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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

Houria Bouteldja : "Pour nous la question raciale est sociale"

Houria Bouteldja, cofondatrice et militante du Parti des indigènes de la République. © Facebook/Houria Bouteldja

Houria Bouteldja, cofondatrice et militante du Parti des indigènes de la République. © Facebook/Houria Bouteldja

Par Jean-Sébastien Josset, 4 octobre 2016. Jeune Afrique

En dix ans, les idées de la cofondatrice du Parti des indigènes de la République, qui milite en France pour dénoncer le sort réservé aux descendants de l'immigration coloniale, ont fait du chemin. Sorti en mars dernier, le dernier essai d’Houria Bouteldja, Les Blancs, les Juifs et nous, a déchaîné les passions dans la presse française. La militante a été une nouvelle fois accusée d’antisémitisme, d’homophobie et de racisme antiblanc. Houria Bouteldja s’en défend et préfère, elle, examiner l’impérialisme blanc colonial toujours à l’oeuvre dans la structuration du monde contemporain. Contre Sartre, elle convoque Genet, Baldwin ou encore Fanon, et appelle à la construction d’un « amour révolutionnaire », moteur de l’antiracisme politique. Les Blancs, les Juifs et nous va être prochainement publié aux États-Unis chez Semiotext(e), la maison d’édition new-yorkaise de Assata Shakur et Mumia Abu Jamal, mais qui a publié dans le passé des penseurs français tels que Gilles Deleuze, Félix Guattari, Jean Baudrillard, Paul Virilio ou encore Michel Foucault. Pour Jeune Afrique, Houria Bouteldja revient sur dix années de militantisme et sur les questions qui fâchent la société française.

 Jeune Afrique : Comment êtes vous entrée en politique ?

Houria Bouteldja : Je suis entrée en politique en 2003 pour dénoncer la loi portant sur l’interdiction du voile à l’école. Mais elle a été votée. Ensuite en janvier 2005 avec un petit groupe on a lancé l’Appel des indigènes de la République pour dénoncer le sort des populations issue de l’immigration coloniale. Et le parti est issu de cette appel-là, il y a 11 ans maintenant.

Comment a-t-il été perçus à ses débuts ?

On a toujours été mal perçus. L’appel a beaucoup divisé la gauche.Tout le monde s’est dressé contre nous. L’hebdomadaire Marianne fait des unes contre l’appel. Mais nous avons quand même reçu des soutiens avec la signature de nombreux indigènes, de personnalités venant du bureau politique du Parti communiste, des Verts, de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Depuis, les choses ont tellement évolué dans le débat public sur la question postcoloniale que la plupart des militants de gauche auraient honte aujourd’hui de ne pas signer cet appel. Il y a toujours eu une opinion extrêmement islamophobe, réactionnaire, ultra républicaine et laïcarde, autant au niveau des micro résistances il y a des choses qui s’organisent, une pensée qui se développe, se construit et gagne du terrain. Avec le PIR nous avons été les précurseurs de ces mouvements.

Un nouveau drame lié aux violences policières est survenu avec la mort d’Adama Traoré, lors de son arrestation par les gendarmes pour un contrôle d’identité à Beaumont-sur-Oise. Quel est votre sentiment sur cette affaire ?

À ce jour, les circonstances de la mort d’Adama Traoré n’ont pas encore été éclaircies puisque les témoignages des gendarmes se contredisent. Pire, aucun d’entre eux ne fait l’objet de poursuites. Les atermoiement des autorités judiciaires tout comme celles de la gendarmerie témoignent de ce que subissent les familles de victimes de violences et de crimes policiers depuis plusieurs décennies. La plupart du temps, les auteurs sont innocentés et les affaires classées sans suite. Le parallèle avec les États-Unis est flagrant ce qui explique les rapprochements récents entre les collectifs contre les violences en France et le mouvement Black Lives Matter. Il est dommage que le mouvement social dans son ensemble ne soit pas suffisamment conscient du désespoir des familles et du sentiment d’abandon d’une partie du peuple, celui qui n’est pas réputé d’ascendance gauloise. Cette impunité ne peut plus durer.

Votre dernier essai, Les Blancs, les Juifs et nous, a déclenché une avalanche de critiques. Comment expliquez-vous ces réactions ?

Les journalistes n’ont pas eu besoin de le lire, ils avaient surtout besoin de formuler une opinion qui adhère à l’hostilité contre nous. Il y a une paresse intellectuelle incroyable.

Comment expliquez-vous cette incompréhension de la gauche?

