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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

ALGERIE."Ce qui paraît comme les indices d’un naufrage ne sont que des signes de changement".

C'était il y a un an, jour pour jour. "Lassé des commentaires circulaires – auxquels, d’ailleurs, je participe – et inapte à capter les incandescences sociales, je me suis tourné pour un échange informel vers Abdelkrim Elaidi, professeur de sociologie à l’Université d’Oran." écrivait le chroniqueur-écrivain Arezki Metref. "Deux questions simples ont vite surgi : y a-t-il encore des forces sociales en Algérie ? Comment se comportent-elles par rapport aux intrigues centrifuges de palais ?"

Que cachent les monstres

Par Arezki Metref, 11 octobre 2015

(...) A lire la presse – répétitive –, à suivre les réseaux sociaux, déchaînés, eux, on a la funeste impression qu’il n’existe que des affairistes insatiables et des gouvernants se tapant dessus pour le pouvoir et les intérêts qu’il génère, et qu’il n’y a, dans ce pays, aucune force sociale, pas de citoyens, pas de peuple même. Et encore moins de société… Le désert, quoi !
En dehors du feuilleton de la conquête du pouvoir total et les dégâts que cela inflige à la partie adverse, il ne se passe rien… Le pouls se tait… Et il n’y a personne dans ce pays…
Erreur. Le silence ou la visibilité insuffisante des sociologues, censés décrypter ces phénomènes, ne signifie pas la mort de la sociologie algérienne.

Lassé des commentaires circulaires – auxquels, d’ailleurs, je participe – et inapte à capter les incandescences sociales, je me suis tourné pour un échange informel vers Abdelkrim Elaidi, professeur de sociologie à l’Université d’Oran.

Deux questions simples ont vite surgi : y a-t-il encore des forces sociales en Algérie ? Comment se comportent-elles par rapport aux intrigues centrifuges de palais ? Les réponses sont là, dans ce que l’on regarde sans forcément le voir. On pourrait croire que l’Algérie est un peu comme une succession de cercles concentriques où tout se passe dans un noyau dur – pouvoir et périphéries immédiates, clientèles – et plus on en est éloigné spatialement et socialement, moins on se sent concerné. Là aussi, erreur ! En fait, c’est peu dire que nous sommes un pays de paradoxes.

Paradoxale en effet cette impression que des événements importants, auxquels est suspendu le destin du pays, se déroulent sans que les Algériens non seulement n’y prennent aucune part mais qu’ils n’y accordent qu’un intérêt presque voyeuriste.
C’est à croire qu’en dehors de certains milieux surpolitisés aux allures de microcosmes, ce qu’on appelle les «masses» – terme noble autrefois, aujourd’hui ringardisé – commentent ces faits politiques avec le détachement que l’on met face à un événement extérieur au pays chargé d’indifférence.

On a même l’impression, déroutante, que les Algériens s’impliquent émotionnellement davantage dans ce qui se passe en Syrie que dans leur propre pays.

Mais – attention ! – cette distanciation parfois ironique d’avec les luttes au sommet qui envahissent la presse et la sphère politique ne signifie pas un décrochage des forces sociales par rapport à l’enjeu que représente leur devenir, sinon leur avenir.

Les 13 000 conflits sociaux officiellement recensés en 2014, d’amplitudes différentes (grèves, émeutes locales, occupations de lieux de travail, blocages de routes, etc.), pour chaotiques et spontanés qu’ils soient, n’en montrent pas moins la combativité des forces sociales décidées à défendre leurs intérêts dans des formes et des cadres hors contrôle des structures politiques et syndicales classiques que sont les partis et les syndicats qui ne jouissent plus que d’une confiance restreinte. Quand ils ne se sont pas compromis carrément, les partis se sont au bas mot fait rouler dans la farine par un pouvoir rusé. Quant aux syndicats, l’UGTA se confond avec l’appareil d’Etat, donnant le spectacle d’une décomposition avancée. Les syndicats libres ? Libres?...

Peut-être que ce détachement par rapport aux luttes au sommet qui font les délices des microcosmes procède-t-il d’une forme d’irréalité de la chose politique nimbée dans la brume de la rumeur et du mystère ? L’accélération des luttes au sommet depuis Hassi Messaoud semble imposer une forme d’urgence et de gravité ostentatoire de la chose politique.

Peut-être aussi que ces événements centralisés contraignent au décrochage en réaction à la déliquescence de la centralité – amenuisement de la surface de l’Etat et privatisation de certaines de ses fonctions – et la consécration du local. Les luttes locales qui culminent dans le réveil des régions du Sud – In Salah, Ghardaïa ? – pourraient être la naissance au forceps d’une forme de régionalisation de fait, un processus en cours que l’Etat est bien loin de maîtriser. Les luttes contre le gaz de schiste d’In Salah sont passées de l’international au local sans l’escale du national….
Pour autant, les Algériens paraissent plutôt percevoir la sphère politique, et ses spasmes d’agonie, comme irréelle, écrasés qu’ils sont par ce contrepoids, bien réel lui, constitué par leur quotidienneté éprouvante faite de dégradation du pouvoir d’achat, de recherche d’emploi, de problème de logement, d’incertitude de la jeunesse par rapport à l’avenir, etc. L'observation sociologique a raison de substituer au constat de ce prétendu naufrage des valeurs, la métamorphose du lien social…

Les valeurs sociales échappent à l’immuabilité, sinon à la permanence, pour épouser les contours des conditions objectives d’existence. Pendant qu’on regarde le sommet, c’est l’Algérie profonde qui est en train de changer. Mais les sciences sociales suivent-elles ?
La question mériterait d’être approfondie. Car il paraît évident que nous sommes à une charnière, la configuration sociale est en train de se transformer et ce qui paraît comme les indices d’un naufrage ne sont que des signes de changement…

Certaines choses paraissent énormes ? Sans doute ! Le constat d’Antonio Gramsci reste valable ici et maintenant : «Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres.»

Source: Le Soir d'Algérie

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