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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

Macron s’est adressé aux rapatriés d’Algérie en éludant les crimes de l’OAS

Un message signé de l'OAS "La France reste", peint sur le sol d'une rue du centre d'Alger, le 1er janvier 1961. Photo DR

Un message signé de l'OAS "La France reste", peint sur le sol d'une rue du centre d'Alger, le 1er janvier 1961. Photo DR

1er février 2022

 Par Gilles Manceron, Fabrice Riceputi et Alain Ruscio.

Le 26 janvier, le président s’est adressé à des « représentants des pieds-noirs » pour « continuer de cheminer sur la voie de l’apaisement des mémoires blessées de la guerre d’Algérie ». Les souffrances des Européens qui quittèrent l’Algérie en 1962 ne sauraient être contestées. Mais certains propos laissent perplexes et ont suscité les réactions des défenseurs de la mémoire des victimes de l’OAS

Passons sur l’évocation d’une Algérie française heureuse où, « pas toujours, mais souvent, l’idéal méditerranéen d’une vie harmonieuse entre juifs, chrétiens et musulmans fut la réalité quotidienne de villages et de quartiers ». Évocation émouvante mais contredite par tant de témoignages et de travaux historiques sur les injustices et l’inégalité de statuts qui ont marqué les 132 ans de la colonisation de l’Algérie.

Ou sur cette approximation malheureusement courante selon laquelle « près d'un million de personnes […] sont passées d’une rive à l’autre » en 1962, qui occulte le fait que 200 000 Européens environ sont restés dans les débuts de l’Algérie indépendante.

Ce qui pose particulièrement problème dans cette allocution, c’est la façon dont a été évoquée de manière incomplète la fusillade de la rue d’Isly à Alger le 26 mars 1962, et aussi le massacre d’Européens à Oran, le 5 juillet 1962. Dans les deux cas, le discours présidentiel a occulté très largement la responsabilité écrasante, qui fait pourtant largement consensus chez les historiens, de l’OAS[1], qu’il a à peine mentionnée. Il a éludé le rôle criminel de cette organisation terroriste et s’est montré perméable au récit construit par les jusqu’au-boutistes de l’Algérie française, propagé depuis par les groupes pieds-noirs d’extrême droite qui accusent le chef de l’Etat et les autorités françaises de l’époque de traitrise.

Peut-on « reconnaître » les souffrances des « rapatriés » sans dire que cette organisation, par ses innombrables crimes et destructions, contribua au premier chef à en créer les conditions ?  Durant des mois, à la veille des Accords d’Evian et de l’indépendance de l’Algérie, l’OAS se livra, tant à Alger qu’à Oran, à un terrorisme meurtrier (mitraillages, tirs de snipers, attentats aux explosifs) sans équivalent dans notre histoire. Elle visa des Algériens surtout, mais aussi des Européens jugés coupables de trahison, ainsi que des militaires et des gendarmes français, conformément à la stratégie d’insurrection armée définie par Salan.

Conformément à ses directives, les dirigeants de l’OAS ont décidé d’ériger le quartier de Bab-el-Oued d’Alger en zone insurrectionnelle et annoncé qu’à partir du 22 mars les officiers, sous-officiers et soldats qui ne se seront pas ralliés à leur combat seront considérés « comme des troupes au service d’un gouvernement étranger ». Le 22 mars au soir, des commandos de l’OAS ont attaqué une patrouille de gendarmerie mobile qui sortait du tunnel des facultés – bilan : 18 gendarmes tués. Le lendemain, ils ont ouvert le feu sur un véhicule de transport de troupes tuant 7 soldats dont 5 appelés du contingent. 

En réaction, les autorités françaises ont mis en place le bouclage du quartier de Bab el Oued, blocus que l’OAS a tenté de briser en appelant les civils à manifester le 26 mars, conformément à la directive de Salan : «  Sur ordre des commandements régionaux, la foule sera poussée dans les rues à partir du moment où la situation aura évolué dans un sens suffisamment favorable. » Le 26 mars, des rapports de l’armée et des témoignages établissent que les premiers coups de feu ont été tirés, notamment depuis les toits, par des commandos de l’OAS sur les militaires français. Le président Macron ayant promis que « Toutes les archives françaises sur cette tragédie pourront être consultées et étudiées librement », cela met en péril le récit même qu’il a repris pour conforter certains éléments de son auditoire dans leur vision de ces événements.

