Le discours fondateur de Nelson Mandela en 1964
(extraits)
C'est l'un des discours les plus
marquants du 20ème siècle. La déclaration de
Mandela, au cours de son procès de 1964 intitulée I'm prepared to die, (je suis prêt à mourir) durera quatre
heures. Au terme du procès, Nelson Mandela sera condamné à la
prison à vie. Il avait été arrêté deux ans plus tôt, en
1962, avec l'aide de la CIA, qui avait renseigné la police sur sa cachette et sur son déguisement. Le fait fut révélé par The New-York Times, le 10 juin
1990 :« The Central Intelligence Agency played an important role in the arrest in 1962 of Nelson Mandela ».
Témoignage d'un poète égyptien emprisonné
Par Ahmed Fouad Negm, juillet 2013
J’ai souvent été emprisonné, mais c’est la première fois qu’un jugement est prononcé contre moi par un tribunal militaire. Pour la première fois dans l’histoire de
l’Egypte et du monde arabe, un poète comparaît devant une juridiction militaire sous l’inculpation d’« exercice de la poésie ».
Avant, il était courant qu’on me jette en prison pour une période indéterminée, sans jamais être traduit en justice. A l’époque, ils avaient un peu de pudeur car il
leur était difficile de reconnaître qu’ils condamnaient un poète pour de la poésie ; mais maintenant, comme l’a écrit un journal,
« on a saisi de la poésie chez le poète » comme si c’était de l’opium ou du
haschisch.
A l’issue du verdict me condamnant à un an de prison pour le poème « Communiqué important », j’ai décidé de ne pas me livrer, de ne pas effectuer une peine émanant d’une juridiction militaire. Le tribunal considérait que ce poème était une
atteinte à l’intégrité du raïs Sadate. J’ai donc choisi de vivre dans la clandestinité. Depuis 1978, je suis recherché, mais je suis toujours décidé à ne pas me livrer. Il est évident que cette
situation pèse lourdement sur mon activité et sur celle de Cheikh Imam parce que, lorsque nous sommes ensemble, nous participons à des fêtes et, lorsqu’il n’y en a pas, nous en
créons.
DR-Fouad
Nejm avec Cheikh Imam
De 1976 à 1978, nous avons chanté dans la rue. C’était un pas en avant et c’est à partir de ce moment qu’ils ont senti le danger. C’est pour cela qu’ils nous ont déférés devant un tribunal
militaire qui a acquitté Cheikh Imam (2)
et m’a condamné.
Lors de ce procès, il y avait avec moi un groupe d’étudiants dont l’un fut aussi condamné (à trois ans). Je voudrais ajouter que je remercie le juge qui a prononcé
ma condamnation parce qu’il a été l’objet de toutes sortes de pressions, à tel point que M. Gamassi, le ministre de la défense, a été jusqu’à le convoquer. Le juge fut bouleversé par ces
procédés et dut ensuite faire un séjour dans un hôpital psychiatrique. Il a d’ailleurs avoué à mon avocat, Me Nabil El-Hilali, qu’il n’avait pas pu faire mieux pour moi car, antérieurement,
je prenais de un à trois ans de prison sans jugement et que, devant un tribunal militaire, j’aurais normalement dû écoper d’au moins dix ans.
Mais je suis depuis longtemps privé de toute liberté d’expression et c’est le cas de beaucoup d’autres qui n’ont aucun accès aux moyens de diffusion. Or je défie
quiconque de trouver au monde une démocratie qui fasse comparaître un poète devant un tribunal militaire pour le délit d’« exercice de la
poésie ».
En Egypte, les gens qui détiennent les moyens d’information et de diffusion ne font qu’exprimer l’opinion de... Sadate, de... Bégin, de... l’administration
américaine et de tout ce qui tourne autour. Aujourd’hui, si l’on regarde la télévision, on trouve, entre une pièce américaine et une pièce américaine... une pièce américaine ! Et au journal télévisé, on diffuse premièrement des nouvelles du président Sadate, de sa femme, deuxièmement des nouvelles du président américain,
troisièmement des nouvelles de Ménahem Bégin. La seule liberté qui soit permise actuellement, c’est la liberté de crier « vive » et d’être d’accord sur tout.
Mais les voix intègres, elles, sont muselées. L’art, la littérature et les choses de l’esprit sont frappés de stérilité. C’est le règne de l’insignifiance et de la
vulgarité, que ce soit au cinéma, à la télévision, au théâtre ou dans les journaux. Il y a un abaissement général à tous les niveaux, étant donné que se voient systématiquement exclus ceux-là
même qui sont pour l’« accord de paix » mais à qui il arrive de s’exprimer autrement que par
des platitudes.
