2 Février 2013
Par Abed Charef
En lançant ses troupes vers le Sud, le groupe
Ansar Eddine a contraint la France à intervenir tout de suite, dans la précipitation. Et la France, qui refusait d'envoyer des hommes, est passée au plan B. Ce n'est pas suffisant pour dire que
les insurgés du Nord imposent leur rythme, mais on n'en est pas loin.
Une armée étrangère accueillie
avec enthousiasme. Des militaires étrangers reçus comme des libérateurs, et des habitants qui applaudissent, chantent, dansent et sautent de joie pour exprimer leur reconnaissance. Ces images ont
été vues en Irak, en Afghanistan. On les a vues encore cette semaine au Mali, après avoir vu des images à peine différentes en Libye, quand les pickups des « thouars » libyens étaient entrés à
Tripoli, couverts par l'aviation de l'OTAN.
Ce sont des images racistes,
humiliantes, blessantes pour le peuple soumis à l'occupation. Elles sont supposées rassurer l'opinion publique du pays occupant, et lui confirmer à quel point son intervention a été salutaire. On
est dans les «bienfaits de l'occupation ». Mais ces images provoquent un véritable traumatisme dans le pays occupé, car elles veulent justifier l'injustifiable, cautionner une action dangereuse,
qui va déboucher inévitablement sur des crimes.
Ce schéma est d'un classique
affligeant. Il amène à mobiliser une opinion publique supposée libre en faveur d'une intervention militaire qui commence dans l'enthousiasme et le consensus, pour se terminer dans la boue et le
sang. Et ce n'est qu'à la fin de l'expédition que la parole se libère, pour révéler quelques scandales. On apprendra alors quelle multinationale a poussé à la guerre pour protéger quels
gisements, et que tel dirigeant, lié à tel lobby, a poussé au pourrissement, alors que tel groupe armé, auteur d'attentats sanglants, agissait en fait pour le compte de la puissance pour
justifier son intervention.
Ce n'est plus un schéma, c'est un
piège. Et c'est dans ce piège que la France est tombée. Car contrairement au discours dominant véhiculé par les officiels français, cette intervention au Mali n'est pas menée à l'initiative de la
France. Ce sont les groupes armés qui ont imposé leur agenda, et qui mènent le tempo, obligeant la France de lancer sa guerre à un moment qu'elle n'a pas choisi, et selon des méthodes qu'elle
redoutait par-dessus tout.
Rappel. La France avait fixé
quelques règles à ses initiatives au Mali : pas question de laisser les groupes armés prendre le pouvoir à Bamako, ni installer des fiefs au nord du pays ; pas d'intervention militaire directe,
pour éviter tout risque d'enlisement ; impliquer les Nations-Unies et les pays africains, pour que la guerre n'ait pas ce cachet néocolonial tant redouté ; lancer l'intervention militaire après
l'été, lorsqu'un embryon d'armée malienne aurait été mis sur pied, avec, en parallèle, un effort pour réhabiliter l'Etat malien.
Les groupes armés du nord, Ansar
Eddine, AQMI et le MUJAO ont, de leur côté, compris qu'un tel plan pouvait leur être fatal. Ils ont décidé de bouleverser le calendrier, pour provoquer une intervention rapide, et imposer un
autre schéma : ce n'est pas une guerre menée par des Africains avec le concours de l'ONU pour rétablir l'intégrité territoriale d'un autre pays africain menacé de dépeçage, mais une guerre
néocoloniale, menée par une ancienne puissance coloniale, contre un peuple musulman, avec des moyens tellement disproportionnés qu'ils provoqueront fatalement des crimes.
Le mieux, pour les insurgés du
Nord, est que l'armée française commette des bavures, ou des crimes de guerre, et que l'armée malienne mène des représailles contre les populations du Nord. Ce serait le meilleur moyen de prouver
que c'est une «croisade », et de mobiliser une opinion très sensible à ce type de discours.
Dès lors, les déclarations de
victoire lancées régulièrement côté français apparaissent ridicules. La prise des villes du nord, Gao, Tombouctou et Kidal, n'a pas de signification militaire pour Ansar Eddine et ses alliés. Les
groupes armés du Nord ne lui accordent guère d'importance. Pour eux, il serait suicidaire d'affronter des colonnes françaises aussi solidement armées. Mais c'est quand ces troupes françaises
auront leurs cantonnements, qu'il faudra les ravitailler, quand il faudra chercher de l'eau, transporter des troupes sur les longues pistes dans le désert, quand il faudra engager des hommes pour
mener des opérations sur un terrain inconnu, le terrorisme fera son apparition.
Dans leur discours, militaires et
dirigeants politiques français font preuve d'une grande lucidité. Ils affichent un projet qui veut à tout prix éviter l'enlisement. Mais pour le moment, ils ne peuvent pas tenir un autre
discours. Ils sont contraints d'afficher que leur plan pour le Mali est le plus proche possible de celui des Nations-Unies, et le plus acceptable pour les Africains. Pour les Français, le pari
sera donc d'éviter une sortie de route, alors que les risques de dérapage sont multiples. Pourront-ils se tenir de manière très stricte à leur discours initial? Pourront-ils maitriser la
situation de manière à ne pas être entrainés dans un long conflit meurtrier ? La France pourra-t-elle maintenir la situation sous contrôle jusqu'au déploiement de toutes forces africaines
souhaitées, et l'arrivée de celles-ci ne risque-t-elle pas de mener à des dérives? Les forces africaines sur lesquelles ils comptent pourront-elles jouer le rôle attendu d'elles ?
Dans une seconde étape, se poseront des questions encore plus embarrassantes, quand commencera la phase ultime du plan d'assistance au Mali. Car il faudra aussi reconstruire l'Etat et l'armée maliens, et proposer aux Touareg une place digne dans le futur Mali. On se rendra alors d'une réalité affligeante: il est plus facile de culbuter une armée que de construire une petite administration efficace. Quant à construire un Etat et une armée dans un pays pauvres, miné par la guerre, transformé en bastion pour les trafics en tous genres et le terrorisme, c'est une autre paire de manches.