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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

Ouyahia versus Rebah: Thérapie de choc antisociale contre ambition nationale de développement

Abdelatif Rebah. Photo DR

Abdelatif Rebah. Photo DR

C'était le 19 juin 2016. "Si on ne prend pas les devants, c'est le FMI qui va faire le ménage à notre place, donc il vaut mieux qu'on nettoie notre maison avec nos propres mains» a déclaré Ahmed Ouyahia à Boumerdès. L'exécutant de la thérapie de choc du FMI, qui avait saigné l'économie nationale dans les années 90, continue, "droit dans ses bottes", de se présenter comme le dirigeant le plus capable de mener une austérité sociale radicale. Et, par exemple, de nous faire aligner sur "nos voisins" dans le domaine des retraites. L'économiste Abdelatif Rebah affirme de son côté dans une interview à El Watan : "On assiste à la promotion d’un discours délibérément alarmiste visant à apeurer la population et faire qu’elle aille désarmée sinon consentante à l’abattoir social qu’on veut lui préparer".

(Mis en ligne le 20 juin 2016)

EXTRAITS

Est-ce que l’Algérie est prête à faire face à une crise économique ?

Abdelatif Rebah. Aujourd’hui, la chute des prix du pétrole est l’occasion de nous proposer un nouveau coup d’accélérateur du processus de démantèlement libéral inauguré sous l’ère de Chadli. La « contrainte extérieure » est le prétexte pour d’autres recompositions internes. Une recomposition et un repositionnement des intérêts économiques et politiques au profit du renforcement et de l’extension des positions du capital (privé algérien et multinationales) et des couches qui lui sont liées, au détriment des intérêts du peuple algérien et de son développement

 Elites et patronat de concert, dissertent d’autant volontiers sur le thème des nécessaires sacrifices  à consentir par la masse, qu’ils en sont, eux, dispensés par la grâce de Dieu. La malédiction de la pétro-dépendance est décriée ad nauséam, mais les politiques qui ont, des décennies durant, aggravé les vulnérabilités et les handicaps structurels historiques de l’économie algérienne, la maintenant dans une position de mono-exportateur d’énergies (pétrole et gaz), sont toujours données comme la seule alternative possible.

On sait que la contrainte extérieure a été, dans les années 1990, le prétexte d’une ouverture désindustrialisante et de révisions qui ont aggravé les carences structurelles de l’économie algérienne et installé la précarité sociale. La dynamique de développement initiée au cours des deux premières décennies de l’Indépendance a été brisée avant que ne soient corrigées ses fragilités et qu’elle n’ait atteint sa phase de maturité. L’édification d’une économie de production a laissé la place à une économie de bazar axée sur le seul commerce d’importation. En réalité, la « contrainte extérieure » est le prétexte pour d’autres recompositions internes.

De quels recompositions parlez vous...

Une recomposition et un repositionnement des intérêts économiques et politiques au profit du renforcement et de l’extension des positions du capital (privé algérien et multinationales) et des couches qui lui sont liées, au détriment des intérêts du peuple algérien et de son développement.  La clameur idéologique assourdissante des partisans d’un nouveau round des thérapies de choc exagère délibérément, et c’est dans son intérêt, la situation difficile du pays, On assiste à la promotion d’un discours délibérément alarmiste visant à apeurer la population et faire qu’elle aille désarmée sinon consentante à l’abattoir social qu’on veut lui préparer.

Pour eux, l’impasse est de nature conjoncturelle, il manquerait  « une politique économique « digne de ce nom »Ils tirent argument de la conjoncture baissière du baril qui représente, on le sait, la donne-clé fondamentale dans l’élaboration des politiques économiques dans  notre pays, pour exiger une relance du fameux triptyque libre-échange, IDE, privatisation qui a échoué- de l’aveu même des officiels- et qui nous a plombés dans le surplace depuis trois décennies. 

