12 Décembre 2017
Fatiha A. est née le 28 janvier 1944. Elle avait 16 ans le 11 décembre 1960. « Je suis allée à l'école indigène des filles de la Casbah, rue Marengo puis à l'école de couture de Micheline, avenue Pasteur », débute-t-elle.
« C’est par le bouche à oreilles dans le quartier du Clos Salembier que j’ai entendu parler des manifestations et c’est ici que j’ai commencé la révolution. Le 10 décembre, on a dormi dehors. Il y avait des femmes dès le début. Elles transportaient aussi la nourriture et les médicaments même hors d’Alger », dit-elle en citant des noms d’amies et soeurs de lutte. Qu’est-ce qui a poussé la jeune fille à prendre part au soulèvement ? « J'ai manifesté pour l'indépendance et pour vivre », dit-elle simplement. Comment ont réagi ses proches ? « On avait des amis français mais on vivait avec des musulmans. Eux – les Français – avaient tout », elle croit alors en « la puissance de l’indépendance » pour une meilleure existence.
Ses parents lui permettent de sortir. « Mon père, né dans la Casbah, était impliqué en politique. Mes parents nous racontaient leur vécu et mon père se tenait informé grâce à la radio. Notre maison était un dépôt d'armes. » Les voisins permettent eux aussi à leurs enfants de manifester : « même ceux qui ne faisaient pas la révolution sont sortis le 11 décembre 1960 ! »
Elle raconte en détails et avec passion les rassemblements « qui ont duré trois jours » : « Je portais un chemisier, une jupe, pas de voile », précise-t-elle en agitant le long foulard beige fleuri qu’elle porte. « Des femmes faisaient des youyous. Ceux qui les entendaient descendaient. On tournait dans le quartier et criait "Vive l'Algérie musulmane !" Il y avait beaucoup de soldats, ils tiraient sur nous. Il y a eu des morts... A cette époque, les femmes pouvaient assister aux enterrements. » N’a-t-elle pas eu peur de mourir ? « Quand tu as peur, tu ne fais rien », répond-elle avec assurance devant sa petite fille qui l’écoute religieusement, assise sur les genoux du fils de la résistante. Puis Fatiha s’est mariée, avec un résistant, a eu des enfants et a dû rester à la maison. Elle n’ose pas en dire plus devant sa famille mais lève ses épaules dans un long soupir, laissant penser que ce n’est pas ce à quoi elle aspirait.
Fatiha A. a aussi été marquée par le sort d’une autre femme : la mère de son mari. « Jusqu’à son dernier jour elle a pleuré la mort de Tahar, son fils tombé martyr. Il a été torturé lors de la bataille d’Alger et des années plus tard, on lui apporté son pantalon tâché de sang. Ma belle-mère parlait tout le temps de lui », décrit-elle.
Quel est son meilleur souvenir des luttes menées ? « L’indépendance » arrachée par le peuple algérien en 1962 », lâche-t-elle sans hésitation. Et elle le rappelle : de nombreuses femmes y ont pris part.
L’historienne Ouarda Ouanassa Tenghour de l’Université de Constantine travaille justement sur leur rôle « pour donner plus de visibilité aux oubliées anonymes », indique-t-elle à Terriennes TV5 Monde. Elle confirme qu’ « il y avait beaucoup de jeunes femmes » dans les rues d’Alger et des autres villes en décembre 1960. « Elles ont arpenté les rues, couru, il fallait avoir de solides jambes ! »
Ce qui a été fantastique, c’est cette présence de femmes, voilées ou non. Il faut s'imaginer ce qu'est l’Algérie des années 1950-1960 : franchir le seuil de la maison pour une cause politique, c'est vraiment révolutionnaire.
Témoignage recueilli par Warda Mohamed, extrait de son article intitulé : Manifestations du 11 décembre 1960 : les femmes oubliées de la lutte anti-coloniale en Algérie.
Texte intégral : Orient XXI