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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

Professeur Chitour : "La stratégie industrielle a disparu"

 

 

 

Le Professeur Chems Eddine Chitour dans le manuel scolaire français

DR-"Pour mettre en place un plan d'industrialisation,

il nous faut fixer des priorités, nous ne pouvons pas

lancer tous azimuts. Un honnête état des lieux est

nécessaire".

 

 

 

 

Rebâtir l'industrie nationale

 

Les conditions d'une réussite

 

 

Par Pr Chems Eddine Chitour

 

                       

 

 

 

    

«La bourgeoisie nationale des pays sous-développés n'est pas orientée vers la production, l'invention, la construction, le travail. Elle est toute entière canalisée vers des activités de type intermédiaire. Etre dans le circuit, dans la combine, telle semble être sa vocation profonde. La bourgeoisie nationale a une psychologie d'hommes d'affaires non de capitaines d'industrie».

Frantz Fanon (Les Damnés de la Terre)

                   

 

 

 

 

 

Mon attention a été attirée cette semaine, par une information faisant état de la mise en place d'un plan Marshall de réindustrialisation de l'Algérie. Ce plan élaboré dit-on par les services du ministère de l'Industrie, de la PME et de la Promotion de l'investissement sera présenté dans les prochaines semaines en Conseil des ministres pour être mis en oeuvre par la suite et ceci il faut le souligner sans la consultation légitime et raisonnable de la «base» constituée par la société civile et surtout par l'Université algérienne qui aura à former les artisans de la réussite de ce plan, à moins de continuer à faire comme nous le faisons depuis une vingtaine d'années, à ne pas consulter l'université si naturellement nous n'avons pas besoin de cadres nationaux.

 

La deuxième interrogation en dehors de cette ambition à laquelle j'applaudis, quel est le cap? Quel est l'utopie mobilisatrice? J'ose espérer qu'elle existe et que le gouvernement la validera par une consultation des différents acteurs. Dans ce qui suit, je vais tenter de décrire l'histoire éphémère de l'industrialisation en Algérie puis donner mon avis sur ce que je pense être profitable au pays s'il s'engage sur le difficile chemin de l'effort, du savoir pour qu'à terme, il puisse tenter de retrouver une place dans la division internationale du travail.

 

Qu'est-ce qu'une industrie? C'est d'après une simple définition philosophique, "l'ensemble des activités économiques qui ont pour objet la transformation de matières premières en produits finis ou l'exploitation de sources d'énergie et de richesses minérales. L'industrie est un secteur de l'économie. C'est aussi l'ensemble des entreprises appartenant à une de ces activités économiques. Petite, moyenne, grande industrie. Industrie lourde. Industrie de base. Industrie de biens de consommation. Industrie du vêtement. Industrie métallurgique. Industrie minière. Industrie chimique. Industrie alimentaire. Industrie automobile. Industrie pharmaceutique. Industrie nationalisée. Industrie de guerre. L'industrie du pétrole. C'est donc une action qui transforme et multiplie les moyens de l'homme.»(1)

 

L'Algérie a-t-elle été industrialisée?

 

Dans la période coloniale il n'existait pas d'industrie endogène, mais plutôt un pillage de matières premières (minerais divers: fer, Cu, Nickel,plomb, mercure, pétrole et gaz) envoyées vers la métropole qui en retour nous renvoyait des produits à forte valeur ajoutée. On sait que les trois plans de développement, le triennal et les deux quinquennaux sous l'ère Boumediene avaient l'ambition de donner une assise industrielle à l'économie algérienne.