Ils font partie de ceux qui pensent que en dehors de la lutte des classes il n’y a rien qui vaille le coup. Ils sont fiers d’eux-mêmes. Et, pour reprendre le vocabulaire sociologique, ils pensent qu’il ne peuvent pas être objectivés, a fortiori par la question blanche.

Quel est le socle de votre réflexion politique ?

Nous ne sommes pas des universitaires, nous sommes des militants. Nous sommes face à une situation d’inégalité sociale sans précédent. Il y a une sous citoyenneté des indigènes de la République, des sujets postcoloniaux, qui sont victimes d’un racisme structurel. Ce qui nous inspire c’est cela. Mais nous sommes aussi des militants qui avons une culture politique héritée des luttes qui nous ont précédées. Celles contre le colonialisme et l’esclavage, les luttes de l’immigration en France, les mouvements ouvriers ou encore les luttes contre les inégalités. Et évidemment nous sommes inspirés par ceux qui ont accompagné ces mouvements avec leur pensée comme Fanon, Césaire, Malcom X, Baldwin…

En subordonnant votre lecture du social à la question raciale, ne risquez vous pas d’occulter la complexité du réel ?

La question raciale est la question occultée, et nous l’investissons. Dire que nous n’abordons pas la question sociale, c’est ridicule. Pour nous la question raciale est sociale. Ceux qui meurent des violences policières, ce sont des enfants de prolo. Les filles qui sont exclues de l’école parce qu’elles portent le voile, ce sont des filles de prolo. À gauche, ils voudraient qu’on utilise leurs mots , « lutte des classes », « capitalisme ». Mais quand on lutte contre les discriminations raciales, cela veut dire qu’on lutte contre le chômage, la pauvreté, les violences policières. On ne milite pas pour les femmes saoudiennes qui viennent faire leurs courses sur les Champs Elysées !

On vous a également reproché votre discours sur les luttes LGBT. Notamment d’avoir présenté l’homosexualité comme une pratique imposée par les dominants dans les banlieues…

C’est tellement bête. Je ne vois pas comment on peut dire une chose pareille. Mes propos ont été déformés dans la presse. J’ai simplement dit que les identités LGBT sont un phénomène nouveau en Europe, au 19e siècle ça n’existait pas. Elles sont essentiellement européennes. Il faut distinguer la pratique homosexuelle et l’identité sociale homosexuelle. Celle-ci n’est pas reconnue et nommée dans tous les pays. Dans certains pays il y a une reconnaissance sociale d’un phénomène sans que cela soit politisé, lié à des revendications ou à une demande d’identification. Et, dans d’autres pays c’est l’inverse, comme en Occident.

Dans les quartiers populaires, la lutte LGBT n’est pas une thématique importante ?

De la même manière qu’il y a la France des cathos, – conservatrice et opposée au mariage pour tous -, et la France favorable au mariage pour tous, il y a la France des quartiers, qui est ni pour ni contre. Il y a un autre espace-temps qui est celui des quartiers où la politisation de la sexualité n’existe pas, en tous cas pas au point d’en faire des mouvements. Il n’y a pas de Marais aux Minguettes. Et que ceux qui prétendraient le contraire, me disent où il se trouve. Nous disons simplement qu’à partir du moment où la question LGBT n’est pas politisée par les principaux concernés, on n’a pas à civiliser la sexualité indigène. Faisons le parallèle avec le féminisme. Il n’y a pas de grand mouvements féministes dans les banlieues, parce que le problème ne s’y pose pas de la même façon qu’à Paris. S’il n’y a pas de mouvement ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes. Nous disons simplement que si les femmes et les homos dans les quartiers ont un agenda, il faut le respecter.

Dans votre essai, vous expliquez aussi comment lorsque l’Occident impose ses valeurs comme des valeurs universelles  il contribue à l’”ensauvagement” des sujets. Notamment en Afrique avec l’instrumentalisation des luttes LGBT…

Notre propos est en effet d’anticiper cet « ensauvagement ». En Afrique, pendant la colonisation, il y a eu des campagne évangélistes pour civiliser la sexualité des Africains sur un modèle hétérosexiste. Puis, aujourd’hui on a les mouvements LGBT qui veulent libérer les homosexuels africains. En fait on reproduit les batailles idéologiques du monde blanc sur le terrain africain. Or il se trouve qu’avant la colonisation, la sexualité était extrêmement diverse sur le continent africain comme partout sur terre. Mais cette diversité des sexualités a été écrasée par le colonialisme. Et aujourd’hui, partout où on a “ensauvagé” l’indigène, on veut le protéger en disant aux Ougandais ou aux Sénégalais comment ils doivent gérer leur situation. Il est logique que des Africains aient envie de rejeter ces normes occidentales. Nous, nous disons qu’il faut prévenir et ne pas attendre que les gens se fassent tuer. Il faut prévenir l’impérialisme des deux côtés, donc y compris du côté hétérosexiste, et laisser la sexualité des Africains s’épanouir tel qu’il le souhaitent eux. Mais pas selon des normes européennes. On entendra alors peut-être mieux la voix des principaux concernés.

