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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

Du nouveau sur le nationalisme algérien : l’UDMA et les udmistes, par Malika Rahal

Du nouveau sur le nationalisme algérien : l’UDMA et les udmistes, par Malika Rahal

"Le parti de Ferhat Abbas, l’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA), a fait l’objet de stéréotypes à la vie dure"

Présentation et extraits

Présentation de l’éditeur

L’apport de l’UDMA (Union démocratique du Manifeste algérien) au mouvement nationaliste a toujours été minimisé par l’histoire dominante. Le parti n’aurait été qu’un « rassemblement » – cristallisé autour de la figure charismatique de Ferhat Abbas – de notables, laïcs, francophones, sourds à « la mystique de la rupture », ayant échoué à conduire pacifiquement l’Algérie à l’indépendance. Autant de préjugés que, dans ce livre exhaustif, l’historienne Malika Rahal démonte avec rigueur.
Elle y retrace ses dix ans d’existence (1946-1956), en décrit la culture politique spécifique, et étudie les références historiques, philosophiques ou religieuses, les valeurs morales et politiques, le vocabulaire, les rituels, les sociabilités, les trajectoires individuelles de ce parti tout entier organisé autour de son journal, Égalité-La République algérienne, pour révéler l’épaisseur humaine d’une structure partisane.
On découvre un militantisme plus actif et frondeur dans certaines sections que dans d’autres, des affinités avec l’Association des ’Ulamā parfois si puissantes que les deux organisations se confondent localement. L’on comprend surtout que, durant cette décennie où se concurrencent UDMA, PPA-MTLD, ‘Ulamā, et PCA – période durant laquelle la pluralité est constamment mise en tension avec le désir d’union des indépendantistes –, se jouent des questions aussi décisives que la définition de soi et l’imagination du système politique à venir.
Ainsi, au-delà du rôle majeur de l’UDMA, Malika Rahal analyse ce moment de l’histoire où le parti politique fut la forme privilégiée de l’action collective : de 1946 à 1956, les Algériens expérimentent dix années de stratégies et de débats politiques, de discussions autour du statut de la religion, de la conception de la nation et du futur État indépendant. Expérience inédite dont il est impératif et salutaire de se souvenir aujourd’hui.

MALIKA RAHAL est chercheuse à l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS, Paris). Spécialiste de l’histoire de la colonisation, elle travaille désormais sur la vie politique dans l’Algérie indépendante. Elle est l’auteure de Ali Boumendjel, Une affaire française, une histoire algérienne (Barzakh, 2011).

EXTRAITS

1.Un objet d’étude occulté

Le parti de Ferhat Abbas, l’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA), a fait l’objet de stéréotypes à la vie dure : accusé d’une modération frisant la mollesse, on lui reprochait de rassembler des politiciens bourgeois travaillant en bonne intelligence avec des hommes politiques français, coupés du « peuple » et perdus dans de vaines stratégies électoralistes. Les noms (d’oiseaux) sont nombreux, mais que l’on qualifie l’UDMA d’assimilationniste, de fédéraliste, de réformiste, ou d’électoraliste, au final, on lui dénie régulièrement la qualité de nationaliste, jusque dans les écrits d’historiens.

Jugeant l’histoire aux réussites et aux échecs sur le chemin de l’indépendance, l’histoire dominante a donc masqué l’apport politique, culturel et militant de l’UDMA au mouvement nationaliste. (…)

M’intéresser ainsi à un objet d’étude occulté, c’est (…), à mon sens, contribuer à faire ressurgir – bien au-delà de la seule UDMA – dix années d’expériences partisanes (1946-1956) et de pluralité politique malgré la domination coloniale. C’est aussi mener une réflexion sur la construction – dès l’époque – d’un discours de disqualification de l’UDMA qui aura la vie longue. Or, on va le voir, cette disqualification pose à l’histoire contemporaine de l’Algérie les questions fondamentales de la pluralité et de la place de la violence dans la vie politique.

