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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

«Le Camp» de Abdelhamid Benzine au cinéma. «Nous n’étions pas des héros» projeté à Alger : Retour à l’humain !

Ahmed Rezzak (à droite) dans le rôle de Abdelhamid Benzine quelques jours après son arrivée au camp de Boghari. Photo DR

Ahmed Rezzak (à droite) dans le rôle de Abdelhamid Benzine quelques jours après son arrivée au camp de Boghari. Photo DR

Meziane Abane note : "Crayon mal taillé dans une main tremblante, enfoui sous sa couverture sous l’œil gardé de ses codétenus qui guettaient l’arrivée des légionnaires, c’étaient là les seuls moments où Abdelhamid Benzine pouvait pondre quelques mots de plus du récit". Sarah Haider précide :  "A la lumière d’une bougie et dans le secret total, Benzine rédigera son «carnet de bord» qu’il réussira à faire fuiter jusqu’à Paris où il sera édité et où déclenchera une vague d’indignation qui contribuera à empêcher l’exécution programmée des prisonniers".

Le camp de Abdelhamid Benzine au cinéma

Par Meziane Abane, 20 octobre 2017

Incarné par le comédien et scénographe Ahmed Rezzak, le film sur Abdelhamid Benzine, Nous n’étions pas des héros, réalisé par Nasredine Guenifi, sera projeté à la salle Ibn Zeydoun, le mardi 24 octobre à 19h. Adaptation du livre Le Camp de Benzine, ce film raconte la torture qu’a subie son auteur et ses codétenus au Camp spécial de Boghari, à Médéa, entre 1961 et 1962. El Watan Week-end vous dévoile, en exclusivité, quelques scènes du film.

Crayon mal taillé dans une main tremblante, enfoui sous sa couverture sous l’œil gardé de ses codétenus qui guettaient l’arrivée des légionnaires, c’étaient là les seuls moments où Abdelhamid Benzine pouvait pondre quelques mots de plus du récit qui raconte les atrocités qu’ils ont subies dans le Camp militaire d’internement spécial (CMIS) de Médéa. L’histoire s’est déroulée dans ce camp annexe, connu sous le nom de Morand ou Boghari, créé spécialement pour les accueillir, entre février 1961 et juin 1962.

Boghari était un endroit coupé du monde, où personne ne pouvait entendre les cris des détenus ou découvrir la torture qu’ils enduraient au quotidien. Benzine et ses codétenus, combattants du FLN, étaient seuls face à des légionnaires réservistes inhumains, dont d’anciens nazis. «Je haie les arabes, les juifs, le FLN et surtout les communistes. S’il y en a là ici parmi vous, je les trouverai certainement», grogne un légionnaire nazi au moment où Benzine et ses amis, transférés de Lambèse où ils étaient détenus, débarquent à Boghari.

La mission de ces légionnaires était de forcer ces révolutionnaires, pris les armes à la main, à renier la Révolution par la torture quotidienne et l’humiliation ; ou mieux, faire d’eux des harkis afin de les enrôler dans leurs rangs et combattre le FLN à leur tour.

Ces moments d’écriture étaient précieux pour Benzine et ses amis, car les mots érigés sur ces bouts de papier vétustes étaient le seul moyen, pour eux, de faire parvenir leur douleur à l’extérieur. Il fallait d’abord réussir à écrire sans être démasqué par ces légionnaires, puis trouver le moyen de faire sortir le récit.

Communistes

C’est l’histoire que nous raconte le réalisateur de Nous n’étions pas des héros, Nasredine Guenifi, dont le scénario n’est que l’adaptation du livre de Benzine Le Camp, fruit du recoupement de ces bouts de papier que l’auteur enfouissait loin des regards sous les gravats qui couvraient le parterre de sa cellule de fortune.

Si les crimes de guerre commis par la France ont été dénoncés par quelques intellectuels anticolonialistes français, les témoignages des victimes algériennes demeurent, néanmoins, méconnus jusqu’ici du grand public.

Envoyé par l’intermédiaire d’un réseau de militants communistes, celui du regretté Benzine a été édité en France en janvier 1962 par les «éditions sociales», puis traduit en plusieurs langues. L’opinion internationale découvre alors le vrai visage de la «pacification gaulliste», complétant ainsi les rares témoignages publiés précédemment.