Les organes d’information occidentaux font grand cas du libéralisme et de l’« ouverture » (« intifah ») du régime égyptien en matière
d’économie et se demandent parfois pourquoi ils ne s’accompagnent pas d’une plus grande liberté d’expression. L’« infitah » existe, en effet : une classe profite activement de ses retombées. Nous avions, avant 1952, trois millionnaires dont le plus riche, Ahmed Aboud
Pacha, possédait 8 millions de livres égyptiennes. Aujourd’hui, le plus démuni de cette clique possède 500 millions de livres...
Cette « ouverture » a changé les conditions de vie du peuple égyptien. Elle en a fait un
peuple de philosophes, un peuple de végétariens qui n’ont aucune relation avec la viande, même pas avec les oeufs, comme Abu’l Ala’al Ma’ari (3).
Le peuple égyptien se reconnaît en lui...
Imaginons un homme qui ait quatre enfants — je suis en dessous de la réalité, le chauffeur de taxi qui m’a amené en a huit qui dorment tous dans la même pièce et il m’a raconté que, s’il était
chauffeur de taxi l’après-midi, il était agent de la circulation le matin. Cet homme, s’il touche 12 livres par mois — c’est un roi ! — ces
12 livres (4)
ne lui suffisent même pas à assurer la charge des repas matinaux de sa famille : s’il donne à chacun de ses enfants un œuf, un verre de thé et une galette de pain, l’œuf coûte
9 piastres, le verre de thé 2 piastres, la galette 1 piastre, ce qui fait 12 piastres pour chacun. 12 x 8 = 96 + 24 piastres pour lui et sa
femme, cela fait un total de 1,20 livre simplement pour un petit déjeuner...
Dans les quartiers populaires, les gens ne voient même pas de viande. Ils achètent des pattes de poulet, qu’on jette habituellement, et ils préparent avec cela du
riz ou de la soupe. Sur certains marchés, il y a queue pour acheter ces pattes de poulet.
Aujourd’hui les taamia (5) se vendent au poids, de même que le kouchari (6).
Les galettes de pain qui se vendent dans les quartiers populaires ressemblent, quant à elles, à des semelles.
Sous Nasser, la politique, tant intérieure qu’extérieure, était très différente de celle du président Sadate dont les orientations pro-occidentales sont l’une des
causes de la répression brutale des forces de gauche. Pourtant, Cheikh Imam et moi-même avions déjà été emprisonnés. Mais je n’en pense pas moins que la position de Nasser sur la question de
l’unité nationale était digne de respect bien qu’il ne l’ait pas appliquée. Il était anti-impérialiste et antisioniste, mais il manquait de détermination dans ses positions. S’il avait été
déterminé, il aurait su que la seule carte maîtresse était le peuple.
Le fonctionnement de la démocratie du temps de Nasser ne différait pas de celui d’aujourd’hui, mais, aujourd’hui, il se manifeste de façon insidieuse. Du temps de
Nasser, l’emprisonnement se faisait sans jugement et les services de police étaient souverains, alors qu’à présent s’ajoute à ces derniers la Cour de sûreté de l’Etat. Avec Sadate, quand on me
met en prison, on m’interroge. Il n’y a pas d’aveux, il n’y a pas de preuves, et malgré cela on me met en prison et j’y reste des périodes aussi longues que du temps de Nasser, avec cette
différence que, maintenant, on m’incarcère pour six mois, puis on me libère pour deux semaines et on m’incarcère à nouveau.
Le motif a toujours été le même : saisie de poèmes. J’ai passé en prison les années de 1959 à 1962, de 1965 à 1966 et demi, de 1968 à 1972, de 1972 à 1973 et
après, successivement, 1974, 1975, 1978, chaque fois pendant quelques mois.
L’arme de la
parole
Certains écrivent des poèmes et s’enrichissent. Mais à la lecture du grand poète Baïram Tounsi, j’ai commencé à comprendre que la poésie pouvait s’écarter de
« Oh mon bien-aimé ! je vois les étoiles de la nuit... » et de toutes les sornettes diffusées à la radio. J’ai cessé d’écrire pendant une longue période tout en recherchant les poèmes de Baïram pour les
lire.
La parole est une arme ; elle est parfois le signe que l’on agraffe sur la poitrine d’un ami, le présent qu’on
lui offre ; elle est parfois le poignard pour frapper un ennemi ; elle peut être aussi la
savate qu’on utilise lorsque l’on est en relation avec des gens juste dignes de mépris.
