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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

« Fils de harki, je soutiens la panthéonisation de Gisèle Halimi ».


Amar Assas, né en 1961 dans une famille originaire des Aurès, et, après être passé par divers camps (Saint-Laurent-des-arbres, Collobrières, La Landes des Maures) a grandi à Rosans, dans les Hautes Alpes, où des familles d’anciens supplétifs recrutés par l’armée française durant la guerre d’Algérie ont été implantés et ont dû affronter isolement et préjugés. En 1987, alors que le taux de chômage parmi les enfants de harkis du village était de 40 %, il a contribué à fonder à Rosans l’Association intermédiaire pour l’emploi dans les Pays du Buëch et les Baronnies, l’AIEBB, une association permettant leur insertion sociale et professionnelle, qui a été transformée plus tard en Hautes-Alpes emploi relais. Il s’est installé ensuite à Gap. Il travaille maintenant dans un service de Relations humaines dans le quartier de la Défense à Paris. Son premier roman, Le Trèfle à cinq feuilles, doit paraître aux éditions Baudelaire.

Par Amar Assas, libre opinion publiée par Le Monde, le 26 août 2022.

Je suis né quelques mois avant la signature de ces fameux accords d’Evian (18 mars 1962) qui ont marqué l’histoire des deux pays et mis fin à la terrible guerre d’Algérie. Une guerre qui est la conséquence de décennies d’injustices, d’inégalités et d’absence de droit pour les indigènes relégués au statut de citoyens de seconde zone. Une guerre qui n’a pas été reconnue comme telle mais présentée comme la répression de hors-la-loi, alors que, après le 8 mai 1945, le traumatisme des tirailleurs rentrés après avoir contribué à libérer la France en découvrant ce qui s’était passé lors des massacres de Sétif, Guelma et Kherata avait amorcé l’émergence d’un sentiment national. Une guerre qui a fait des centaines de milliers de victimes, d’abord parmi les indépendantistes et les civils algériens qui les soutenaient, mais aussi parmi les militaires français — dont beaucoup étaient des appelés — et parmi les Algériens enrôlés comme harkis par l’armée française que leur histoire personnelle et familiale avait souvent mis dans une situation insoluble. Une guerre en partie fratricide, achevée notamment par des massacres de harkis qui ont souvent atteint le paroxysme de l’horreur et créé des plaies toujours ouvertes sur les deux rives de la Méditerranée.

Dans les deux pays, reconnaître la totalité du passé colonial implique de regarder ces réalités en face. Souhaitons que la visite officielle en Algérie du président de la République française, Emmanuel Macron, du 25 au 27 août 2022, soit l’occasion d’avancées à ce sujet en France comme en Algérie.

Quel lien avec mon soutien à la panthéonisation de Gisèle Halimi me direz-vous ? Précisément, cette mesure serait pour la France une avancée. Ce serait un hommage officiel à une féministe engagée aussi dans le combat des peuples à disposer d’eux-mêmes. A partir de 1956, elle a été l’avocate d’indépendantistes algériens et dénoncé ensuite les tortures pratiquées par l’armée. Elle a affiché clairement son anticolonialisme et mené en particulier un combat pour la défense de Djamila Boupacha, une militante indépendantiste accusée de tentative d’assassinat, torturée et violée pendant sa détention par des soldats de l’armée française.

Les stigmates de la colonisation

N’oublions pas que la conquête militaire engagée par le général Bugeaud a montré la permanence de la stratégie militaire de l’armée française consistant à enrôler des autochtones en qualité de supplétifs. La conquête de l’Algérie a causé la spoliation de plus de deux millions d’hectares aux « indigènes musulmans », provoquant famine, maladies et destruction de tout un système social et, au final, la disparition d’une partie importante de la population autochtone. C’est ce colonialisme qui est bien à la base de toutes ces injustices dont furent victimes nos ancêtres qu’a combattu Gisèle Halimi et ce serait important pour la France de lui rendre hommage.

En qualité de fils de harki, j’estime que les harkis sont une conséquence directe de la colonisation. Leur recrutement a divisé la société algérienne créant un drame humain dont je porte personnellement les stigmates. Cette guerre a fait exploser le socle fondamental qui porte toute société, qu’elle soit ancestrale ou contemporaine, à savoir la famille.

Aussi, ne crois-je pas au choix idéologique de mon père qui plus est pour le maintien d’un système brutal et injuste créé par la colonisation, dont lui et plusieurs générations de sa famille avant lui ont souffert dans leur âme et dans leur chair (discrimination, racisme, spoliation, analphabétisme, ségrégation…). Je sais que son enrôlement et celui de la majorité des harkis s’est fait « sans consentement libre et éclairé ».

Regrets

Je sais aussi que Gisèle Halimi a refusé de s’engager pour la reconnaissance des injustices commises par la France à l’égard des harkis. Le fait d’avoir pris fait et cause pour des militantes de l’indépendance algérienne, d’avoir défendu de jeunes algériennes dont certaines avaient été violentée lors de leur détention par l’armée, l’a conduite à opérer une généralisation abusive quant à son regard sur l’ensemble des supplétifs et de leurs familles lorsque ceux-ci ont été victimes de violences inhumaines en Algérie, de discriminations et d’injustices en France.

Je regrette que cette militante anticolonialiste n’ait pas soutenu cette cause au nom des droits de l’Homme, qu’elle ne se soit pas jointe à des appels dans ce sens, signés par d’incontestables anticolonialistes comme Pierre Vidal-Naquet, Henri Alleg ou Mohammed Harbi, ou encore que son féminisme ne l’ait pas conduite à s’intéresser au sort, parfois tragique, des femmes de harkis, oubliées de toutes parts. Son statut d’anticolonialiste tout autant que celui de féministe auraient donné du poids à un tel engagement.

Mais, parce que je pense que la colonisation est la cause principale du drame des harkis et que l’anticolonialisme et le féminisme de Gisèle Halimi méritent l’hommage de la nation, je soutiens pleinement la demande de sa panthéonisation.

Source : histoirecoloniale.net

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