(…) Ainsi donc, proposer comme le fait ce livre une histoire de l’UDMA, c’est tenter de se libérer autant des appréciations contemporaines sur les partis politiques que de l’histoire dominante pour décrire la façon dont, durant une décennie, les hommes se sont organisés en partis. C’est aussi proposer une entrée pour mieux connaître, avant l’ouverture démocratique des années 1989-1991, l’autre grande expérience pluraliste de la vie politique algérienne.

2. L’histoire dominante

Construit sur une esplanade visible depuis toute la baie d’Alger, un spectaculaire édifice : le Monument du martyr, Maqām ash-shahīd, inauguré à Alger en 1982. Il symbolise parfaitement la geste nationale : au pied de l’édifice écrasant, trois imposantes statues figurent les seuls grands acteurs de la libération nationale, les hommes en armes. Guère de femme, ni d’intellectuel, ni même de leader politique au cœur de cette narration glorieuse et guerrière. L’esplanade sur laquelle il est posé recouvre deux musées représentant parfaitement ce récit du passé colonial et de la guerre d’indépendance : le Musée de l’armée, et le Musée du moudjahid. Il recouvre également un centre commercial qui fut, en son temps, l’un des fleurons de l’« ouverture économique » lancée par le régime au début de la présidence de Chadli Bendjedid. À sa construction, le monument fut contesté d’emblée, et surnommé, par dérision, Hubal – du nom de l’une des divinités adorées à La Mecque où la destruction des statues avait marqué l’avènement de l’islam –, indice de cette contestation croissante des années 1980 qui allait aboutir à l’explosion d’octobre 1988.

Secouée à partir de l’ouverture politique consécutive à octobre 1988, cette histoire dominante, fruit à la fois d’une politique étatique et d’une société en sortie de guerre, était encore vivace au moment où j’ai entamé cette recherche en 2003. Les historiens se heurtaient encore aux stratégies de contournement des acteurs qu’ils interrogeaient, aux refus gênés et à l’expression de craintes dont la cause, jamais clairement identifiée, révélait combien l’autocensure était profonde.

Comme dans d’autres pays, la lutte de libération et l’effort de construction d’une nation se sont accompagnés en Algérie d’un intense travail d’écriture de l’histoire dans les années 1960 et 1970. C’est après l’indépendance, sous le régime de parti unique, que se sont cristallisés les éléments d’un récit national de la guerre d’indépendance et du mouvement national, récit organisé tout entier autour de la figure hégémonique du Front de libération national (FLN). (…)

L’État-FLN produisait (…) un discours valorisant sa propre position durant le conflit, au détriment des forces politiques concurrentes. Il occultait la multiplicité des héritages et des traditions politiques développées en Algérie avant l’indépendance, en revendiquant une filiation unique et linéaire qui part de l’Étoile nord-africaine (ENA), créée à Paris en 1926, passe ensuite par le Parti populaire algérien (PPA), fondé après l’interdiction de l’ENA par le Front populaire en 1937, et son pendant légal, le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), et aboutissait enfin au FLN.

Cette généalogie doit être questionnée sous deux angles différents : d’abord, comme le fait Mohammed Harbi, du point de vue de la continuité réelle entre les différentes organisations ; ensuite, de celui de l’exclusion factice des autres organisations politiques de cette ascendance. L’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA) et le Parti communiste algérien (PCA) pour les années 1946-1954, puis le Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj pour la période de la guerre d’indépendance, ont été les principales victimes de ce phénomène.