Après la mort de Boumediene, il y eut un coup d'arrêt à cette philosophie des «industries industrialisantes». Même si elle était critiquable par certains aspects, elle était dirigée vers une autonomie et vers l'objectif du plein emploi. Retenons que pour la période 1965-1978, l'Algérie avait engrangé en tout et pour tout 22 milliards de dollars et les réalisations faites étaient pérennes. Après Boumediene, le commencement de l'infitah, réplique du «consensus de Washington», a fait que les différents gouvernements n'ont pas créé de richesse et se sont contentés de gérer la rente. Il y eut d'abord une période euphorique au début 1980-1984: un baril à 40 $ et un dollar à 5 francs. Le dinar était en quasi-parité avec le franc. L'Algérien- slogan: pour une vie meilleure oblige- était invité à se divertir, à gaspiller, bref à adopter un comportement de ses cousins potentats arabes branchés sur le farniente et la paresse intellectuelle. Ce fut l'époque du Programme anti-pénurie (PAP), celle de l'emmenthal et de l'électroménager...

Ce qui devait arriver arriva, il y eut retournement du marché. En juillet 1986, le baril de pétrole fut côté à moins de 10 $ du fait de la guerre des quotas, entre la Grande-Bretagne de Margareth Thatcher - gisement Brent de mer du Nord- et l'Arabie Saoudite qui voulait défendre sa part de marché. Résultat: le marché fut inondé et l'Algérie perdit plus de 18 milliards de $ entre 1986 et 1990. L'Algérie eut alors des difficultés à assurer la pitance de ses citoyens à qui elle a donné des mauvaises habitudes à savoir que tout leur est dû sans effort. 1988 puis la décennie noire et les griffes caudines du FMI ont fait que l'Algérie avait comme priorité de rester debout et l'industrie en paya le prix, des pans entiers de ce que nous savions faire furent détricotés. On parle de 400.000 travailleurs remerciés, et des dizaines d'usines fermées. Pour la génération actuelle il est important de leur signaler qu'un savoir-faire fondement de toute industrialisation existait. Il n'est que de se souvenir des dizaines d'usine de textile de la Sonitex, notamment du complexe de Draâ Ben Khedda que l'on disait le premier d'Afrique. L'une des erreurs les plus tragiques de la politique de l'infitah débridée a été de préférer les choses importées aux choses produites localement par un système de taxation pervers et par un atavisme démonétisant ce que l'on produit- la haine de soi-, la production nationale est graduellement assimilée à du khorti (bas de gamme). Ce qui fait qu'il y eut des reconversions; ceux qui fabriquaient local, n'avaient plus la possiblité d'être rentables, ils se mirent eux aussi à importer des produits finis et dans la chaine de valeur, ils reculèrent au lieu de créer; ils transforment (plastiques détergents...) et conditionnent en bouteilles, en sachets, ne demandant de ce fait, aucun effort intellectuel, nous l'avons vu avec les usines de détergents de la Snic (Société nationale des industries chimiques). L'Algérie qui fabriquait ses détergents a bradé ses usines et est devenue un marché pour une quarantaine de marques.

La «bazarisation» progressive a fait que l'Algérie a abandonné graduellement son savoir-faire préférant par la force des choses donner de l'emploi aux pays qui nous vendent leurs produits finis (France, Chine, Turquie) pour les plus importants. C'est donc près de
45 milliards de dollars chaque année qui sont échangés contre de l'éphémère. Cette politique est intenable car l'horizon s'obscurcit de plus en plus.

 

Le monde est dangereux

 

Comment se présente le futur? Une demande énergétique qui va exploser et surtout une dépendance intolérable dans un contexte de tarissement de la rente des changements climatiques erratiques qui ne semblent pas inquiéter les responsables. Enfin, un environnement international qui n'a jamais été aussi ensauvagé par un Occident sûr de lui et dominateur. Dans ces conditions, il est utopique de croire que l'Algérie fera exception. Nous sommes un petit pays disposant d'un grand territoire, le plus grand d'Afrique, disposant aussi de ressources énergétiques aux portes de l'Europe. En clair, nous remplissons les conditions pour une «sollicitude» de grands de ce monde pour être «redressés».