Quelques uns des emplacements des armes automatiques utilisées par l’OAS (Yves Courrière, « Les Feux du désespoir », Fayard, 1971, p. 544)

Emmanuel Macron a dit des choses justes.

Il est vrai que lors de la fusillade de la rue d’Isly, l’armée française a tiré sur la foule. Mais sans dire qu’elle réagissait à une manœuvre cynique qui condamnait les manifestants européens à subir une répression sanglante.

 Il est vrai qu’à l’indépendance de l’Algérie, des massacres de supplétifs de l’armée française, les harkis, et de membres de leurs familles, ont eu lieu. Mais l’histoire du recrutement de ces hommes, dans un statut inventé par le général Salan qui les mettait en danger, doit être restituée dans sa totalité.

Il est vrai qu’à Oran, le 5 juillet 1962, au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, des Européens furent victimes de violences extrêmes. Mais elles ne peuvent pas être isolées de celles, particulièrement terribles, que l’OAS d’Oran perpétra dans cette ville contre des civils dans les mois précédents, faisant environ un millier de morts algériens. Des violences qu’à la différence des chefs de l’OAS d’Alger qui se décidèrent à suspendre les leurs en refusant le cycle infernal et indéfini d’une escalade meurtrière, les chefs de l’OAS d’Oran poursuivirent jusqu’à leur départ pour l’Espagne franquiste, laissant les civils européens exposés à des violences inacceptables. Nous reviendrons sur cet épisode que des historiens, y compris algériens, ont contribué à mettre en lumière.

Ne pas rappeler aussi ces faits, n’est-ce pas conforter un aveuglement chez certains pieds-noirs sur les causes de leurs malheurs ?

N’est-ce pas valider un récit fallacieux encore présent dans leur esprit soixante ans après la fin de cette guerre ?

C’est ce qu’on relevé des associations comme l’Association des pieds-noirs progressistes et de leurs amis (ANPNPA), l’Association des amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons et l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO)

Emmanuel Macron, désireux de plaire à certains éléments de son auditoire qui regrettent la colonisation, qu’il cherche à séduire, n’a pas choisi jusqu’au bout un langage de vérité. 

Jules Roy, lui-même européen d’Algérie, ancien officier de l’armée française, apostropha en 1972 le général Massu en des termes qui s’appliquent aussi aux chefs de l’OAS à la fin de la guerre : « Croyant trouver en vous un sauveur, ces naïfs [certains Européens d’Algérie] se sont précipités derrière vous. Vers le gouffre. […] Les vrais défenseurs de leur avenir étaient ceux qui essayaient, malgré vous qui vous en teniez à la lettre de vos directives, de sauvegarder les chances d’une coexistence entre les deux communautés. […] Vous fûtes le préparateur des malheurs que nous voulions leur épargner ».

 Ce sont les terroristes de l’OAS qui voyaient dans le chef de l’Etat et dans les autorités françaises de l’époque les responsables de leur malheur qui ont tissé en réalité le malheur des pieds-noirs. Et ce serait le courage que de le dire.

Beaucoup n’ont pas oublié les manifestants du 8 février 1962 contre l’attentat de l’OAS au domicile d’André Malraux qui a défiguré la jeune Delphine Renard, jouant dans la cour, et qui ont subi, au métro Charonne, la répression de la police de Maurice Papon. Ils commémoreront, soixante ans après, les crimes de l’OAS.

NOTE

[1] L’Organisation armée secrète, constituée au début de 1961 dans l’Espagne franquiste, qui a rassemblé des déserteurs de l’armée et des Européens extrémistes et a pratiqué la terreur pour s’opposer à l’indépendance de l’Algérie.

 Source : Histoirecoloniale.net

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