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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

La première interview du nouveau président du RCD

Propos recueilis par Arab Chih. Liberté 



Liberté : Lors du 4e Congrès du RCD, les militants vous ont élu à une écrasante majorité comme nouveau président. Quel sentiment éprouvez-vous d’être à la tête d’un parti d’opposition comme le RCD et surtout de succéder à un leader comme Saïd Sadi ?

C’est une fierté et un immense honneur pour moi de diriger un parti comme le RCD même si, à titre personnel, il est délicat de se retrouver dans cette situation. C’est aussi un privilège de succéder à un homme comme Saïd Sadi. Cela dit, l’histoire de notre formation politique dont le parcours, le projet, les valeurs, la crédibilité et les hommes est un socle solide sur lequel un responsable peut s’appuyer. D’autant plus aisément que j’en suis, pour ma part, imprégné depuis l’âge de 19 ans.


Lors du congrès de votre parti, on a vu des congressistes bouleversés après le retrait de Saïd Sadi. Puis, Nordine Aït Hamouda lui a emboîté le pas en demandant à être déchargé de ses responsabilités au sein de la direction du parti. Deux semaines après, comment la base digère-t-elle ces deux évènements ?

L’émotion passée, la décision de Saïd Sadi de ne pas se représenter pour un autre mandat à la présidence du parti et celle de Nordine Aït Hamouda de ne pas figurer dans le nouveau secrétariat national sont vécues avec une certaine fierté ; c’est un acte pédagogique, un message politique et un signe de confiance dans la nouvelle génération de militants et, à travers elle, dans la jeunesse algérienne en général. Il est tout à fait sain que le collectif RCD s’inquiète et se soucie du devenir de notre parti. Mais, plusieurs messages me sont parvenus des militants et sympathisants. Ils manifestent leur reconnaissance aux dirigeants sortants, réitèrent leur fidélité à notre rassemblement et renouvellent leur disponibilité militante. C’est cela la force du RCD qui est à la fois une école et une famille pérennes.


On a constaté parmi les congressistes un rajeunissement et une féminisation qui se sont traduits au sein de la direction nationale. Comment appréhendez-vous ces mutations ?

L’essentiel de la composante de la direction nationale d’avant le congrès vient de la nouvelle génération de cadres formés dans et par le RCD. Le rajeunissement et la féminisation de l’encadrement du parti est une stratégie permanente dans notre parti. En 1998, à l’occasion du 2e congrès ordinaire du RCD, Saïd Sadi avait déclaré qu’il faut faire sortir la jeunesse du slogan politique pour l’installer dans la classe politique. En 2009 déjà, le RCD avait organisé une journée nationale de la jeunesse qui a vu la participation de 617 jeunes dont 148 femmes et qui a traité, entre autres, du jeune dans l’action politique. En mars 2010, le RCD a réuni plus de 800 femmes pour débattre du rôle et de la place de la femme dans le combat politique. C’est cet investissement réfléchi et programmé qui a conduit à une présence plus prononcée des femmes et des jeunes à tous les niveaux de la hiérarchie du parti. Pour le RCD, la jeunesse représente à la fois la chance et la solution dans notre pays.


Vous n’êtes pas de la même génération que votre prédécesseur ; allez-vous imprimer un nouveau style dans la conduite des affaires du parti ? Maintiendrez-vous la même ligne radicale ?

Mon prédécesseur a été et restera un repère pour ma génération tant sur le plan de la rigueur dans la gestion, de la probité morale, de l’anticipation intellectuelle que de la détermination concrète à faire avancer notre projet dans la société. Cela dit, un exemple ne vaut que s’il libère les intelligences et les énergies. Le 4e congrès est arrivé à la conclusion qu’une page se tourne dans l’Algérie du pluralisme de façade et que le combat classique est dépassé. Nous allons explorer de nouvelles voies pour informer, mobiliser et partager notre vision stratégique avec d’autres couches sociales et à travers d’autres espaces. Nous allons nous atteler à capter l’attention et susciter l’intérêt des citoyens pour les amener à une convergence démocratique large et efficiente.

Nous travaillerons à mieux gérer notre communication dans un pays où les médias lourds, propriété du pouvoir, sont fermés à l’opposition. Les nouvelles technologies de communication sont un atout dont ne disposait pas la génération qui nous a précédés.

S’agissant de la ligne, je rappelle que le RCD n’a pas choisi le chemin le plus facile mais le plus juste.


Au lendemain de votre élection comme nouveau président du RCD, des rumeurs ont circulé sur un possible repositionnement du RCD sur les prochaines élections. Qu’en est-il exactement ?

Vous avez raison de dire rumeurs. La décision du boycott des législatives du 10 mai a été prise par un conseil national extraordinaire, instance souveraine de notre parti. Elle a été appuyée par le conseil national ordinaire du 10 février. Cela fait 8 ans que le RCD revendique une observation internationale massive et qualifiée des élections. Dans un premier temps, l’Union européenne avait pris l’engagement de ne pas se laisser impliquer dans le scrutin sans un assainissement crédible du fichier électoral. Les intérêts bilatéraux, notamment de l’Espagne et de l’Italie, en grandes difficultés financières, semblent avoir contribué à un compromis où l’UE renonce à la phase préparatoire pour ne s’engager que dans l’observation. Or, la manipulation est faite en amont. Et puis, un pouvoir qui veut sortir des pratiques frauduleuses ne fait pas passer au Parlement une batterie de lois liberticides quatre mois avant les élections. Cela donne une situation un peu grotesque où le seul parti qui demande la surveillance internationale sera absent de l’élection. L’UE va surveiller des fraudeurs.

