31 Juillet 2011
Georges Wassouf est un grand chanteur
syrolibanais pris dans la bourrasque qui menace actuellement d'emporter le régime de Damas et ses sympathisants. L'opposition se déchaîne contre Wassouf parce qu'il a pris position pour Béchar
Al-Assad lors d'un concert, en brodant sur son tube Kalam Al-Nass.
On peut comprendre que des opposants syriens se soient émus du soutien apporté par l'artiste au dictateur et lui en fassent grief. Cependant, ce n'est pas très loyal de persifler, façon Hamas, en
suggérant par exemple que Georges Wassouf est un alcoolique et un drogué. Or, combien même le chanteur porterait sur le visage les stigmates de ses penchants appuyés, on n'utilise pas contre lui
des armes prohibées même si Karadhaoui en a autorisé l'usage. Ainsi, on peut retrouver des tournures méchantes comme celle-ci : «Georges Wassouf peut aimer l'alcool et les joints, mais il n'a pas
le droit d'aimer Béchar Al-Assad.» On voit immédiatement qu'il n'y a pas de femmes dans cette panoplie des goûts immodérés. Une façon de suggérer que le chanteur a bon dos, puisqu'il n'est pas
accusé d'être un suborneur de jeunes filles pieuses et vertueuses. La perfidie consiste justement à suggérer que le chanteur pourrait avoir des affinités avec le «peuple de Loth»(2), en plus de
son amitié pour Béchar. Ces coups bas qui devraient être l'apanage d'un régime violent et corrompu comme celui du clan Assad sont malheureusement utilisés aussi par les adversaires du pouvoir.
J'aime beaucoup ce que chante un Georges Wassouf, universellement reconnu, et c'est son droit d'aimer l'alcool, le chanvre indien, et Béchar Al-Assad, même s'ils n'ont pas les mêmes capacités de
nuisance.
Chez nous, il y a des entreprises de démolition, de déboulonnage des idoles, menées de telle manière qu'on peut se demander si ce ne sont pas des opérations concertées et orientées vers des cibles précises. Suivez mon regard !
D'un côté, on réhabilite en catimini(1) un chanteur immense et controversé comme Slimane Azem, dont il faudra bien cerner un jour toutes les facettes encore dans l'ombre. D'un autre, des émules de Mac Carthy, installés dans leur mirador vert wahhabite, tirent sur tous ceux qui ne se déplacent pas dans le sens qu'ils ont choisi pour eux. L'un de ces miradors, Echourouk, le mal nommé, a lancé lundi dernier une nouvelle chasse aux sorcières avec ce titre vengeur en pages une : «Le chanteur de raï Rachid Taha chante en Israël, sans égard pour l'honneur des Algériens.»(3) En surtitre, on justifie l'annonce en précisant que la presse israélienne considère l'évènement comme un pas vers la normalisation avec l'Algérie.
On nous dit de lire les détails en page 24, et nous nous exécutons : on apprend que le chanteur a été invité au festival culturel annuel qui s'est déroulé dans la partie Est de Jérusalem. L'auteur de l'article, qui s'est laissé prendre au piège du «copier-coller», nous annonce en deux fois que le festival s'est tenu du 20 au 27 juillet et était organisé par le centre culturel Yabousse, ou Jébus.
Autre précision édifiante : le concert du chanteur a eu lieu dans la Maison de l'enfant arabe, dans Al-Quds occupée(4). On comprend mieux le titre en apprenant que c'est le journal israélien Maariv qui a consacré un article à la prestation de Rachid Taha. L'article de Maariv, cité par le journaliste Sofiane A.(5), parle cependant de «normalisation culturelle avec des pays arabes qui boycottent Israël».
Sans s'arrêter à la contradiction, celui qui semble devoir être notre confrère cite des commentaires élogieux de Palestiniens pour Rachid Taha, en particulier celui de Rania Elias, la directrice du centre Yabousse. Nous y voilà enfin ! Donc, si on s'en tient aux faits, Rachid Taha a effectivement chanté à Jérusalem-Est, mais sur invitation d'une organisation palestinienne qui apprécie l'artiste et ses compatriotes algériens. Ajoutons que le centre culturel que dirige Rania Elias est purement palestinien, et qu'il s'attache à maintenir l'esprit de résistance à l'occupation israélienne. C'est pour cette raison qu'il s'est donné le nom de Yabousse, ou Jébus, le premier nom de la ville de Jérusalem, construite par les Jébuséens, chassés par David (Sidna Daoud). Des détails que l'on peut trouver dans n'importe quel bon dictionnaire, à condition de se donner la peine de le consulter bien sûr.
Nous sommes donc très loin du procès en normalisation, voire pour trahison intenté par un média mal-intentionné. Et qui a commis lui-même une grosse trahison en reconnaissant l'annexion de Jérusalem-Est par Israël puisqu'il annonce de façon tonitruante qu'il a chanté «en Israël». Alors, qui a agi «contre le nez» des Algériens qui n'ont pas encore reconnu l'annexion de Jérusalem, et encore moins celle de la Palestine ?
Pour ne pas être en reste, le très sérieux Al-Khabar qui se surprend à braconner sur les terres d'Echourouk, y va aussi de son antienne d'avant- Ramadan. Il s'agit, cette fois,
de ces infatigables envahisseurs que sont les évangélistes. Le quotidien dénonce leur dernier méfait qui a eu pour théâtre la station des Andalouses, à Oran, où des inconnus ont distribué
gratuitement des exemplaires des Evangiles. Comme ils nourrissent des projets malsains contre la terre d'Islam et qu'ils sont pleins de duplicité, ils ont enveloppé leur «littérature» dans des
paquets cadeaux. Ainsi, les musulmans de bonne foi, qui ont accepté ces dons, ne se sont aperçus de la ruse qu'une fois qu'ils sont rentrés chez eux et ont ouvert les «colis piégés», s'indigne le
pieux Al-Khabar. Voilà pourquoi avec de telles vilénies saisonnières, nous risquons pour ce Ramadan d'avoir des chrétiens non-jeûneurs à nous mettre sous la dent, au lieu de viande indienne.
(1) Sa chanson sur le croissant et l'étoile du drapeau algérien nous est proposé quasiment en boucle sur la chaîne en tamazight, comme pour nous dire : «Vous voyez bien que ce
monsieur n'était pas un traître !» Nous, ce qu'on veut, c'est savoir comment un Algérien peut passer du statut de patriote à celui de traître et, vice-versa, par des commandements occultes.
(2) Voilà un homme injustement traité par les Arabes, alors qu'il a été épargné par le châtiment qui a frappé Sodome et Gomorrhe, justement parce qu'il était le plus vertueux. Mais dans le
lexique arabe, il est utilisé à tout bout de champ pour désigner les homosexuels.
(3) L'expression utilisée est «raghma anfi» (en dépit du nez), qui peut signifier à la foi, sous le nez, ou contre l'honneur qui est logé comme chacun le sait au niveau de l'appendice nasal.
(4) La visite à Al-Quds a été prohibée pour les musulmans par fatwa de l'omnipotent et omniprésent Karadhaoui.
(5) Je ne sais si c'est par modestie, par pudeur, ou par crainte pour leur sécurité, que des confrères et des consœurs signent avec leurs initiales, ou plus couramment avec le prénom suivi de la
première lettre du nom.
On peut comprendre que ce soit le cas en période d'attaques ciblées contre des journalistes, mais la règle d'or doit être de signer et d'assumer ses écrits.
Ahmed Halli. halliahmed@hotmail.com . Kiosque Arabe. Le soir d'Algerie, 1er août 2011.