Focalisés à outrance sur les ajustements économiques et sociaux  qu’ils somment l'Algérie d’opérer  instamment - comme si elle avait la capacité de manœuvrer avec les mêmes armes et dans le cadre des mêmes règles du jeu que le capital mondialisé-les partisans  d’un nouveau  round de thérapies de choc  occultent délibérément et volontairement  la responsabilité fondamentale du capital financier et du cartel bancaire mondial dans la manipulation à la baisse des prix de l’or noir,   masquant l'enjeu  véritable qui se profile derrière la scène du chaos du marché pétrolier. Comment pourraient-ils, d’ailleurs, mettre en cause les agissements d’un modèle qui constitue pour eux la référence des références.

Ils feignent d’ignorer qu’on est dans une logique de restructuration violente, guerrière et hors normes du rapport de forces international dont le chef d'orchestre sont les Etats-Unis (notamment les institutions et organismes-clé : FED, FMI, Banque Mondiale, AIE, mais aussi Pentagone, services spéciaux, think thank et réseaux affiliés...)  et que dans la très grande reconfiguration géopolitique en cours, il est une construction qui est menacée, c’est l’État-national. Et singulièrement l’Etat périphérique.

En réalité, et l’exemple de notre pays le montre, l’impasse est de naturelle structurelle et elle traduit  l’impossibilité radicale d’apporter les réponses qu’exige le développement économique et social de notre pays dans le cadre de la dépendance de la mondialisation capitaliste.

Il nous faut sortir de la politique de gestion de l’impasse qui conforte les privilèges mal acquis et les agissements des prédateurs de l’économie nationale, dont elle aggrave les vulnérabilités, creuse davantage les inégalités et érode en définitive les capacités de réponse aux menaces impérialistes dans la et à nos frontières.

L’argent, dit-on, à juste titre, est le nerf de la guerre. Celle pour sortir du sous-développement ne fait pas exception. La question du financement a toujours été la question-clé du développement économique. Mais on sait qu’elle n’épuise pas toute la problématique. D’autres conditions sont à réunir. La crise exige une réponse centralisée de l’Etat, un secteur public fort entendu comme principal instrument de la maîtrise économique, car « là où est la propriété, là est le pouvoir »

Elle exige une vision de long terme qui traduise l’ambition de construire une économie productive performante, des institutions solides et compétentes dans le rôle de  vecteur de cette ambition, un Etat garant   des priorités productives et environnementales, des acteurs efficaces et engagés parce qu’impliqués, des organes de contrôle indépendants et représentatifs, un climat politique et social de mobilisation démocratique pour le développement national

Est-ce que le fait que le  pouvoir d’achat de l’Algérien soit affecté est le signe des prémices d’une crise économique ?

Je ne crois pas du tout qu’on puisse parler aujourd’hui d’un pouvoir d’achat de l’Algérien en général.  Ce qui structure la réalité sociale, aujourd'hui, c'est la dynamique des inégalités croissantes qui séparent le haut et le bas des revenus, des inégalités de patrimoine, biens fonciers ou immobiliers, produits financiers, ressources en devises, des inégalités en termes de mobilité internationale et de statut citoyen y afférent, des inégalités de statut d’emploi, permanents, occasionnels.  

Si l’on se réfère aux résultats de l’enquête consommation des ménages de l’ONS pour 2011, le modèle d’ouverture libérale dont on connait le pouvoir de séduction sur les consommateurs  a davantage profité aux classes aisées, les 20% les plus riches de la population. C’est cette strate qui consomme l’essentiel de ces « bienfaits » : Part du dernier quintile dans la dépense annuelle par  produit : Biens électroniques 52,6% ; Biens électroménagers 43,6% : achats auto 92, 9% ; pièces de rechange : 56,5% frais de transport et communication : 64,7%.

Pour eux, la crise, comme l’austérité, c’est une abstraction. Pour la grande majorité de la population, les revenus modestes, en revanche, le pouvoir d’achat a effectivement subi une forte baisse sous le coup des augmentations des prix des biens alimentaires et de l’énergie. Les bons Samaritains docteurs en thérapies de choc veulent leur faire subir un nouveau tour de vis. Cela pourrait déboucher sur une grave crise sociale menaçant la stabilité du pays.

Texte intégral dans El Watan : Abdelatif Rebah : "Il y'a un discours délibérément alarmiste visant à apeurer la population"

 

 

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