Il nous faut nous méfier comme de la peste des analyses exogènes de la Banque mondiale, du FMI et autres officines du «Ya qu'à». Je devrais par principe me méfier des encouragements de ces institutions, car de facto, j'accepte de rentrer dans le rang du désarmement tarifaire, de la division du travail où mon rôle est de consommer tant que j'ai des dollars du pétrole que je dois brader, et après je m'inscrirai dans la liste des zones grises en attendant chaque année une éventuelle pitance, la famine au Soudan tue des milliers d'enfants, qui s'en soucie?

Dans la division internationale du travail, l'Algérie est invisible, elle est devenue, il faut le regretter, un tube digestif qui achète sa paix sociale à coups de subventions en donnant de mauvaises habitudes à l'Algérien de 2013, notamment celui de la ville pour qui tout est pratiquement gratuit (nourriture, carburants, électricité, eau,) champion de la triche et du non-paiement de ses impôts il pense que tout lui est dû. Pour couronner le tout, on lui promet la 3G pour tchatcher. L'Algérien de la campagne, lui aussi est tenté par la vie facile, de la ville, l'exode rural fait que tous les segments importants, (notamment les boulangeries, le bâtiment) sont ravitaillés par ceux de l'intérieur. Quand il y a une fête, il y a un exode en sens inverse..et l'Algérois se retrouve démuni ne sachant rien faire

 

Ce que propose le ministère de l'Industrie

 

L'urgence de rebâtir l'industrie écrit Ali Titouche, commentant le plan d'industrialisation national est une chose convenue, mais l'aboutissement du projet demeure tributaire de la performance du gouvernement, jugée souvent insatisfaisante. Les auteurs du projet de relance industrielle sonnent le tocsin. «La croissance industrielle peine à trouver ses marques. Elle a été en moyenne de 3,6% durant les cinq dernières années», lit-on dans un résumé de la nouvelle politique industrielle (..)

S'il est vrai qu'il y a de bonnes intentions dans cette oeuvre de voir l'appareil productif national vrombir à nouveau, le gouvernement sera confronté à l'enjeu de convaincre par les actes et les résultats. L'investissement national se limite depuis plusieurs années déjà au seul secteur des hydrocarbures ainsi qu'à la commande publique. Le mode d'emploi de cette nouvelle ambition industrielle sera axé à la fois sur «le développement de filières traditionnelles dans une double logique d'import substitution et d'intégration industrielle», mais aussi sur «une insertion active de l'activité industrielle dans les tendances structurantes, à l'oeuvre dans l'industrie mondiale». (2)

De plus, M.Chérif Rahmani affirme que l'étape suivante est déterminante dans la mesure où «l'échec dans la mise en place de cette industrie est synonyme de destruction de notre économie et l'hypothèque de l'avenir des générations de l'après-pétrole». L'objectif de cette politique industrielle à l'horizon 2020 est non seulement d'augmenter la valeur ajoutée mais aussi de réduire les importations et d'améliorer les exportations tout en préparant les conditions nécessaires pour «sortir de la commande publique», avait déclaré M. Rahmani. (3)

 

Ce que je crois

 

Tout ce qui est dit, écrit et pensé est très beau, bien dit tout cela comment? On a toujours peur de parler de planification alors que même dans les pays capitalistes, ils planifient et font des projections sur l'avenir. Cette stratégie élaborée en l'absence de l'Université et de la société civile n'aboutira pas à quelque chose d'ambitieux s'il n'y pas de stratégie d'ensemble, en un mot s'il n'y a pas de cap ou d'utopie. A quoi cela sert de faire des autoroutes si elles ne sont utilisées que pour les voitures? Le ministre a parlé d'innovation. Comment? ex nihilo??
Je voudrais proposer de compléter cette vision par l'apport décisif de la formation des hommes, mais au préalable, il nous faut définir un cap sur la base d'un constat sans complaisance. Pour mettre en place un plan d'industrialisation, il nous faut fixer des priorités, nous ne pouvons pas nous lancer tous azimuts. Un honnête état des lieux est nécessaire. Pour ce faire, il serait indiqué de nous inspirer de la politique du New Deal de Franklin Delanoë Roosevelt qui a mis une politique de grands travaux encadrée par l'armée du développement national, ce fut une réussite qui a permis de construire des infrastructures et de créer des centaines de milliers d'emplois.