Les pressions internationales sur le gouvernement français ont commencé à donner leurs fruits et les allégements des conditions de détention furent progressivement introduits. Dans ce film, le rôle de Abdelhamid Benzine est incarné avec bravoure par le comédien, scénographe, cinéaste et metteur en scène Ahmed Rezzak. Ce dernier qui a, entre autres, joué dans plusieurs films de ce genre, dont celui qui retrace le parcours du colonel Lotfi, réalisé en 2015 par Ahmed Rachedi, est considéré par les observateurs et les gens du métier comme convaincant dans ce style de jeu.

Convention

Dans Nous n’étions pas des héros, le moins qu’on puisse dire est qu’Ahmed Rezzak a réussi à briller encore une fois avec son talent multidisciplinaire. Il n’était pas le seul d’ailleurs, car les comédiens choisis lors du casting ont tous des têtes de cinéma, comme on dit. Ils ont réussi à créer de l’émotion avec leur dévouement et leur talent, et feront certainement le bonheur du 7e art en Algérie.

Abdelhamid Benzine, journaliste et commissaire du FLN, était la cible des légionnaires qui cherchaient à savoir qui était le responsable ou le commissaire du FLN parmi les détenus. Il était ciblé aussi pour son intellectualisme et sa détermination et pointé du doigt à chaque fois qu’une idée émergeait à l’intérieur du camp.

C’est lui d’ailleurs qui a rappelé aux légionnaires que lui et ses amis étaient des prisonniers de guerre pour avoir été pris les armes à la main et qu’ils étaient protégés par la Convention de Genève. «Nous sommes des prisonniers de guerre et la Convention de Genève ne vous donne pas le droit de nous demander de trahir notre patrie l’Algérie», insiste Benzine (Ahmed Rezzak) auprès de Griguer, le responsable du camp de torture. Son discours faisait rire les légionnaires qui savaient parfaitement ce qui les attendait.

Le Coco, pour désigner le communiste, c’est ainsi que l’appellent les nazis parmi les légionnaires. A Boghari, leurs journées se limitaient à la caillasse et la construction. «Mangez… mangez mais en rampant», cri un colon militaire en frappant, à l’aide d’un bâton et ses codasses, le dos des détenus algériens.

Carotte

La soupe, qu’ils ne mangeaient même pas, était le seul repas offert pendant la journée. Les prisonniers n’avaient même pas droit à une visite d’un médecin. Benzine, qui souffrait d’ailleurs d’un mal de jambe, était laissé à l’abandon. Tête rasée, ils travaillaient tous les jours sous le soleil tapant de la région.

Quant à leurs revendications, avant qu’ils ne soient battus bien évidemment, ils arrivaient parfois à en sortir quelques-unes, notamment par Benzine. Mais ces dernières étaient limitées à une simple couverture, de la nourriture ou de l’eau ou la reconnaissance de leur statut de prisonniers de guerre qu’ils n’ont jamais eue. Nasredine Guenifi avoue qu’il n’a pas voulu enrôler quelques scènes troublantes, selon lui, de peur de heurter la sensibilité du public.

Mais pour les insinuer, après le passage à tabac d’un prisonnier qui a fini par faire allégeance aux légionnaires et à la France, un militaire français se tourne vers son collègue et lui dit : «Il n’y a que le bâton et la carotte qui sont bénéfiques dans ce genre de situation.» Comment résister à ce déchaînement et pour combien de temps ? Les prisonniers n’avaient aucun choix face à la cruauté des tortionnaires, sinon celui de rester fidèles à leur serment et de ne jamais trahir la Révolution.

Pendant ce temps, s’ouvraient à Evian les premières négociations. Benzine reçoit la visite d’une avocate qui, grâce à elle, a été transféré dans un hôpital, où il a pu faire sortir son récit à l’extérieur. Grâce à cette rencontre, le camp a reçu la visite de la Croix-Rouge et d’un gradé militaire français. Les légionnaires ont fini par être révoqués du site.

Les conditions ont été améliorées et le camp a fini par être vidé peu avant l’indépendance. L’assassinat de son codétenu, Senouci Maâmar, par les légionnaires l’a affecté. Abdelhamid Benzine ne se considérait peut être pas comme héros, car il ne pensait l’être qu’en tombant en martyr au champ d’honneur au maquis. Il était certainement très humble et c’est la raison qui explique ce titre du film de Guenifi qui résume un peu la simplicité du personnage de Benzine. Lui et ses amis étaient des héros à leur manière, comme tant d’autres patriotes.