Et dans les quartiers populaires ?

Pour le moment c’est le statu quo. Les indigènes homo savent faire avec les codes. Je ne dis pas que la vie des femmes et des homos est facile. Mais je dis qu’il y a un équilibre, et qu’il faut le préserver. Il y a des revendications significatives qui datent depuis 30 ou 40 ans, comme le chômage et la pauvreté. Occupons-nous déjà de ça.

Avez-vous des objectifs politiques ?

Notre objectif est d’organiser la résistance politique, qu’elle passe par nous ou par des collectifs plus larges. Notre objectif c’est d’être une alternative à la violence. Nous voulons canaliser la colère dans un projet politique.

Source : Jeune-Afrique

 

L’Appel de janvier 2005

NOUS SOMMES LES INDIGENES DE LA REPUBLIQUE!

 

Discriminés à l’embauche, au logement, à la santé, à l’école et aux loisirs, les personnes issues des colonies, anciennes ou actuelles, et de l’immigration post-coloniale sont les premières victimes de l’exclusion sociale et de la précarisation. Indépendamment de leurs origines effectives, les populations des « quartiers » sont « indigénisées », reléguées aux marges de la société. Les « banlieues » sont dites « zones de non-droit » que la République est appelée à « reconquérir ». Contrôles au faciès, provocations diverses, persécutions de toutes sortes se multiplient tandis que les brutalités policières, parfois extrêmes, ne sont que rarement sanctionnées par une justice qui fonctionne à deux vitesses. Pour exonérer la République, on accuse nos parents de démission alors que nous savons les sacrifices, les efforts déployés, les souffrances endurées. Les mécanismes coloniaux de la gestion de l’islam sont remis à l’ordre du jour avec la constitution du Conseil français du Culte Musulman sous l’égide du ministère de l’Intérieur. Discriminatoire, sexiste, raciste, la loi anti-foulard est une loi d’exception aux relents coloniaux. Tout aussi colonial, le parcage des harkis et enfants de harkis. Les populations issues de la colonisation et de l’immigration sont aussi l’objet de discriminations politiques. Les rares élus sont généralement cantonnés au rôle de « beur » ou de « black » de service. On refuse le droit de vote à ceux qui ne sont pas « français », en même temps qu’on conteste « l’enracinement » de ceux qui le sont. Le droit du sol est remis en cause. Sans droit ni protection, menacées en permanence d’arrestation et d’expulsion, des dizaines de milliers de personnes sont privées de papiers. La liberté de circulation est déniée ; un nombre croissant de Maghrébins et d’Africains sont contraints à franchir les frontières illégalement au risque de leurs vies.

La France a été un Etat colonial… Pendant plus de quatre siècles, elle a participé activement à la traite négrière et à la déportation des populations de l’Afrique sub-saharienne. Au prix de terribles massacres, les forces coloniales ont imposé leur joug sur des dizaines de peuples dont elles ont spolié les richesses, détruit les cultures, ruiné les traditions, nié l’histoire, effacé la mémoire. Les tirailleurs d’Afrique, chair à canon pendant les deux guerres mondiales, restent victimes d’une scandaleuse inégalité de traitement.


La France reste un Etat colonial ! En Nouvelle Calédonie, Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, Polynésie règnent répression et mépris du suffrage universel. Les enfants de ces colonies sont, en France, relégués au statut d’immigrés, de Français de seconde zone sans l’intégralité des droits. Dans certaines de ses anciennes colonies, la France continue de mener une politique de domination. Une part énorme des richesses locales est aspirée par l’ancienne métropole et le capital international. Son armée se conduit en Côte d’Ivoire comme en pays conquis.


Le traitement des populations issues de la colonisation prolonge, sans s’y réduire, la politique coloniale. Non seulement le principe de l’égalité devant la loi n’est pas respecté mais la loi elle-même n’est pas toujours égale (double peine, application du statut personnel aux femmes d’origine maghrébine, sub-saharienne…). La figure de l’« indigène » continue à hanter l’action politique, administrative et judiciaire ; elle innerve et s’imbrique à d’autres logiques d’oppression, de discrimination et d’exploitation sociales. Ainsi, aujourd’hui, dans le contexte du néo-libéralisme, on tente de faire jouer aux travailleurs immigrés le rôle de dérégulateurs du marché du travail pour étendre à l’ensemble du salariat encore plus de précarité et de flexibilité.