On donne plusieurs justifications à cette occultation : certains groupes ont été accusés d’avoir fait primer les réformes sociales sur l’objectif d’indépendance nationale ; d’autres ont été écartés pour avoir défendu une conception mixte de la société algérienne à construire, une conception incluant à la fois des « musulmans » et des « Européens » d’Algérie ; d’autres, comme le MNA de Messali Hadj, ont eu le tort de contester l’hégémonie du FLN durant la guerre d’indépendance. De fait, Messali Hadj, leader de l’ENA et du PPA, souvent qualifié de père du nationalisme algérien par les historiens, devenait le grand absent de l’histoire officielle. L’UDMA, créée par Ferhat Abbas en 1946, a, quant à elle, essuyé plusieurs critiques : accusée d’abord de « réformisme », au sens de légalisme, elle s’est vu reprocher, en outre, d’être un parti bourgeois lorsque l’Algérie se proclamait socialiste. Enfin, réputée francophone, son existence même questionnait la définition de la nation algérienne, arabe et musulmane, formulée par le FLN. Par conséquent, l’intégration de l’UDMA dans la généalogie nationaliste se heurtait à trois obstacles également sérieux.

Aux yeux de l’histoire dominante, le parti de Ferhat Abbas se distingue non seulement du nationalisme populiste du PPA-MTLD, mais aussi de ce qu’on a appelé le « réformisme musulman », incarné principalement par l’association des ‘Ulamā.

En effet, malgré le caractère réformiste de cette dernière, l’histoire dominante insiste sur son rôle primordial dans la conception arabe et musulmane de la nation et en fait un pilier précoce du nationalisme, comme en témoigne l’instauration dans les années 1970 d’un Yūm al-‘ilm [Journée de la science, de la connaissance] commémorant l’anniversaire de la mort d’Abdelhamid Benbadis, fondateur de l’association. Benbadis devenait ainsi l’une des rares personnalités du XXe siècle à être célébrée dans les manifestations officielles ou les manuels scolaires comme un père du nationalisme.

L’on a donc, d’un côté, l’Association des ‘Ulamā musulmans d’Algérie (AUMA), célébrée, sinon glorifiée, comme soubassement du mouvement national, et de l’autre, un parti politique, l’UDMA, dont l’histoire est occultée. De ce paradoxe émerge une question qui court tout au long du livre et de l’examen des pratiques politiques et associatives sur le terrain. Au-delà des enjeux politiques et linguistiques de l’après-indépendance, les hommes de l’UDMA, qualifiés souvent de façon péjorative de « réformistes » (au sens de légalistes, en arabe shar‘iyyūn), ont-ils été des « réformistes » (au sens de réformistes musulmans, iṣlāḥistes, iṣlāḥiyyun) ?

L’histoire de l’UDMA montrera qu’au-delà d’une opposition linguistique – plus imaginée que réelle à cette époque – les convergences sociales, idéologiques sont fortes entre le parti et l’association, les membres de l’une étant bien souvent les animateurs de l’autre.

3. La décennie des partis politiques (1946-1956)

La durée de vie de l’UDMA n’est guère longue, entre 1946, lorsqu’elle est créée, et 1956, lorsqu’elle se dissout et que ses membres sont appelés à rejoindre le FLN. Mais cette décennie, entre seconde guerre mondiale et guerre d’indépendance, est fondamentale dans l’histoire du pays. Elle est caractérisée par l’existence de plusieurs partis politiques ayant pour but de représenter la population colonisée dans des assemblées nombreuses.

Dans la glorieuse évocation du mouvement national, ce ne sont pas seulement certains courants qui sont occultés mais également des périodes entières. Ainsi, sont souvent passés sous silence les événements de la période allant de 1945 à 1954. Il semble parfois qu’entre la grande répression de mai 1945 et le « déclenchement de la révolution » le 1er novembre 1954, aucun événement ne soit digne d’être mis en avant.

L’idée est même avancée par certains historiens que la guerre d’indépendance commença le 8 mai 1945 : cette affirmation se comprend dans le cadre d’une analyse de la domination coloniale ou de la violence, mais elle a pour effet de gommer les aspects non militaires de cette décennie.