Les hydrocarbures sont à la fois notre maillon faible- certains parlent de malédiction- car cela remet aux calendes grecques tout développement endogène. Cela peut être aussi notre maillon fort si on sait y faire. Un principe que nous devrions adopter est celui d'adosser toute calorie exportée à l'acquisition d'un savoir-faire dans le domaine des énergies renouvelables gisement autrement plus porteur pour la création de richesse. De ce fait, tous les acteurs, notamment les grandes entreprises de l'énergie (Sonatrach, Sonelgaz, Naftal...), se doivent d'être des maillons d'une stratégie énergétique Nous n'avons que faire de dollars de la rente s'ils sont entreposés dans des banques, nous devrions extraire du sous-sol plus que jamais que ce qui est nécessaire à notre développement, sachant bien que notre meilleure banque est notre sous-sol. Des partenaires chinois, américains, allemands français et espagnols et autres ont une réelle expertise dans le développement des énergies renouvelables. Peut-on penser à adosser chaque contrat avec ces partenaires par une aide dans la mise en place enfin d'une réelle stratégie énergétique? Stratégie qui a disparu des préoccupations du gouvernement.

 

La formation des hommes

 

Pour réussir une industrialisation, il nous faut des cerveaux. L'échec ou la réussite d'un pays est indexé sur la performance du système éducatif. Il nous faut améliorer les méthodes d'éducation et les contenus en partant du principe que la finalité est de former un futur citoyen avec des savoirs utiles. Nous devons former les combattants d'un nouveau jihad, à la fois contre l'ignorance et pour l'obligation de donner une chance d'exister scientifiquement à l'Algérie dans un monde de la guerre de tous contre tous. Il est utopique et inutile pour le pays de former des milliers de médecins, d'ingénieurs s'ils sont pléthoriques, mal formés. Par contre, il y a un cruel besoin de maçons, de ferronniers, de plombiers, tout une panoplie de métiers qui avaient leurs lettres de noblesse. Il est nécessaire là aussi que des états généraux définissant les métiers de l'avenir se tiennent.

De plus, les formations technologiques, colonnes vertébrales de tout développement industriel, devront être réintroduites Une université créatrice de richesse, notamment par la création de start-up, doit pouvoir aussi avoir les moyens d'une recherche (agronomie, développement durable, énergies, eau, environnement). Le moment est venu d'élaborer une nouvelle échelle sociale basée sur le savoir et le savoir-faire, en un mot, la méritocratie. La politique sociale devrait progressivement cesser, sinon c'est le dépôt de bilan, elle devrait laisser la place à celle du mérite.

Nous devons militer pour un Etat stratège qui doit donner la chance à chaque Algérien pour peu qu'il en témoigne l'ambition d'évoluer dans la vie. Le patriotisme économique qui est partagé par tous les Algériens, secteur privé ou public, ne doit pas être qu'un slogan, voire un voeu pieux. Nous devons le traduire dans les faits. «Nos emplettes de nos produits nationaux sont nos emplois.» Nous sommes avertis...

 

NOTES

 

1.http://www.devoir-dephilosophie.com/dissertation-industrie-quels-types-savoir-utilise-110218.html
2.Ali Titouche:Les grands axes de la nouvelle politique El Watan 24.08.13
3. http://www.maghrebemergent.com/actualite/maghrebine/item/28503-algerie-la-relance-de-l-industrie-revue-et-corrigee-par-cherif-rahmani.html

Source: L'Expression-dz

 

 

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