La parole est la chose la plus sacrée et je la respecte. Je la chéris sans compromis. J’en paie le prix de ma personne et ne peux pas marchander avec elle. Voilà
mon point de vue sur la poésie :
« Si tu dis un mot
n’aies pas peur,
si tu as peur d’un mot
ne le dis pas. »
J’ai adopté la langue populaire parce qu’elle est très riche. De plus, le cinéma égyptien, la chanson officielle égyptienne sont très répandus dans l’ensemble du
monde arabe et les gens les comprennent facilement. Cheikh Imam et moi-même sommes plus connus dans le monde arabe et parmi les Arabes d’Europe qu’en Egypte même. Le parler égyptien est en effet
très proche de l’arabe littéraire. On peut le qualifier de langue littéraire « allégée ».
Tout artiste désirant communiquer un message ou une idée doit s’adresser aux gens dans leur langue afin de ne pas les lasser par un effort de compréhension de ce
qu’il veut leur dire.
Mais le paradoxe est que le groupe Negm, Cheikh Imam et Mohamed Ali (7)
survit seulement grâce à l’aide de quelques personnes. A cela il faut ajouter que je suis traqué par la police. Imam et Mohamed Ali continuent comme d’habitude de mener la vie que nous avions
ensemble à Houch-Kadam. Mon éloignement d’eux et de notre quartier me pèse affectivement, mais nous continuerons et nous n’arrêterons jamais de travailler à l’intérieur ou à l’extérieur de la
prison, malgré des difficultés matérielles inimaginables. Je n’en veux pour preuve que l’exemple de la radio irakienne et de son émission « La
voix de l’arabité » : elle diffuse une grande partie de notre travail, et nous recevions 100 livres par mois. Lorsqu’a éclaté la
révolution iranienne, j’ai écrit et Cheikh Imam a chanté quelques poèmes glorifiant la révolution iranienne. A la suite de cette prise de position, ils nous ont coupé les vivres, alors que
jusqu’à présent ils continuent de diffuser nos chansons... Si nous étions membres d’une association d’auteurs et de compositeurs (8),
nos droits seraient respectés. Mais nous sommes exploités de tous côtés. Même les services de renseignements égyptiens participent à ce pillage puisqu’ils revendent clandestinement les cassettes
qu’ils volent chez nous lors de perquisitions. Ils sont allés jusqu’à vendre des livres qu’ils avaient dérobés chez moi : je les ai retrouvés chez les bouquinistes où je les ai rachetés.
Ainsi, dans l’« affaire du 15 mai » (9), il y avait parmi les accusés un homme du nom de Amin El-Houeïdi, ex-directeur des services de renseignement chez lequel
furent trouvés nos enregistrements. Le juge lui demanda : « Comment se fait-il que tu sois en possession de chansons de Cheikh Imam
alors que tu étais le responsable des renseignements ? » Sa réponse fut :
« Le président Sadate a des enregistrements comme ceux-ci. »
S’il y avait eu, lors de la signature de l’« accord de paix »
avec Carter, une campagne d’information sur le problème des libertés en Egypte, peut-être les artistes et les écrivains seraient-ils moins persécutés aujourd’hui.
Quant à moi, je continue, je ne trahirai pas ma parole et je n’ai pas peur. Je ne me rétracterai pas, je ne me vendrai pas et je continue, je continuerai jusqu’à
mon dernier souffle. Que ceux qui sont d’accord avec cette position élèvent leurs voix pour dire qu’il y a en Egypte un poète qui a été condamné par un tribunal militaire pour « exercice de la poésie ».
NOTES
(1) Après Les Yeux des mots en 1976 (Le Chant du monde), un deuxième disque du groupe
(« Réveille-toi
l’Egypte »)
est attendu pour le mois de septembre.
(2) Negm a rencontré le chanteur Cheikh Imam en 1962.
(3) Abou’l Ala’al Ma’ari (979-1058) : poète ayant vécu en Syrie, aveugle dès l’âge de quatre ans, célèbre pour son extrême ascétisme et pour la puissance de son œuvre
poétique.
(4) Une livre égyptienne vaut environ 7 F et se divise en 100 piastres.
(5) Boulettes de fèves pilées, nourriture très populaire.
(6) Plat populaire composé de riz, de nouilles, de lentilles et de pois chiches.
(7) Mohamed Ali, peintre autodidacte, accompagne Cheikh Imam dans tous ses déplacements et chante avec le groupe.
(8) Malgré des demandes répétées, la SACERAU (SACEM égyptienne) a jusqu’à présent refusé d’admettre Ahmed Fouad Negm et Cheikh Imam sous divers prétextes.
(9) Révolution du « Redressement »
lancée par Sadate le 15 mai 1971 et qui préludait l’élimination de l’aile nassérienne pro-soviétique réunie autour de Ali Sabri.