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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

En Ukraine, les oligarques sont les maîtres du jeu électoral

L'oligarche Igor Kolomoïski, le grand gagnant du redécoupage en cours. Photo DR 

 

Par Amélie Poinssot, 22 octobre 2014

EXTRAITS

Ce n'est pas l'extrême droite ukrainienne qui sortira gagnante du scrutin législatif de ce dimanche 26 octobre, comme veulent le faire croire la propagande russe ou certains milieux politiques en France. Ceux-là agitent la menace de formations extrémistes qui n'ont, en fait, aucune chance de franchir le seuil des 5 % nécessaires pour entrer au Parlement. Il est un milieu, en revanche, qui n'a rien à perdre à ces élections : ce sont les oligarques.

Ces derniers ont en effet placé leurs hommes sur les différentes listes électorales en présence. Ils devraient continuer à exercer leur influence dans les différentes sphères du pouvoir, comme ce fut le cas sous les présidences Ianoukovitch, Iouchtchenko et Koutchma. Surtout, certains de ces Ukrainiens richissimes ont assis leur domination dans de nouveaux secteurs, à la faveur de la guerre dans laquelle est plongé le pays. Onze mois après les premiers rassemblements sur le Maïdan, la place centrale de Kiev, la volonté de réformer le pays et de le débarrasser de la « clique » Ianoukovitch semble comme rendue caduque par des intérêts qui la dépassent (...).

Élément clef de cette nouvelle configuration : le président lui-même, Petro Porochenko, milliardaire dont la fortune ne repose certes pas sur le commerce du gaz ou du pétrole, comme celles de la plupart des oligarques ukrainiens, mais sur un groupe de confiserie, Roshen. L'homme avait promis, avant son élection, de se séparer de sa chaîne de télévision (Canal 5) qui avait largement soutenu le mouvement du Maïdan. Aujourd'hui, Porochenko président est toujours propriétaire de la chaîne, ce qui, même si le média n'est pas le plus regardé du pays, pose un évident problème de conflit d'intérêts.

En août, le président a annoncé la vente prochaine de ses actifs dans Roshen – une opération confiée au groupe Rothschild – et ses biens en Russie ont été gelés – ce qui a porté un sérieux coup à sa société. Mais selon Mikhaïlo Minakov, dont la fondation, indépendante, conseille différents partis politiques ukrainiens, ces premiers mois de présidence montrent en réalité que Porochenko est encore dans la perpétuation du système. « On voit, à travers ses nominations et la constitution des listes électorales, que Porochenko cherche une rente politique », même si l'homme, soutient-il, est le mieux formé et le plus compétent que le pays ait jamais vu à ce poste.

De même, le n°2 de l’administration présidentielle s'avère être lui aussi un homme d'affaires : Iouri Kosiouk, agro-industriel, est l’un des premiers Ukrainiens à avoir obtenu, six mois avant le sommet de Vilnius, le certificat de conformité avec les standards européens.

Sur la liste électorale du camp présidentiel et intitulée « Bloc Porochenko », on trouve par ailleurs le fils du chef de l'État et un certain nombre de personnalités liées à des oligarques. Sans compter deux figures du journalisme ukrainien indépendant : Serghiy Lechtchenko, directeur adjoint du journal  Ukraïnska Pravda, et Mustafa Nayyem, rédacteur en chef de Hromadstke TV que Mediapart avait rencontré à Kiev en mai dernier. Après avoir observé avec une distance critique l'arrivée au pouvoir de Petro Porochenko, ces deux hommes se sont donc finalement ralliés à celui que l'on appelle en Ukraine le « roi du sucre »… Nul doute qu'ils privent aussi, ce faisant, le quatrième pouvoir ukrainien de deux voix percutantes.

De fait, représentants des oligarques, journalistes et figures du Maïdan irriguent la plupart des listes en compétition ce dimanche 26 octobre : elles sont à l'image des partis politiques ukrainiens, coincées entre la volonté d'avancer sur les réformes et la nécessité de s'arranger avec ceux qui détiennent encore le pouvoir sur le terrain.

« Les listes de candidats comprennent des activistes civiques, des hommes d'affaires de second rang, des politiciens de carrière, des escrocs de toutes sortes et même des responsables de détournements majeurs de fonds de l’État, constate sévèrement l'ancien rédacteur en chef de Forbes Ukraine, Vladimir Fedorin, dans un article publié dans Moscow Times. Il y a un groupe qui manque, ce sont les réformateurs – des leaders qui comprennent qu'il ne faut pas privilégier les mesures de soulagement de court terme sur les développements économiques de long terme. »

Se couper complètement des escrocs et autres entrepreneurs véreux ? L'affaire n'est pas si simple. « Couper les ponts avec les oligarques n'est pas une décision aisée, estime Mikhaïlo Minakov, qui, avant d'être conseiller, fut infirmier puis doctorant en philosophie… Il y a un tel besoin de financement dans le pays, or ce sont eux qui ont l'argent ! Et puis, il faut bien avoir en tête qu'en Ukraine, les partis politiques représentaient jusqu'à présent des intérêts économiques, pas des idées comme dans l'Union européenne… » On ne construit pas un nouveau système politique en quelques mois.