Ils ont tenu bon parce qu’ils savaient que, dehors, le peuple tenait bon aussi. Abdelhamid Benzine, né le 27 avril 1926 à Beni Oaurtilane, était condamné à 20 ans de travaux forcés. Il a entamé son parcours dans les rangs du PPA en 1940 et rejoint le MTLD en 1948.

Après l’indépendance, il devient membre du Parti communiste algérien et se fait désigné comme rédacteur en chef d’Alger républicain, puis comme son directeur en octobre 1989. Hormis son livre Le Camp, Benzine est également auteur de nombreux ouvrages, dont Journal de marche, Lambèze en 1989, de récits, La montagne et la plaine, en 1991. Il a également participé à l’ouvrage collectif La grande aventure d’Alger républicain, en 1987.

Source : El Watan

 

Nous n’étions pas des héros projeté à Alger

Retour à l’humain !

Par Sarah Haider, 25 octobre 2017

Réalisé par Nasredine Guenifi dans le cadre des productions cinématographiques du 50e anniversaire de l’indépendance, le long-métrage fiction. Nous n’étions pas des héros a été projeté en avant-première hier à la salle Ibn Zeydoun.

Inspiré du livre Le camp de Abdelhamid Benzine, campé ici par le comédien Ahmed Razzak, le film qui a mis longtemps à voir le jour, retrace le quotidien pénible des prisonniers du FLN détenus au camp spécial de Boughari. Ponctuée par des extraits du journal, la narration souligne la cruauté des officiers français, dont un capitaine sanguinaire et raciste, un adjudant-chef fan d’Hitler, des légionnaires sans scrupules et même un ancien officier SS…
Affamés, crevés à la tâche, humiliés et torturés, les bagnards sont loin de l’image du héros longtemps véhiculée dans le cinéma algérien.

Ce sont des êtres fragilisés et fatigués, des hommes dont l’envie de rester en vie est plus forte qu’une vaine démonstration héroïque, des combattants conscients que la liberté est proche et décidés à ne répondre aux provocations qu’en rappelant leur statut de prisonniers de guerre protégés par la Convention de Genève…

Pendant son internement, à la lumière d’une bougie et dans le secret total, Benzine rédigera son «carnet de bord» qu’il réussira à faire fuiter jusqu’à Paris où il sera édité et où déclenchera une vague d’indignation qui contribuera à empêcher l’exécution programmée des prisonniers. Leurs conditions de détention s’améliorent peu à peu, notamment avec les inspections d’un général légaliste et la venue d’une commission d’enquête de la Croix-Rouge.

Nasredine Guenifi semble bien décidé à restituer l’âme du livre en acceptant le défi de ne pas esquiver le caractère foncièrement humain et anti-démagogique de certaines scènes, notamment lorsque les prisonniers se plient aux caprices et maltraitances des officiers français.

Si Nous n’étions pas des héros se distingue par l’honnêteté et l’audace inhabituelle de son approche, il n’échappe pas toutefois à une tentation théâtrale qui surligne quelques
scènes : la brutalité répétitive et «bête» des bourreaux finissant par produire l’effet contraire sur le spectateur, devenant quasiment comique ; les prises de paroles sentencieuses des suppliciés ; l’emphase déréalisées de certaines tirades…

Le film semble tourner en rond durant les quarante premières minutes, le récit peine à trouver son rythme alors que la mise en scène, prudente et académique, ne parvient pas à créer l’épaisseur dramatique souhaitée.

Or, au bout de cette longue série de maladresses, on se rapproche, petit à petit, des personnages quand l’interprétation se fait moins cérémonieuse et plus intense, quand surtout, des moments d’émotion perlent discrètement à travers les moments d’écriture, de camaraderie ou de furtive fraternisation avec quelques soldats français dégoûtés par la guerre et les pratiques immorales de leurs supérieurs.

Ainsi, Nous n’étions plus des héros parvient progressivement à se dépatouiller d’une lourdeur dramaturgique qui aurait pu le ranger dans le long chapelet des «commandes» dévitalisées et même si le réalisateur n’émerveille pas par une créativité quelconque, ce long-métrage se démarque d’une production étatique monolithique et sans ambitions.
Source : Le Soir d'Algérie

 

 

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