J’entends des commentateurs relever que le RCD, ayant accepté de participer dans les scrutins précédents, ne devrait pas boycotter. Quand il fallait assumer la contestation à l’APN dans un contexte national et régional figé, nous l’avons fait. Mais, s’engager dans une supercherie électorale au moment où le peuple algérien se bat quotidiennement dans la rue, au moment où les autres pays brisent le carcan des dictatures relève non pas de l’erreur mais, au minimum de la faute politique pour ne pas dire de la trahison nationale.
Alors vous savez, les manipulations et autres tentatives de déstabilisation des services spéciaux ne nous atteignent pas, bien au contraire. Ceux qui parient sur un infléchissement dans nos positions seront vite déçus.


Restons dans les élections. Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, vient de déclarer que le boycott ne constitue pas un programme. Que lui répondez-vous ? Allez-vous mener campagne en faveur du boycott ?

Ouyahia a aussi dit en 2009 que celui qui ne vote pas pour Bouteflika est un traître. Il est mal placé pour parler de programme. Cela fera bientôt 20 ans qu’il est à la tête du gouvernement. Il a revendiqué des politiques diamétralement opposées. Il est, cependant, constant dans un seul programme : la fraude qui l’a fait naître politiquement et dont il vit depuis. M. Ouyahia devrait revisiter notre histoire. Il verrait que le boycott ou les grèves ont souvent été à l’origine des avancées historiques du peuple algérien. Il verrait aussi que ce sont les fraudes du colonialisme, semblables aux siennes, qui ont conduit au 1er Novembre. S’agissant de la campagne pour le boycott, nous allons la mener sur le terrain à travers des sorties de proximité. Ce travail a déjà été entamé, nous allons l’intensifier dans les prochains jours.


Comment voyez-vous l’après-10 mai ?

L’après-10 mai verra s’établir la décantation politique. Il était temps. Il y aura d’un côté ceux qui disent que le pouvoir a besoin d’une nouvelle légitimité, d’un consensus politique et social rénové pour la stabilité du système et qui, après avoir pris leurs quotas, devront assumer leur clientélisation. Il y aura de l’autre côté les Algériens qui veulent établir une souveraineté nationale à travers une alternative au système par l’instauration d’un pouvoir légitime, civil. La rue continuera d’être l’espace d’expression politique privilégié. Concrètement, on aura une aggravation de la crise de confiance dans les institutions et, fatalement, une multiplication des manifestations et des révoltes. Tous les acquis arrachés jusque-là sont venus suite à la pression de la rue. Ce fut le cas en 1980 quand la répression a dû reculer, ce fut aussi le cas en 1988 pour le multipartisme…, idem en 1994, pour la création du Haut-commissariat à l’amazighité. Plus près de nous, en 2011, la levée de l’état d’urgence, l’augmentation des salaires… furent la conséquence de la mobilisation citoyenne. Inversement, toutes les régressions sont venues quand le pouvoir a enfermé l’opposition dans un jeu institutionnel factice où il impose les termes et les objectifs du débat politique. La pénalisation du délit de presse en 2001, la levée de la limitation des mandats en 2008, la criminalisation de la harga, les lois liberticides de 2011 sont les résultats de tactiques qu’il faut savoir dépasser.


Les 50es anniversaires des accords d’Évian et de l’Indépendance sont mieux célébrés en France qu’en Algérie. Pourquoi, selon vous, cette attitude des autorités algériennes ? Quel bilan faites-vous au RCD des 50 années d’indépendance du pays ?

La question est d’autant plus pertinente que les dirigeants algériens ne mettent en avant que la légitimité historique pour se maintenir au pouvoir. Une légitimité par ailleurs largement entamée suite aux récentes révélations sur l’implication de plusieurs dirigeants actuels dans des crimes et forfaitures qui hanteront longtemps la mémoire collective. Célébrer le 50e anniversaire des accords d’Évian et de l’Indépendance, c’est évoquer et rappeler le souvenir de Krim Belkacem, signataire des accords d’Évian, étranglé à Francfort en Allemagne, Mohamed Khider exécuté à Madrid, Mohamed Boudiaf liquidé en direct à la télévision, Amirouche et El-Houas dont les dépouilles ont été déterrées à deux reprises avant d’être séquestrées dans les caves de l’état-major de la gendarmerie, Chaâbani fusillé après un procès grotesque, Abane Ramdane assassiné au Maroc, Ferhat Abbas placé sous résidence surveillée et dépossédé de ses biens...
Mais parler courageusement et loyalement de l’histoire c’est, également, traiter de la violence du colonialisme et prendre le risque de heurter, en cette période d’élections présidentielles, les dirigeants français desquels est attendu la complaisance après les résultats frauduleux des législatives. Il y a un deal mesquin qui se fait au prix d’un marchandage sur l’Histoire. Cela ne fera que retarder et compliquer la coopération entre l’Algérie et la France et, plus généralement, la construction d’un nouveau destin. Ruinée par l’incompétence des dirigeants, la corruption, l’absence de projection et d’ambition, l’Algérie est otage des hydrocarbures. L’avenir économique est compromis. Le pays qui importe tout perd les anciens cadres qui s’expatrient sans en avoir formé de nouveaux. Après avoir confisqué l’Indépendance nationale et éliminé, y compris par des liquidations physiques, tout homme capable de construire, on voit Ould Kablia verser des larmes de crocodile et regretter que les signataires des accords d’Évian ne soient pas associés à la gestion du pays. Organiser la fraude en 2012 est un prolongement naturel de l’assassinat de Abane et du reniement de la Soummam ; c’est-à-dire du viol et du reniement des accords d’Évian.



Propos recueillis par Arab Chih, 22 mars 2012. Liberté.com

 

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