La gangrène coloniale s’empare des esprits. L’exacerbation des conflits dans le monde, en particulier au Moyen-Orient, se réfracte immédiatement au sein du débat français. Les intérêts de l’impérialisme américain, le néo-conservatisme de l’administration Bush rencontrent l’héritage colonial français. Une frange active du monde intellectuel, politique et médiatique français, tournant le dos aux combats progressistes dont elle se prévaut, se transforme en agents de la « pensée » bushienne . Investissant l’espace de la communication, ces idéologues recyclent la thématique du « choc des civilisations » dans le langage local du conflit entre « République » et « communautarisme ». Comme aux heures glorieuses de la colonisation, on tente d’opposer les Berbères aux Arabes, les Juifs aux « Arabo-musulmans » et aux Noirs. Les jeunes « issus de l’immigration » sont ainsi accusés d’être le vecteur d’un nouvel anti-sémitisme. Sous le vocable jamais défini d’« intégrisme », les populations d’origine africaine, maghrébine ou musulmane sont désormais identifiées comme la Cinquième colonne d’une nouvelle barbarie qui menacerait l’Occident et ses « valeurs ». Frauduleusement camouflée sous les drapeaux de la laïcité, de la citoyenneté et du féminisme, cette offensive réactionnaire s’empare des cerveaux et reconfigure la scène politique. Elle produit des ravages dans la société française. Déjà, elle est parvenue à imposer sa rhétorique au sein même des forces progressistes, comme une gangrène. Attribuer le monopole de l’imaginaire colonial et raciste à la seule extrême-droite est une imposture politique et historique. L’idéologie coloniale perdure, transversale aux grands courants d’idées qui composent le champ politique français.


La décolonisation de la République reste à l’ordre du jour ! La République de l’Egalité est un mythe. L’Etat et la société doivent opérer un retour critique radical sur leur passé-présent colonial. Il est temps que la France interroge ses Lumières, que l’universalisme égalitaire, affirmé pendant la Révolution Française, refoule ce nationalisme arc-bouté au « chauvinisme de l’universel », censé « civiliser » sauvages et sauvageons. Il est urgent de promouvoir des mesures radicales de justice et d’égalité qui mettent un terme aux discriminations racistes dans l’accès au travail, au logement, à la culture et à la citoyenneté. Il faut en finir avec les institutions qui ramènent les populations issues de la colonisation à un statut de sous-humanité.

Nos parents, nos grands-parents ont été mis en esclavage, colonisés, animalisés. Mais ils n’ont pas été broyés. Ils ont préservé leur dignité d’humains à travers la résistance héroïque qu’ils ont mené pour s’arracher au joug colonial. Nous sommes leurs héritiers comme nous sommes les héritiers de ces Français qui ont résisté à la barbarie nazie et de tous ceux qui se sont engagés avec les opprimés, démontrant, par leur engagement et leurs sacrifices, que la lutte anti-coloniale est indissociable du combat pour l’égalité sociale, la justice et la citoyenneté. Dien Bien Phu est leur victoire. Dien Bien Phu n’est pas une défaite mais une victoire de la liberté, de l’égalité et de la fraternité !

Pour ces mêmes raisons, nous sommes aux côtés de tous les peuples (de l’Afrique à la Palestine, de l’Irak à la Tchétchènie, des Caraïbes à l’Amérique latine…) qui luttent pour leur émancipation, contre toute les formes de domination impérialiste, coloniale ou néo-coloniale.

NOUS, descendants d’esclaves et de déportés africains, filles et fils de colonisés et d’immigrés, NOUS, Français et non-Français vivants en France, militantes et militants engagé-es dans les luttes contre l’oppression et les discriminations produites par la République post-coloniale, lançons un appel à celles et ceux qui sont parties prenantes de ces combats à se réunir en Assises de l’anti-colonialisme en vue de contribuer à l’émergence d’une dynamique autonome qui interpelle le système politique et ses acteurs, et, au-delà, l’ensemble de la société française, dans la perspective d’un combat commun de tous les opprimés et exploités pour une démocratie sociale véritablement égalitaire et universelle.

Le 8 mai 1945 , la République révèle ses paradoxes : le jour même où les Français fêtent la capitulation nazie, une répression inouïe s’abat sur les colonisés algériens du Nord-Constantinois : des milliers de morts !

Le 8 mai prochain, 60ème anniversaire de ce massacre, poursuivons le combat anticolonial par la première Marche des indigènes de la République !

Nous sommes les indigènes de la République !

 

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