25 Juin 2011
« (…) J’ai été pendant trente ans l’homme des livres, eh bien ! je comprenais tout par le menu de la marche de l’histoire : l’enchaînement, la nécessité, le mécanisme des affaires, tout sauf une chose qui est le grand secret – le secret puéril – pour quoi il faut avoir mis la main à la pâte : la facilité déconcertante avec laquelle les choses se font. Il y avait pour moi cet amusement presque inépuisable : constater que la machine marche, que mille rouages jouent et fonctionnent quand on appuie sur le bouton. C’était, au début, à n’y pas croire : se trouver devant des boutons qui n’avaient pas fini de tourner – cela donne un peu de vertige ; et puis vient ensuite un autre plaisir : le plaisir d’arriver à un même but par plusieurs circuits. On ne se lasse pas – on ne se lasse pas de longtemps de voir que ces engrenages mordent : l’exaltation de la matière humaine malaxée, je t’assure que c’est un fumet qui colle aux narines, c’est tout autre choses que de comprendre le fonctionnement du moulin. Enfin, j’ai eu plaisir à cette mécanique qui ne faisait pas crier que des rouages vides. J’ai eu mon bon temps. Je ne le regrette pas. Seulement, il est venu autre chose… »
Julien Gracq. Le Rivage des Syrtes (José Corti), p 308.