De fait, les réformes démocratiques voulues par le Maïdan n'avancent guère. Au mois de mai, le premier ministre Arseni Iatseniouk avait annoncé la mise à jour de la liste des entreprises d’État à privatiser – quelque 10 000 sociétés que le gouvernement avait répertoriées en 1993, dont 15 % avaient alors officiellement été vendues et dont le reste était passé, de facto, sous contrôle des oligarques sans qu'ils dépensent la moindre hryvnia pour les acheter. Procéder à une vente en bonne et due forme afin que les oligarques s'acquittent de leur dû faisait donc partie des objectifs du chef de l'exécutif… Objectif oublié aujourd'hui, tout comme la réforme du système d'imposition pour les entreprises, elle aussi annoncée au printemps.

L'annulation de ces réformes va dans le sens des intérêts de deux hommes, estime Mikhaïlo Minakov que Mediapart a rencontré lors de son récent passage à Paris : Rinat Akhmetov et Igor Kolomoïski.

Donetsk contre Dnipropetrovsk

Rinat Akhmetov et Igor Kolomoïski : ces deux itinéraires illustrent l'histoire de l'Ukraine indépendante, aujourd'hui comme hier prise en tenailles entre diverses luttes d'influence. L'un vient de Donetsk, l'autre de Dnipropetrovsk – ces deux villes de l'est de l'Ukraine qui s'opposent depuis 1991 à travers deux clans politiques qui ont, tour à tour, envoyé ministres et présidents à Kiev.

Tous deux ont bâti des empires faits d'industrie, de foot et de médias dans le grand bazar des années 1990. Akhmetov, fils de mineur tatar, désormais n°1 dans les secteurs du charbon et de l'acier et propriétaire du club de foot Shakhtar Donetsk, est l'homme le plus riche d'Ukraine. Il pèse 11,9 milliards de dollars selon le classement Forbes des plus grandes fortunes mondiales. Le second, à la tête du gigantesque groupe Privat qui possède entre autres la première banque du pays et de nombreuses filiales dans l'industrie chimique, l'acier et l'énergie, occupe « seulement » la cinquième place, avec une fortune estimée à 1,6 milliard. Aujourd'hui, ce dernier est à nouveau en pleine phase de conquête, tandis que le premier perd du terrain (...).

Homme d'affaires au business étroitement lié à la Russie, homme de réseaux au pouvoir immense sur sa région, Rinat Akhmetov avait pourtant semblé, dans un premier temps, se situer du côté pro-russe. Finalement, il ne fait rien, en dépit de son influence, pour canaliser les combats et laisse la situation échapper à tout contrôle. Ce positionnement confus, aujourd'hui, se retourne contre lui – non sans susciter des questions sur la guerre économique qui se joue en arrière-plan. Car quel que soit le résultat final – victoire du camp séparatiste ou reprise en main par les autorités ukrainiennes –, le résultat pour les usines d'Akhmetov sera le même : situées en grande partie dans la zone des affrontements, elles subissent des dégâts considérables et l'empire de cet oligarque est sérieusement entamé (...).

Dans ce grand redécoupage, Igor Kolomoïski, lui, a endossé le rôle du patriote et tire habilement son épingle du jeu, décrochant de nouvelles positions non seulement économiques, mais aussi stratégiques et militaires. En mars, il est nommé par Kiev au poste de gouverneur de Dnipropetrovsk. Il met sur pied un bataillon (Dnipro) pour défendre la région d'une intervention pro-russe, promet une prime de 10 000 dollars à chaque capture d'un « bonhomme vert », ces soldats sans insigne venus de Russie, et parvient à empêcher les désordres dans sa zone.

Non content de prendre les pleins pouvoirs sur sa région, Kolomoïski étend en outre son influence au-delà. L'un de ses associés, Igor Palytsia, est nommé au mois de mai gouverneur d'Odessa (un poste pour le moins stratégique, l'État ayant décidé de vendre la société qui gère le port de marchandises, et Kolomoïski ayant déjà manifesté son intérêt…) ; plusieurs membres de son bataillon rejoignent la police et l'armée ukrainienne ; et il parvient à placer des partenaires ici et là, comme le nouveau PDG de l'aéroport de Kiev (Boryspil). L'ensemble de la nouvelle direction de Boryspil est en outre constituée d'anciens de Privat, le groupe de Kolomoïski. Et en septembre, premier scandale : seules les compagnies liées à Dniproavia (compagnie contrôlée à 95 % par Privat) sont autorisées à utiliser l'aéroport…

Parmi les autres victoires de Kolomoïski : la levée d'un litige avec l'État, qui datait de Ianoukovitch, sur le sort de l'une de ses sociétés (...).

Source: Mediapart

Photo DR

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