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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

L’inapprivoisable finance

Par Cynthia Fleury. L'Humanité, 12 décembre 2014

Cynthia Fleury

Philosophe et chercheuse en philosophie politique, professeur à l'American University of Paris. Photo DR

Ce qu’il y a de bien avec les économistes, c’est qu’ils peuvent être aussi anthropologues. Et nous rappeler que des mesures (que certains osent dire utopiques), non seulement ont été historiquement possibles, mais plus que nécessaires aujourd’hui. Dans Penser l’économie autrement (Fayard, 2014), Paul Jorion (ledit anthropologue) et Bruno Colmant pensent, dans leurs différences, des alternatives au monde économique actuel. Ces deux-là s’entendent, malgré tout, sur la radicalité des transformations à commettre.

Prenons la spéculation. L’économiste belge (Paul Jorion, ndlr) préconise une interdiction pure et simple de la spéculation ; mesure qui ferait revenir entre 40 et 80 % de la richesse vers l’économie. Faut-il le rappeler – oui, visiblement – la spéculation était interdite en Suisse jusqu’en 1860, en Belgique jusqu’en 1867, et en France jusqu’en 1885. Si l’on dément ainsi le caractère non utopique de la chose, on n’en justifie pas cependant la nécessité.

Une stricte séparation des activités bancaires pourrait-elle suffire, sur le modèle de la règle Volcker ? Et de l’historique Glass-Steagall Act, créé en 1933, abrogé en 1999 ? Jorion répond par la négative. Car les techniques bancaires permettent aujourd’hui de contourner aisément la loi par la création – notamment – de positions synthétiques. « Une pratique est interdite par la loi? Ce n’est pas gênant: on la recrée synthétiquement en combinant des éléments qui ne sont pas, eux, spécifiquement interdits. (…) L’esprit de la loi n’est bien entendu pas respecté, mais la lettre n’est pas enfreinte. » Quant à l’abrogation du Glass-Steagall Act, Jorion revient sur les motivations d’un tel choix désastreux. « Le secrétaire d’État au Trésor, le ministre des Finances américain, Robert Rubin, désirait décrocher un poste chez Citigroup, nouvelle entité résultant de la fusion de la banque Citicorp et du groupe Travelers, une compagnie d’assurances. » Et effectivement, il deviendra l’un des principaux dirigeants de Citigroup, dont il démissionnera avec perte et fracas dix ans plus tard, pour gestion calamiteuse. « Apprivoiser » le monde de la finance semble résolument utopique tant le shadow banking (finance de l’ombre – NDLR) prit la main sur lui.

Autre idée révolutionnaire : face à la montée de la robotisation des secteurs de l’industrie et des services, Jorion se fait le porte-parole de Sismondi qui proposait que tout individu remplacé par une machine reçoive à vie une rente perçue sur la richesse que cette machine créé désormais à sa place. « Il serait en effet logique que, en tenant compte de l’amortissement du robot, le profit réalisé par l’entreprise ne se borne pas à enrichir les actionnaires et à multiplier jusqu’à l’infini la rémunération des dirigeants (…) mais aille aussi à ceux qui ont été remplacés par la machine. » De même, la généralisation d’une allocation universelle supposerait d’aller puiser dans les dividendes alloués aux actionnaires et dans les rémunérations « extravagantes » des dirigeants des très grosses entreprises.

L’anthropologie, grande observatrice de nos archaïsmes, reste une science révolutionnaire.

Source: L'Humanité.fr

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