Les luttes entre partis, les campagnes électorales, les débats sur la question de l’union des partis, sur leur rôle dans la vie politique, sur la question du statut de la religion et sur la définition du régime de la future Algérie indépendante et la composition de son peuple n’avaient aucune place dans l’histoire officielle, sinon comme faire valoir des « vrais nationalistes ». Mohammed Harbi note « qu’on tend à mesurer ainsi le militantisme politique à la seule aune de l’activisme paramilitaire, le reste n’étant que discussion oiseuse et temporisation ». « Discussion oiseuse et temporisation », voilà en quelques mots à quoi furent réduites dix années d’élaboration de stratégies et de débats politiques parfois complexes au profit d’une vision téléologique de la lutte contre la colonisation. La vie politique n’était considérée que sous l’angle de l’organisation progressive du mouvement clandestin destiné à animer cette lutte.

« Et pourtant, s’exclamait un ancien de l’UDMA, excédé par les raccourcis de cette manière de voir, pendant dix ans nous avons travaillé ! » (…)

La décennie qui nous intéresse est marquée par deux caractéristiques. En premier lieu, la texture du temps n’en est pas homogène, avec de très fortes attentes suivies de lassitude et de découragement ; l’avenir d’indépendance, conçu en 1946-1947 comme très proche, devient par la suite beaucoup plus incertain à mesure que les opportunités législatives se referment.

Durant toute cette période, les scrutins électoraux se multiplient : entre élections législatives, municipales, cantonales, élections de jamā‘at, élections à l’assemblée de l’Union française et à l’assemblée algérienne à partir de 1948, ce sont en tout une quinzaine de scrutins, sans compter tous les scrutins partiels ou complémentaires, qui rythment la vie politique dans le second collège, malgré le trucage organisé par l’administration française pour faire barrage aux nationalistes.

Dans ce contexte, trois partis animent la vie du second collège : outre le parti communiste algérien (PCA), fondé en 1936, deux autres partis voient le jour en 1946, successivement, l’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA) puis le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) – le pendant légal du Parti du peuple algérien (PPA) de Messali Hadj.

Avec la répétition des scrutins électoraux, et face à leur truquage – massif à partir de 1948 –, ces partis se développent, jouent le jeu des élections, tentent de contrer la fraude, réfléchissent à la possibilité d’un boycott, négocient des alliances, définissent des stratégies et formulent des programmes. Durant cet « entre-deux-guerres » algérien, entre seconde guerre mondiale et guerre d’indépendance, tous trois ont en commun de donner la priorité à la question coloniale, à la nécessité de mettre fin au régime colonial par l’indépendance du pays.

La plongée dans la vie politique algérienne de cette décennie révèle donc – et c’est sa seconde caractéristique – que le parti y est désormais devenu une forme d’organisation dominante : la réforme électorale, le modèle de démocratie européen, la puissance des partis communistes dans le reste du monde, se conjuguent pour importer le parti comme forme et comme acteur de la vie politique pour la population colonisée d’Algérie. L’exception à ce phénomène partisan demeure l’association des ‘Ulamā ; mais l’étude des pratiques politiques de terrain permettra précisément de mieux comprendre le rapport entre l’association et les partis, et en particulier avec l’UDMA avec laquelle elle a constitué, dans la majorité des localités, une sorte de joint venture.

Note de l’auteure : Cet ouvrage est issu d’une thèse de doctorat, que j’ai menée sous la direction de Benjamin Stora. Elle avait été soutenue en novembre 2008, à Paris, devant un jury composé d’Omar Carlier, Mohammed Harbi, Catherine Mayeur-Jaouen, Michel Offerlé, Henry Rousso et Benjamin Stora. Je les remercie pour leurs critiques, conseils et suggestions – tout au long de la thèse pour l’un, à l’occasion de cette soutenance pour les autres –, qui ont contribué à faire ce livre.

Source : LDH-Toulon

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