concerne le respect de l’environnement, frise régulièrement avec le "green washing", c’est-à-dire l'art de travestir les pires prédations mercantiles par un faux semblant d’actions écologiques. Les conséquences d’une telle démagogie peuvent être très cuisantes pour la nature et la santé en Algérie. Car ces deux secteurs ne peuvent souffrir d'aucune imposture dans leur gestion...
C’est d’ailleurs, à mon humble avis, là que ce trouve le nœud du problème, la matrice de toutes les pollutions qui sévissent en Algérie. Cette pollution c'est l'appât du gain facile, la soif de pouvoir, le matérialisme stérile, le mépris d'autrui. Elle engendre celle de l’environnement qui, une fois dégradé, devient le milieu idéal pour qu'elle persiste dans la tête des gens.
C'est un cercle vicieux que l'on se doit de défaire en agissant non seulement sur le terrain mais aussi au sein de toute la société algérienne.
Car, si l'heure est grave, il n'est jamais trop tard pour réagir; sans cela le pays deviendra un desert aride et infertile peuplé de cancéreux d'ici quelques décennies . J'exagère à peine...
L'Algérie est pourtant un pays qui dispose de nombreux atouts pour réaliser ce que ses voisins d'outre-mer tardent à accomplir malgré leur grande assiduité à le prêcher : une véritable révolution écologique des économies nationales qui doit entraîner une mutation salutaire du système économique mondial.
En Algérie, il suffirait juste pour cela de changer d'état d'esprit...